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Les milieux aquatiques, comme tous les autres écosystèmes de la planète, possèdent chacun leur propre réseau trophique, c'est-à-dire un ensemble de chaînes alimentaires reliées entre elles. Leur fonctionnement fait l'objet d'études approfondies depuis de nombreuses années, mais des interrogations persistent sur le rôle joué par différents facteurs. Est-ce plutôt la taille d’un lac, son éloignement par rapport à une autre pièce d'eau, ou encore la présence de tel ou tel prédateur qui peut expliquer l'apparition d'un réseau trophique bien précis ?
Des expériences permettent de répondre à ces questions, mais il peut être difficile de réunir toutes les conditions requises, par exemple pouvoir disposer de 60 pièces d'eau aux propriétés identiques, à un facteur près. Ces éléments peuvent être créés en laboratoire, mais peut-on être sûr que les résultats, dont certains prendront des mois ou des années à venir, sont naturels ? Reste la troisième possibilité : la modélisation. Les différents niveaux trophiques peuvent être étudiés séparément, puis simulés dans un programme informatique. Une fois encore, la valeur des résultats peut parfois poser question.
Benjamin Baiser de l'université de Harvard vient de proposer, dans la revue Oikos, une nouvelle alternative pour étudier le développement et le fonctionnement complexe des réseaux trophiques, tout en fournissant une nouvelle référence pour juger la valeur des modèles. En effet, il a trouvé des écosystèmes qui tiennent dans la main, qui peuvent être modifiés facilement, qui s'adaptent rapidement et surtout, qui sont présents par milliers dans la nature, précisément dans les marais et tourbières du continent nord-américain. Il s'agit ni plus ni moins des urnes de la sarracénie pourpre (Sarracenia purpurea), une plante carnivore.
L'encart présente les liens trophiques unissant les invertébrés qui vivent dans les urnes de la plante carnivore Sarracenia purpurea. En d'autres mots, le diagramme nous montre qui mange qui. © Aaron Ellison
Plante carnivore nourrie par autrui
Ces structures sont de véritables tubes qui permettent à la plante de récolter, puis de conserver de l'eau de pluie. Un écosystème aquatique complet se forme rapidement une fois la pièce d'eau établie. Pour preuve, les mouches, fourmis ou coléoptères qui se sont accidentellement noyés sont rapidement découpés en plusieurs morceaux par des larveslarves de moucherons. La chair libérée est alors consommée par des bactériesbactéries, qui peuvent à leur tour être englouties par des rotifères. Leurs déjections alimentent alors la plante. Mais ce n'est pas tout. Des larves de mouches peuvent aussi manger les larves de moucherons, les rotifèresrotifères et les bactéries.
C'est donc vrai : chaque Sarracenia purpurea abrite un écosystème complexe dans chacune de ses urnes. Pour les caractériser et comprendre quels facteurs les régissent, Benjamin Baiser a décortiqué en profondeur les réseaux trophiques établis dans 60 plantes. Pour ce faire, il s'est rendu en Colombie-Britannique et au Québec (Canada) ainsi que dans l'État de Géorgie (États-Unis), soit aux trois extrémités de l'aire de répartitionaire de répartition de la plante. En tout, 35 types d'organismes différents ont été dénombrés, les bactéries ne comptant que pour un seul d'entre eux.
L'assemblage et le fonctionnement des réseaux trophiques ne doivent rien au hasard, puisqu'ils sont principalement régis par les interactions proie-prédateur. Les données obtenues caractérisent des chaînes alimentaires complètes, à la différence de ce qui se fait habituellement. Elles correspondent donc à des références de choix pour tester et améliorer les modèles simulant des réseaux trophiques dans leur intégralité. Qui sait, on va peut-être mieux comprendre le fonctionnement d'un lac ou de la savane grâce à une simple plante carnivore.