Dans les années 1910, deux physiciens imaginaient concevoir un cristal liquide dont les molécules adopteraient un comportement ordonné. Plus de 100 ans après, c’est ce que des chercheurs sont enfin parvenus à observer. De quoi envisager un nouveau monde de matériaux.


au sommaire


    Ceux que l'on connait sous le nom de cristaux liquides peuvent se présenter sous différentes phases. L'une d'entre elles, la phase qualifiée de nématique ferroélectrique, avait été imaginée il y a plus de 100 ans. Elle vient juste d'être observée par des chercheurs de l’université du Colorado, à Boulder (États-Unis).

    Pour comprendre, visualisons ces cristaux liquides dans leur phase nématique conventionnelle comme une poignée d'épingles jetées sur une table -- les molécules qui forment les cristaux liquides se présentent en effet comme des bâtonnetsbâtonnets chargés positivement d'un côté, négativement de l'autre. La moitié des molécules pointent alors vers la droite, l'autre vers la gauche. De manière plus ou moins aléatoire. Mais, dans la phase nématique ferroélectrique, les molécules apparaissent beaucoup plus disciplinées. Des domaines se forment dans lesquels toutes les molécules pointent dans la même direction. Il se crée ce que les physiciensphysiciens appellent un ordre polaire.

    Vues au microscope, les couleurs vives prises par le RM734. © SMRC, Université du Colorado
    Vues au microscope, les couleurs vives prises par le RM734. © SMRC, Université du Colorado

    Tout un monde à découvrir

    Les chercheurs de l'université du Colorado se sont concentrés sur une molécule organique baptisée RM734. Leur attention avait été attirée par le fait que, si le RM734 se comporte, à des températures élevées, comme un cristal liquide nématique conventionnel, les choses semblent changer à des températures plus basses. Ainsi, les chercheurs ont découvert qu'en lui appliquant un champ électrique faible, des couleurs saisissantes apparaissent au microscopemicroscope. De manière 100 à 1.000 fois plus sensible que pour de simples cristaux liquides nématiques.

    Dans les domaines qui apparaissent sur cette vue au microscope de la phase nématique ferroélectrique du RM734, presque toutes les molécules prennent la même orientation. © SMRC, Université du Colorado
    Dans les domaines qui apparaissent sur cette vue au microscope de la phase nématique ferroélectrique du RM734, presque toutes les molécules prennent la même orientation. © SMRC, Université du Colorado

    Les chercheurs ont aussi observé que des domaines distincts -- de molécules alignées -- peuvent se former lorsque les cristaux liquides refroidissent. Presque toutes les molécules pointent alors dans une seule et même direction.

    Reste désormais à comprendre les mécanismes de cette phase nématique ferroélectriques. Et, grâce à des techniques type intelligence artificielle, les chercheurs espèrent aussi découvrir d'autres fluides de ce genre.


    Cristaux liquides : une nouvelle phase nématique pour écrans LCD

    Les écrans LCDécrans LCD utilisent des cristaux liquides dans une phase dite nématique torsadée. Une quatrième phase nématique a été découverte voilà quelques années, et elle vient de faire l'objet d'une étude plus poussée. On peut la contrôler plus rapidement avec un champ électrique, ce qui ouvre la voie à des écrans LCD moins gourmands en énergie.

    Article de Laurent SaccoLaurent Sacco paru le 18/11/2013

    Trois des quatre phases nématiques connues aujourd'hui pour les cristaux liquides. Elles diffèrent par l'orientation dans l'espace des molécules, que l'on voit sous forme de bâtonnets. La phase dite N<sub>tb</sub>, pour <em>nematic twist-bend phase</em> en anglais, est prometteuse pour des applications comme des écrans d'affichage ou de télévision. © <em>Nature</em>
    Trois des quatre phases nématiques connues aujourd'hui pour les cristaux liquides. Elles diffèrent par l'orientation dans l'espace des molécules, que l'on voit sous forme de bâtonnets. La phase dite Ntb, pour nematic twist-bend phase en anglais, est prometteuse pour des applications comme des écrans d'affichage ou de télévision. © Nature

    Les cristaux liquides font partie intégrante de notre vie de tous les jours, car ils sont utilisés dans des dispositifs tels que les téléphones mobilesmobiles, les écrans d'ordinateur et les téléviseurs. La grande majorité de ces appareils utilisent des molécules qui constituent des cristaux liquides dits nématiques torsadés. Les pionniers de l'étude des cristaux liquides seraient sans doute fort surpris de ces applicationsapplications, qu'ils ne pouvaient prévoir.

    L'étude des cristaux liquides a commencé entre 1850 et 1880, avec l'observation de substances d'origine biologique qui présentaient plusieurs points de fusionfusion. Un peu plus tard, on a découvert qu'il s'agissait d'un état de la matièreétat de la matière combinant des propriétés d'un liquide conventionnel et celles d'un solidesolide cristallisé. Le physicien allemand Otto Lehmann proposa le nom de cristal liquide en 1890 pour ces substances étranges.

    Les cristaux liquides, une nouvelle phase de la matière

    Elles furent réparties en trois grandes familles, que l'on appelle des mésophases ou états mésomorphes (« de forme intermédiaire » en grec) par le minéralogiste Georges Friedel en 1922. Le chercheur distingua donc des mésophases que l'on désigne souvent sous les termes de phases nématique, smectique et cholestérique.

    Georges Friedel (1865-1933) est un minéralogiste français auteur d'importants travaux sur les cristaux liquides. Il a défini les trois grandes phases des cristaux liquides connues au XX<sup>e</sup> siècle, et on lui doit le terme de « nématique » désignant l'une de ces phases. © Wikipédia, DP
    Georges Friedel (1865-1933) est un minéralogiste français auteur d'importants travaux sur les cristaux liquides. Il a défini les trois grandes phases des cristaux liquides connues au XXe siècle, et on lui doit le terme de « nématique » désignant l'une de ces phases. © Wikipédia, DP

    Des subdivisions existent, et l'on connaissait notamment trois phases nématiques au XXe siècle, dont la fameuse phase des cristaux liquides dits nématiques torsadés, utilisée pour les écrans LCD. Rappelons que dans la phase nématique, bien que les molécules qui la composent soient presque orientées de façon aléatoire comme dans les liquides classiques, elles sont préférentiellement orientées dans une même direction. Il est possible d'utiliser un champ électrique pour contrôler cette direction, de sorte que les molécules peuvent être utilisées comme des interrupteurs, laissant passer ou non de la lumièrelumière.

    De nouveaux cristaux liquides pour écran LCD

    Il se trouve qu'en 2010, une quatrième phase nématique a été découverte par des chercheurs des universités de Dublin et de Hull. Cette phase, qui a été identifiée quelque temps plus tard, avait en fait été prédite dès 1973. Elle a reçu le nom de phase nématique en « torsiontorsion-flexionflexion » (nematic twist-bend phase en anglais). Des physiciens et des chimistes viennent de publier les résultats d'une étude plus approfondie de cette nouvelle phase dans un article de Nature Communications, également disponible sur arxiv. Ils auraient sans doute intéressé Pierre-Gilles de Gennes, l'un des grands maîtres de la théorie des cristaux liquides.

    Les chercheurs ont ainsi découvert, grâce à la microscopie électronique à transmission, que les molécules sont disposées selon une structure en « torsion-flexion » avec une périodicité d'environ 8 nm. C'est une longueur environ 10.000 fois plus petite que l'épaisseur d'un cheveu humain.

    Selon Corrie Imrie, l'un des chimistes de l'université d'Aberdeen qui a été impliqué dans cette découverte, « cette nouvelle phase nématique possède des propriétés fascinantes qui offrent de réels défis à notre compréhension de la matière condensée, mais elle a aussi un vrai potentiel pour des applications ». Et le chercheur ajoute que « ces applications pourraient être des dispositifs d'affichage à commutationcommutation rapide vraiment impressionnants, des écrans de télévision couleur améliorés, voire des capteurscapteurs biologiques ».