au sommaire
Comment est né, il y a plus de 13,8 milliards d'années, l'univers observable ? On ne le sait pas encore et divers modèles et théories physiques ont été proposés. Il faut de toute façon faire intervenir une théorie quantique de la gravitation. Elle pose alors le problème de l'origine même du temps. © Max Planck Institute for Gravitational Physics
Le LHC avait le potentiel de faire la lumière sur bien des secrets de la gravitation quantiquegravitation quantique si l'on y avait produit des mini trous noirs. Pour diverses raisons, malheureusement, cela semble maintenant impossible. Il reste de l'espoir avec les observations de Planck concernant le rayonnement fossile, mais il va falloir attendre 2014 pour en savoir, peut-être, un peu plus.
On sait qu'une théorie de la gravitation quantique est une nécessité pour tenter de comprendre vraiment comment l'univers observable est né. Il faut en effet marier les principes de la mécanique quantique avec ceux de la relativité générale, si l'on considère les champs de gravitation et la densité d'énergieénergie du cosmoscosmos observable lorsque celui-ci était bien plus petit qu'un atomeatome. Les premières tentatives sérieuses datent de la fin des années 1960, avec les travaux de John Wheeler et Bryce DeWitt. Les deux chercheurs ont découvert une équationéquation qui correspond à l'équation de Schrödingeréquation de Schrödinger quand on cherche à décrire l'universunivers entier comme un seul système quantique.
La problématique équation de Schrödinger
Il est apparu très tôt une grave difficulté avec l'équation de Wheeler-DeWitt. En effet, alors que nous percevons que l'univers évolue, que l'espace en particulier y est en expansion, la version de l'équation de Schrödinger s'appliquant à l'espace-tempsespace-temps en entier (donc y compris son passé et son futur), ainsi qu'à son contenu en matièrematière et champs de forces, ne dépend pas du temps. Comment se fait-il que nous, les observateurs faisant partie de l'univers, constations bel et bien que celui-ci change au cours des milliards d'années de son histoire ? C'est ce que l'on appelle traditionnellement le problème du temps en cosmologiecosmologie quantique.
Diverses tentatives de réponses ont été proposées. Souvent, elles reposent sur l'interprétation de la théorie quantique dite de Copenhague. Il y a en réalité plusieurs interprétations des équations de la mécanique quantique et il existe de subtiles différences entre les physiciensphysiciens, même quand ils se réclament de l'interprétation orthodoxe proposée vers 1927 par Niels BohrNiels Bohr.
Selon le savant danois et ceux qui le suivent, le rôle de l'observateur et de ses instruments de mesure est fondamental et doit être pris en compte lorsque l'on veut parler des propriétés d'un système physiquephysique. EinsteinEinstein n'aimait pas cette manière de voir pour plusieurs raisons et c'est pourquoi il avait fini, dans l'espoir de réfuter les idées de Bohr, par découvrir le fameux paradoxe EPR avec l'intrication quantique des particules. Nous savons aujourd'hui que cette intrication est bien réelle et qu'elle peut exister entre plusieurs systèmes physiques.
Le physicien théoricien Don Page est un expert dans le domaine de l'évaporation des trous noirs et en cosmologie quantique. C'est un des anciens élèves de Stephen Hawking. © University of Alberta
L'interprétation de Copenhague et la cosmologie quantique
Au début des années 1980, les physiciens Don Page et William Wootters se sont penchés sur la question du temps en cosmologie et ont proposé une réponse en 1983. Cela n'est guère étonnant dans le cas de Don Page, car celui-ci avait été l'élève de Stephen Hawking dans les années 1970, au moment où celui-ci avait découvert le phénomène d'évaporation des trous noirstrous noirs. Hawking s'en était servi pour forger des outils pour s'attaquer à un problème qui ressemblait à l'inverse de la formation d'un trou noir par effondrementeffondrement gravitationnel, l'émergenceémergence de l'univers d'une phase de gravitation quantique au moment du Big Bang. C'est d'ailleurs de 1983 aussi que date la publication du fameux modèle de cosmologie quantique de Hartle-Hawking, reposant sur l'intégrale de chemin de Richard FeynmanRichard Feynman. Il s'agit précisément d'une solution de l'équation de Wheeler-DeWitt.
Pour faire émerger le temps pour des observateurs en cosmologie quantique, le mécanisme de Page-Wootters suppose que les appareils utilisés par ces observateurs pour mesurer l'écoulement du temps sont intriqués avec le reste de l'univers observable. Par définition, il n'y a pas d'observateurs en dehors de l'espace-temps de l'univers. Ce n'est donc pas étonnant que pour celui-ci, considéré comme un tout, il n'y ait pas d'évolution temporelle. Mais rien ne s'oppose à ce que relativement à une horloge qui fait partie de cet univers comme sous-système, le reste apparaisse comme évoluant dans le temps, comme l'explique aussi l'un des pères de la théorie de l'inflation, Andrei Linde.
Le mécanisme de Page-Wootters à l'épreuve de l'expérience
Pour tester au moins le principe de cette explication, qui fait en plus intervenir l'intrication quantiqueintrication quantique, il fallait réaliser un système physique analogue en laboratoire. C'est précisément ce qu'a fait un groupe de physiciens, qui a déposé un article sur arxiv.
Les chercheurs ont commencé par produire des paires de photonsphotons polarisés intriqués. Les photons étaient dans un état de superposition avec une polarisation linéaire horizontale et une verticale. Chacun était envoyé dans des canaux constitués d'un quartzquartz susceptible de changer l'état de polarisation des photons. Pour un observateur extérieur cherchant à mesurer globalement l'évolution des deux photons, aucune évolution temporelle n'apparaît. Mais si l'observateur veut mesurer l'état de polarisation d'un des photons dans un des canaux, il constate que, plus un photon a voyagé loin et donc longtemps, plus son état de polarisation a été affecté. Du fait de l'intrication quantique, l'état de l'autre photon a aussi changé. Le premier photon se comporte donc comme une horloge permettant de mesurer l'évolution du second photon qui constitue en quelque sorte la partie observable d'un univers statique, la paire de photons intriqués. L'intrication quantique fait donc entrer l'observateur et son « photon-horloge » en tant que partie de cet univers et lui faire percevoir l'autre partie en évolution.
Le mécanisme de Page-Wootters existe donc bien pour un sous-système quantique de l'univers réel. Bien sûr, on ne peut pas en conclure qu'il opère aussi pour celui-ci, car il faudrait déjà démontrer que les êtres humains eux-mêmes, et surtout les instruments de mesure qu'ils utilisent pour mesurer le temps, sont intriqués avec le reste de l'univers. Cela n'a rien d'évident. Il n'en reste pas moins que l'hypothèse de Page-Wooters a subi un premier test, et que l'expérience ne l'a pas réfutée. Le problème du temps, auquel ont réfléchi aussi François Englert et Robert Brout, est donc encore loin d'avoir trouvé sa solution.