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La mécanique quantique est née pendant le premier quart du XXe siècle de l'exploration théorique et expérimentale des interactions entre la lumière et la matière. Pendant le second quart du siècle dernier, l'interprétation de son formalisme a divisé les pères fondateurs avec d'un côté EinsteinEinstein et Schrödinger qui pensaient que la solution donnée par la théorie au problème de la dualité onde-corpuscule était encore provisoire. De l'autre côté, Bohr et Heisenberg pensaient qu'elle était définitive. Du débat Bohr-Einstein-Schrödinger en sont sorties un certain nombre d'expériences de pensée que la technologie de l'époque ne permettait pas de réaliser. Il fallut attendre pour cela la fin du XXe siècle et notamment les travaux désormais célèbres d'Alain Aspect, Serge Haroche et leurs collègues.
S'ils étaient encore vivants, Bohr et Heisenberg n'auraient probablement aucune raison de modifier d'un iota leur position. L'expérience réalisée pour la première fois par une équipe de physiciensphysiciens français, suédois et japonais à l'aide de la ligne de lumière Pléiades au synchrotron Soleil leur donnerait un argument supplémentaire, comme on peut s'en convaincre en lisant l'article consacré à ce sujet dans la revue Nature Photonics.
Une expérience de pensée datant du congrès Solvay de 1927
Rappelons que l'expérience de pensée de la double fente dite d'Einstein-Bohr est présentée au début du célèbre cours de Feynman sur la mécanique quantique ainsi que, bien que très partiellement, au début aussi de celui de physiquephysique théorique de Lev Landau. Avec elle, Einstein pensait pouvoir prouver le caractère contradictoire de l'interprétation dite de Copenhague de la mécanique quantique, plus précisément, en violant une des inégalités de Heisenberg. Avec cette expérience d'interférenceinterférence similaire à celle des trous d'Young, mais avec des objets quantiques comme un quanta de lumière ou une onde de matière associée à un corpuscule, électronélectron ou moléculemolécule, la théorie quantique exige qu'il ne soit pas possible de préciser la trajectoire de ces objets tout en maintenant la formation de franges d'interférence.
Une vidéo du congrès de Solvay de 1927, prise par Irving Langmuir. Lors de cette conférence, plusieurs des plus beaux textes de l’histoire des sciences furent présentés. Portant sur l’état de la théorie quantique à l’époque, ils marquent en quelque sorte la naissance de l’interprétation orthodoxe de la mécanique quantique. Ces écrits montrent que les pères fondateurs ne s’accordaient pas entre eux. Schrödinger, Einstein et de Broglie n’avaient pas la même vision que Bohr, Pauli, Heisenberg et Born. On peut trouver les rapports du congrès dans une publication complète sur arxiv (Quantum Theory at the Crossroads : Reconsidering the 1927 Solvay Conference). © Nancy Thorndike Greenspan, YouTube
Einstein avait proposé de déterminer par quelle fente un de ces objets était passé en mesurant sa quantité de mouvementquantité de mouvement longtemps après le passage de l'onde électromagnétiqueonde électromagnétique ou de l'onde de matière à travers les deux fentes. Ce passage devait s'accompagner d'un transfert de quantité de mouvement animant le dispositif percé de ces deux fentes, vers le haut ou vers le bas, selon la fente à travers laquelle était passé le corpuscule associé à l'onde (voir le schéma C ci-dessous). Les deux fentes étant ouvertes, on devait observer une figure d'interférence tout en pouvant préciser par quelle fente le corpuscule était passé, en contradiction avec l'interprétation orthodoxe des équationséquations de la mécanique quantique.
Les ubiquistes inégalités de Heisenberg
Mais Bohr avait répliqué qu'il ne fallait pas oublier que l'inégalité de Heisenberg interdisant de mesurer avec précision une position et une quantité de mouvement simultanément avec un objet quantique devait s'appliquer aussi au dispositif avec les deux fentes. Connaître précisément sa quantité de mouvement lors de ce passage impliquait que sa position ne pouvait être définie, et donc celle des fentes non plus. Cela provoquait la disparition des franges d'interférences et restaurait la cohérence de l'interprétation orthodoxe de la théorie quantique.
Il n'avait jamais vraiment été possible jusqu'à présent de réaliser cette expérience en obtenant des résultats clairs et solidessolides. Mais les rayons Xrayons X disponibles avec PléiadesPléiades ont permis à Catalin Miron et ses collègues (dont certains avaient déjà travaillé avec lui sur la première observation de l'effet Doppler rotationnel moléculaire) de réaliser enfin ce test des idées d'Einstein et de Bohr qui remontait au fameux congrès Solvaycongrès Solvay de 1927.
Représentation schématique de l’expérience de pensée à double fente née du débat entre Einstein et Bohr, avec des fentes massives couplées (a) et découplées (c). De même, la matérialisation schématique de cette expérience de pensée basée sur le processus de photo-ionisation moléculaire où les deux fentes sont remplacées par deux atomes d’oxygène couplés (b) et découplés (d) émettant des électrons Auger (voir les explications ci-dessous). © Synchrotron Soleil
L'idée centrale était d'utiliser une molécule de dioxygène. Les deux atomesatomes pouvaient être considérés comme l'équivalent des deux fentes de l'expérience d'Einstein-Bohr. Sous l'action d'un faisceau de photonsphotons dans le domaine des rayons X, la molécule devient excitée. Il peut alors se produire l'éjection d'un électron rapide par effet Augereffet Auger. Ce processus peut se faire de deux façons, soit avant que la molécule ne se dissocie, soit après. Dans le second cas, la photo-ionisationionisation s'accompagne d'un transfert de quantité de mouvement entre l'électron Auger et l'un des atomes. En mesurant les caractéristiques des ionsions et des électrons, il est alors possible de déterminer non seulement laquelle de ces éventualités s'est produite, mais surtout de déterminer quel atome a émis une onde de matière sous la forme d'un électron. Ce qui est équivalent à déterminer par quelle fente un photon est passé dans l'expérience initiale d'Einstein-Bohr.
Une population de molécule d'O2 va donc générer une population d'électrons Auger dont les ondes de matière peuvent produire des franges d'interférence ou non. Les physiciens ont constaté qu'elles disparaissaient lorsqu'il était possible d'étiqueter les trajectoires de ces électrons Auger, en accord avec l'interprétation de Copenhagueinterprétation de Copenhague. Bohr et Heisenberg triomphent à nouveau.