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Diluer la certitude de paternité en s'accouplant à plusieurs partenaires, telle est la réponse du babouin chacma (Papio ursinus) femelle en Afrique australe pour éviter le meurtre de ses petits par un mâle qui ne serait pas leur père biologique.
Il s'agit d'une tactique mise en évidence dans un article de Science consacré à l'évolution de l'infanticide par les mâles au sein de sociétés de mammifères. L'étude a porté sur l'observation détaillée de plus de 260 espèces de mammifères à l'état sauvage depuis près d'un demi-siècle. Objectif : déterminer les espèces adeptes d'infanticide et analyser les causes et les conséquences d'un tel comportement. Les résultats montrent que 119 espèces, pas loin de la moitié, recourent au meurtre infantile, parmi lesquelles figurent gorilles, chimpanzés et, comme on a vu, babouins, mais aussi lionslions, léopardsléopards, ours ou encore souris, écureuilsécureuils et chienschiens de prairie.
Le comportement « s'observe seulement là où il est 'stratégique' - à savoir là où il procure des avantages aux mâles », commente Élise Huchard, écologiste comportementale à l'université de Montpellier et co-auteur de l'étude. Il s'agit d'espèces, tel le babouin chacma des savanes, où les femelles vivent en groupes stables dominés par un ou plusieurs mâles. Ceux-ci monopolisent les opportunités de reproduction mais ne restent pas très longtemps dominants. « Par conséquent, les mâles qui conquièrent la dominance doivent se dépêcher de se reproduire avant de perdre leur statut. (...) Tuer les petits accélère le retour à la fertilité des femelles, et se révèle donc avantageux pour les mâles », ajoute la chercheuse.
L’apparition de l’infanticide s’accompagne, au cours de l’évolution, d’une augmentation de la taille des testicules, comme ici chez le microcèbe mignon, signe que les femelles augmentent le nombre de leurs partenaires sexuels pour semer la confusion en réponse au meurtre infantile. © Cornelia Kraus
Une guerre sans fin entre stratégie et contre-stratégie
Pour contrecarrer les mâles dans leur démarche meurtrière, d'autres hypothèses non observées ici, suggèrent que les mères se regroupent entre elles ou qu'elles vivent en couple monogame. « Nos résultats suggèrent que les femelles ont choisi une autre voie : celle de s'accoupler avec un maximum de partenaires, afin de semer le doute sur la paternité des petits », rapportent les auteurs. Le mâle courant un risque élevé de tuer son propre nouveau-né, il s'abstiendrait.
Au fil des générations, cette réponse défensive féminine impacte à son tour les mammifères du sexe opposé. La compétition entre mâles ne se produit plus avant l'acte reproductif mais après, indiquent les chercheurs : « Le mâle le plus avantagé est celui dont les spermatozoïdesspermatozoïdes gagnent la compétition spermatique [en fécondant l'ovuleovule, ndlr]. Dans ces espèces-là, les mâles se mettent à produire des quantités toujours plus importantes de spermesperme, ce qui mène à l'évolution de testiculestesticules de plus en plus imposants », comme on peut le voir chez le microcèbe mignon (Microcebus murinus), un lémurien de Madagascar (photo).
Que se passe-t-il lorsque la compétition spermatique est devenue si intense que les mâles n'ont plus aucune certitude de paternité ? L'infanticide disparaît, déclarent les scientifiques : « Il n'apporte alors plus guère de bénéfices aux mâles qui, d'une part, risquent de tuer leurs propres petits et qui, d'autre part, ne peuvent pas s'assurer d'être les géniteurs des prochains petits des mères de victimes. » Ainsi, chez les singes bonobos d'Afrique centrale, dont l'ancêtre communancêtre commun avec les babouins chacma, les chimpanzés et les gorilles devait pratiquer l'infanticide, les femelles ont de multiples partenaires et les mâles n'attaquent pas (ou plus) la progéniture des autres. Si l'infanticide n'a a priori pas diversifié les systèmes sociaux, il a pour le moins influencé l'évolution des comportements sexuels.