Découverte initialement en 1976 par Peter van Nieuwenhuizen, Sergio Ferrara et Daniel Z. Freedman, la supergravité a ouvert des pistes sérieuses pour unifier la physique. Aucune preuve expérimentale des théories avec supergravité n'existe encore mais ses découvreurs viennent tout de même de recevoir le fameux Special Breakthrough Prize in Fundamental Physics cette année.
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Le Cern fait actuellement écho à l’annonce des derniers lauréats du Special Breakthrough Prize in Fundamental Physics, plus précisément en l'honneur de l'un de ses membres, le physicienphysicien italien Sergio Ferrara qui avec ses collègues théoriciens Daniel Z. Freedman (Massachusetts Institute of Technology et Stanford University) et Peter van Nieuwenhuizen (Stony Brook University) se partagent les 3 millions de dollars de ce prix qui est l'un de ceux attribués chaque année depuis 2012 dans le cadre de la Fundamental Physics Prize foundation.
À l'origine de ces distinctions, on retrouve le milliardaire Yuri Milner, co-fondateur et actuel président du fonds d'investissement hongkongais DST Global, spécialisé dans les investissements InternetInternet. Son nom est également attaché à l'un des sites Web russes les plus importants, mail.ru, un portail Web (ainsi qu'un moteur de recherche) très populaire en Russie.
Yuri Milner avait commencé par suivre une formation de physicien théoricien spécialisé en physique des particules élémentaires dans les années 1980 en Russie. Cela l'a conduit à côtoyer le futur prix Nobel de physique Vitaly Ginzburg et à devenir ami avec Andrei Sakharov, l'un des premiers physiciens à établir des ponts entre la cosmologie et la physique des particules élémentaires. Réalisant sans doute qu'il ne pourrait jamais devenir aussi brillant que ces géants, il s'est ensuite tourné vers les finances, ce qui l'a amené à faire fortune.
Les prix qu'il a fondés et financés sont un peu un nouveau genre de Prix Nobel, plus flexible. Ces prix visent à récompenser des chercheurs qui ont eu un grand impact sur le développement de leur domaine, même si leurs travaux n'ont pas encore forcément reçu de confirmations expérimentales directes. Parmi les lauréats, on trouve donc aussi bien Stephen Hawking, Michael Green (université de Cambridge) et John Schwarz (California Institute of Technology) que Kip Thorne, Fabiola Gianotti et Jocelyn Bell Burnell. Les trois premiers n'ayant pas fait de prédictions pour le moment vérifiées par des expériences, ils ne pouvaient guère recevoir le Prix Nobel et pourtant leur influence sur la recherche moderne en physique fondamentale a été considérable. Cela restera quand bien même leurs travaux se révéleraient faux.
Une présentation rapide des lauréats 2019 du Special Breakthrough Prize in Fundamental Physics et de leur théorie, la supergravité. © Breakthrough
La supergravité, une généralisation naturelle de la théorie d'Einstein
On peut en dire de même de Sergio Ferrara, Daniel Z. Freedman et Peter van Nieuwenhuizen qui ont donné une impulsion considérable aux recherches en physique des particules pouvant déboucher sur une unification de toute la physique, et à l'élucidation de la nature de la matière noirematière noire et de l'énergie noire avec un article qu'ils ont publié en 1976.
On le considère comme l'acte de naissance de la théorie de la supergravité, qui pendant un moment a été considérée par Stephen HawkingStephen Hawking lui-même comme une candidate très sérieuse, non seulement au titre d'une théorie quantique de la gravitation mais aussi d'une théorie unifiée de toutes les particules de forces et de matière.
Comme Futura l'expliquait dans le précédent article ci-dessous, la supergravité est une applicationapplication de la théorie de la supersymétriesupersymétrie à la gravitation. Il existe en fait plusieurs classes de théories de supergravité qui peuvent aussi être formulées avec un espace-tempsespace-temps possédant plusieurs dimensions d'espaces supplémentaires, comme c'est le cas avec les théories de Kaluza-Klein et bien sûr la théorie des supercordesthéorie des supercordes.
La révolution de l'article de 1976 a eu lieu au moment où se produisait la révolution des théories de jaugethéories de jauge en théorie quantique des champs, alors que les preuves théoriques et expérimentales en faveur surtout de la chromodynamique quantiquechromodynamique quantique et de la théorie des quarksquarks, en premier lieu, et du modèle électrofaible se multipliaient. En poursuivant la logique derrière ces succès, qui éclateront des années 1970 aux années 1980, il était logique d'envisager une nouvelle symétrie fondamentale dans la nature, prolongeant la théorie de la relativité restreinterelativité restreinte d'EinsteinEinstein, mais capable de contenir aussi les champs quantiques de matière et de forces découverts depuis les années 1930.
Dans cette vidéo, le Dr Don Lincoln du Fermilab décrit le principe de la supersymétrie de manière simple. Une théorie est supersymétrique si elle traite les forces et la matière sur un pied d'égalité. Bien que la supersymétrie ne soit pas une idée prouvée, elle est populaire auprès des chercheurs en physique des particules comme la prochaine étape possible de la physique des particules. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © Fermilab
La supergravité, une théorie née à l'École normale supérieure de Paris
Magiquement, si l'on prenait la supersymétrie pour une symétrie locale définie avec des supergroupes de symétrie, comme on l'avait fait en prenant les groupes de symétrie de l'électromagnétique et des forces nucléaires, on obtenait automatiquement les équationséquations d'Einstein de la gravitation en 4 dimensions complétées par l'existence d'autres particules. Enfin, les quantités infinies que l'on rencontrait lorsque l'on voulait faire des calculs quantiques, avec les fameux diagrammes de Feynmandiagrammes de Feynman avec la théorie d'Einstein, semblaient disparaître avec les équations de supergravité.
Sa découverte avait commencé par des discussions entre Ferrara et Freedman à l'École normale supérieure de Paris en 1975 et s'était poursuivie via une collaboration avec van Nieuwenhuizen de l'université Stony Brook (États-Unis). Elle est devenue rapidement prometteuse lorsque que l'on s'est aperçu en utilisant des ordinateursordinateurs que les calculs quantiques semblaient bel et bien finis, en accord avec les observations.
Malheureusement, alors que la théorie a conduit à de véritables miracles théoriques dans les années qui vont suivre, avec le problème de l'origine de l’information stockée dans des trous noirs, des outils de calculs indirects donnant de nouveaux aperçus sur les gluonsgluons, les plasmas de quarks et la supraconductivité via la fameuse correspondance de Maldacena, nous ne savons toujours pas si la supergravité a bien été une voie que la Nature a empruntée, si l'on peut dire, pour tisser le canevas de ses lois et unifier matière et forces.
Dans le pire des cas, les échecs des expériences pouvant tester certaines de ses prédictions nous auront permis de savoir que la Nature n'avait justement pas utilisé cette façon si élégante et convaincante de généraliser les théories d'Einstein pour unifier le monde des particules avec l'espace-temps et permettre un traitement quantique cohérent, pour autant que nous le sachions, de cette unification.
Bien que la physique des particules moderne soit confrontée à de nombreux défis, l’ultime (et certainement l’un des plus difficiles) est peut-être de décrire la nature de la gravité dans le domaine quantique. Malgré un siècle d'efforts, les scientifiques n'ont eu que le succès le plus superficiel. Dans cette vidéo, le Dr Don Lincoln du Laboratoire Fermi parle de l’idée de la gravité quantique et décrit la nécessité de cette avancée difficile. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © Fermilab
La supergravité est-elle la bonne théorie de la gravitation quantique ?
Article de Laurent SaccoLaurent Sacco publié le 25/05/2009
Comprendre l'origine de l'UniversUnivers et le destin de la matière tombant dans un trou noirtrou noir nécessite une théorie quantique de la gravitation. Découverte dans la seconde moitié des années 1970, la supergravité offrait l'espoir d'une telle théorie mais les physiciens l'ont abandonnée au début des années 1980. Certains résultats récents pourraient la remettre en selle...
Lorsque le champ de gravitation est fort, comme c'est le cas pour une étoileétoile à neutronneutron dont 1 cm3 peut peser des millions de tonnes ou pour des trous noirs de massemasse stellaire, la théorie de la relativité d'Einstein devient indispensable. Elle l'est également lorsqu'il s'agit de considérer l'Univers à grande échelle dont le rayon observable dépasse aujourd'hui les 46 milliards d'années-lumièreannées-lumière. Mais pour pénétrer dans les entrailles des protonsprotons, dont la taille est d'environ 10-15 mètre, les lois de la mécanique quantiquemécanique quantique deviennent incontournables. A priori, ces deux domaines de la physique relevant l'un de l'infiniment grand et l'autre de l'infiniment petit ne se recoupent pas.
Cette conclusion est fausse. Lorsque l'Univers observable était jeune et qu'il possédait une taille inférieure à celle d'un proton, sa formidable densité et l'extrême intensité du champ de gravitation ne peuvent être comprises sans une théorie quantique de la gravitation combinant les équations de la relativité généralerelativité générale avec celles de la mécanique quantique. Malheureusement, les calculs font intervenir des quantités croissant sans limites, ce que l'on appelle des divergences infinies.
En 1976, un groupe de physiciens, Daniel Z. Freedman, Peter van Nieuwenhuizen et Sergio Ferrara, de l'Université de Stony Brook, découvrirent une merveilleuse généralisation de la théorie de la relativité générale qu'ils baptisèrent la supergravité. Comme on ne tarda pas à le découvrir, cette théorie pouvait en fait exister sous différentes formes et en plusieurs dimensions d'espace. MathématiciensMathématiciens et physiciens s'unirent pour classifier les différentes théories possibles car, comme ils le découvrirent rapidement, certaines de ces théories ne souffraient pas des problèmes de divergences infinies, au moins lorsqu'on ne poussait pas trop loin les calculs.
Une classe de théorie en 4 dimensions retint particulièrement l'attention des chercheurs pendant un temps. Il existe en gros 4 classes de théories de supergravité selon que l'on considère 1, 2, 4 et enfin 8 opérations mathématiques ressemblant à des rotations autour d'un axe. On y parle alors de générateursgénérateurs de supersymétrie. La théorie considérée par les chercheurs est celle dite N=8, avec donc 8 générateurs de supersymétrie.
Une théorie unifiée de la matière et des interactions ?
Au début des années 1980, Stephen Hawking se demandait si cette théorie, dont l'exploration commençait, pouvait être, en plus d'une théorie de gravitation quantiquegravitation quantique, une théorie unifiée de la matière et de toutes les interactions.
Dans le cadre des théories dites supersymétriques, et la supergravité n'en est qu'un exemple parmi d'autres, les particules de matière comme les électronsélectrons et les quarks, peuvent être unifiées avec les particules transportant les forces, comme les photonsphotons et les bosonsbosons Z et W, ou encore les gluons.
Si l'on veut se faire une idée de la supersymétrie, on peut prendre l'exemple des vecteurs dans le plan. Il n'est pas possible de prendre la racine carrée d'un vecteur de prime abord, mais si l'on décrit un tel vecteur comme un nombre complexe, alors cela ne pose plus aucun problème. Si l'on veut généraliser la notion de nombre complexe à l'espace, plus précisément à l'espace-temps de la relativité, il s'introduit naturellement des sortes de racines carrées des vecteurs de l'espace-temps que l'on appelle des spineurs.
Les particules de matière comme les neutrinosneutrinos et les quarks sont décrites par des spineurs alors que les gluons et les photons par des vecteurs. C'est une autre façon de dire que les particules de matière sont des fermionsfermions alors que les particules médiatrices des forces sont des bosons.
Dans le cadre de la supersymétrie, il est possible de considérer une sorte de super-espace dans lequel les bosons et les fermions sont des composantes d'une sorte de super vecteur qui peut tourner autour de l'analogue d'axes dans l'espace. De cette façon, fermions et bosons deviennent inséparables et à chacune des particules connues dans le modèle standardmodèle standard des interactions correspond un superpartenaire. Ainsi, aux quarks fermioniques sont associés des bosons, les squarkssquarks, et aux gluons et photons bosoniques sont associés des gluinos et des photinosphotinos, qui sont des fermions.
Il se trouve que la supersymétrie conduit naturellement à considérer une généralisation de la théorie d'Einstein, cette dernière, même, s'en déduit. La différence est que l'analogue du photon des ondes électromagnétiquesondes électromagnétiques devient pour les ondes gravitationnellesondes gravitationnelles, dont on a des preuves indirectes avec l'étude des pulsarspulsars, une particule bosonique que l'on appelle le graviton, qui n'est pas un vecteur mais un tenseurtenseur. Il existe cependant un superpartenaire associé au graviton et qui est un fermion, le gravitinogravitino.
Cette situation est celle de la théorie à un seul générateur de supersymétrie. Dans le cas avec 8 générateurs, les divergences infinies de la gravitation quantique que l'on connaissait dans certains calculs disparaissaient. De plus, la théorie incorporait un grand nombre de nouvelles particules qui ressemblaient aux particules du modèles standard et surtout, elles étaient suffisamment nombreuses pour pouvoir peut-être correspondre à toutes celles que l'on connaissait alors.
L'espoir du début des années 1980 était donc que si l'on savait faire correctement tous les calculs dans la théorie de supergravité, non seulement on pourrait en déduire le modèle standard mais on finirait aussi par prouver que toutes les divergences infinies disparaissaient dans tous les calculs possibles. Le prix Nobel Murray Gell-Mann était par exemple parvenu à dériver l'existence de fermions qui possédaient les mêmes charges fractionnaires que les quarks.
Hélas, assez rapidement, on découvrit que la supergravité N=8 était désespérément rebelle à la présence de neutrinos et d'électrons violant la parité comme dans le modèle des interactions électrofaibles. Pire, les méthodes habituelles utilisées pour étudier l'apparition des divergences infinies dans les calculs de théorie quantique des champs n'étaient pas très optimistes quant à la disparition des quantités infinies en supergravité lorsque l'on poussait suffisamment loin la précision des calculs.
En 1984, les calculs de Michael B. Green et John H. Schwarz effectués dans le cadre de la théorie des supercordes portèrent un coup presque fatal à la théorie. En remplaçant les particules par des cordes et en augmentant jusqu'à 9 le nombre de dimensions de l'espace, on découvrit que l'on pouvait obtenir les électrons et les neutrinos du modèle standard tout en ayant une théorie de gravitation quantique finie.
La théorie des supercordes est-elle vraiment incontournable ?
La situation est peut-être en train de se retourner depuis quelque temps. D'abord la théorie des cordesthéorie des cordes elle-même se révéla être un assemblage de 5 théories possibles et non pas une seule. Ensuite, on découvrit au début des années 1990 que ses 5 théories devaient être des cas particulier d'une théorie à 11 dimensions d'espace-temps faisant intervenir non plus des cordes mais des membranes. Or, à basse énergie en 11 dimensions la nouvelle théorie baptisée théorie Mthéorie M donne l'unique théorie de supergravité N=1 et des membranes. Compactée à la Kaluza-Klein en 4 dimensions, elle donne précisément la théorie de supergravité N=8.
On comprend donc pourquoi, depuis quelques années, la question de l'apparition réelle de divergences infinies dans la supergravité D=4 et N=8 (où D est le nombre de dimensions de l'espace-temps) est examinée a nouveau. Si l'on en croit les travaux de chercheurs comme Michael Green, Pierre Vanhove et plus récemment Zvi Bern et Lance Dixon, certaines des divergences que l'on croyait devoir apparaître en supergravité N=8 au début des années 1980 lorsque l'on serait capable de pousser les calculs quelques crans plus loin... ne sont tout simplement pas là !
Il se pourrait donc bien qu'une théorie de supergravité pure en 4 dimensions, celle avec N=8, soit non seulement finie mais contienne effectivement le modèle électrofaible avec violation de la parité. La théorie des cordes n'est peut-être pas nécessaire après tout...
Ce qu’il faut
retenir
- La supergravité, une théorie qui existe en fait sous plusieurs formes et dans plusieurs dimensions d'espace-temps, généralise naturellement la théorie d'Einstein de la gravitation.
- Découverte en 1976 par Peter van Nieuwenhuizen, Sergio Ferrara et Daniel Z. Freedman, elle a été une théorie prometteuse pour unifier les forces et les particules de matière dans certaines de ses versions.
- Elle était prometteuse comme théorie quantique de la gravitation avant d'être détrônée temporairement par la théorie des cordes.
- C'est toujours un sujet actif de recherche qui a eu un énorme impact sur la physique des 50 dernières années sans que l'on ait pour le moment de preuves expérimentales de sa validité.
- Peter van Nieuwenhuizen, Sergio Ferrara et Daniel Z. Freedman viennent de recevoir en conséquence, non le prix Nobel mais le fameux Special Breakthrough Prize in Fundamental Physics.