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Si, depuis longtemps, le rôle des glaciers sur la morphologiemorphologie des paysages est reconnu et décrit de manière qualitative, il n'y a pas de consensus sur le lien quantitatif entre la vitessevitesse de glissement des glaciers et l'érosion liée à ce mouvementmouvement. Cette incertitude est principalement liée à l'impossibilité d'observer ce qui se passe sous les glaciers et d'y réaliser des mesures directes pour quantifier l'érosion, mais aussi de réaliser des mesures intégrant les fluctuations saisonnières.
Pendant six mois, une équipe internationale impliquant l'IMPMC (Institut de minéralogie, de physiquephysique des matériaux et de cosmochimie (UPMC, Sorbonne Universités, CNRS, IRD, MNHNMNHN), des chercheurs suisses, américains et néo-zélandais se sont penchés sur le cas du glacier Franz Josef (Ka Roimata o Hinehukatere en maori en Nouvelle-Zélande). Ce glacier se trouve dans les Alpes de l’île du Sud, près du mont Cook (Aoraki en maori) dans une région affectée par d'intenses précipitations, environ 12 m par an, qui alimentent le glacier. Présentant de fortes analogies avec les glaciers des Alpes européennes, il mesure environ 10 km de long et glisse rapidement sur son substrat rocheux avec des vitesses pouvant atteindre deux mètres par jour.
Terminaison du glacier Franz Josef montrant le ruisseau sous-glaciaire dont les eaux sont chargées de particules sédimentaires. Les roches affleurant sur la droite ont été fortement érodées par l’abrasion du glacier avant son retrait. © O. Beyssac
Enquête sur les sédiments relâchés dans le ruisseau sous-glaciaire
Les chercheurs ont utilisé une approche pluridisciplinaire afin de déterminer la vitesse de glissement du glacier d'une part et le taux d'érosion d'autre part sur la période choisie. La vitesse de la surface du glacier a été quantifiée grâce à l'utilisation d'une technique nouvelle de corrélation d'images satellitaires permettant de cartographier cette vitesse avec une grande précision et une excellente résolutionrésolution spatiale à l'échelle du glacier sur la période choisie. Cette vitesse est ensuite extrapolée à celle de glissement du glacier.
Pour estimer les taux d'érosion, les chercheurs ont procédé indirectement : ils ont installé pendant plusieurs mois une station de mesure du débitdébit et de taux de particules sédimentaires en sortie du ruisseau sous-glaciaire. Afin de préciser la provenance de cette charge particulaire, ils ont étudié la structure cristalline des matériaux graphitiques contenus dans les particules sédimentaires par microspectroscopie Raman. Ces composés graphitiques sont des témoins de l'histoire métamorphiques des roches qui les contiennent, et montrent des variations structurales importantes dans les roches sur lesquelles s'étire le glacier de Franz Josef.
Vitesse de déplacement à la surface du glacier Franz Josef sur une période de 10 jours durant les étés 2013 et 2014. Ces vitesses ont été calculées à partir du déplacement 3D obtenu à partir d’images stéréo Worldview. © Science
Le taux d'érosion n'augmente pas linéairement avec la température
En comparant la structure des matériaux graphitiques dans la charge particulaire avec celle des roches du substrat rocheux au long du glacier, ils ont pu déduire la provenance des particules générées par l'érosion. Cette technique relativement simple à mettre en œuvre a ainsi permis de réaliser pour la première fois une cartographie précise de l'érosion sous un glacier alpin.
Au final, cette étude publiée dans la revue Science, montre que le taux d'érosion dépend du carré de la vitesse de glissement du glacier et augmente donc avec le temps. Ces résultats sont en accord avec l'augmentation généralisée du glissement des glaciers observée depuis quelques décennies au bord des grandes calottes. Les implications sont importantes puisque d'après ce modèle l'érosion glaciaire va s'intensifier de manière non linéaire avec le réchauffement climatique.