Le buckminsterfullerène est une molécule de carbone reconnaissable à sa forme de ballon de football. Depuis un certain temps, les chercheurs le suspectaient d'être la clé d'une énigme de l'astrophysique : l'origine des bandes diffuses interstellaires (DIB). Une étude en laboratoire de deux raies d'absorption du buckminsterfullerène a finalement montré que celles-ci coïncidaient bien très précisément avec deux DIB.
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On affirme souvent que les premières molécules du milieu interstellaire (MI) ont été découvertes en 1941, à proximité d'étoiles, grâce à leurs raies d'absorptionabsorption. Il semble toutefois que cet honneur revienne à l'astrophysicienne Mary Lea Shane (née Heger, 1897-1983) qui, à partir du début des années 1920, avait déjà mis en évidence la présence de quelque chose d'assez particulier dans le spectre de certaines étoiles. D'autres chercheurs démontrèrent par la suite que ses observations n'étaient pas associées à des étoiles mais bien au MI s'interposant entre elles et notre planète. Heger avait ainsi découvert l'existence de ce que l'on appelle aujourd'hui les bandes diffuses interstellaires (DIB). Il s'agit de bandes d'absorption dans le domaine visible ainsi que dans le proche infrarouge, qui ne correspondaient à l'époque à aucun spectre d'ion ou de molécule connu.
En 1985, et parce qu'ils cherchaient à mieux comprendre le MI, Harry Kroto, Bob Curl et Rick Smalley ont réussi à synthétiser en laboratoire une grosse molécule de carbonecarbone avec la géométrie de l'icosaèdre régulier. Cette molécule allait devenir célèbre : il s'agit du buckminsterfullerène, avec sa formule C60. Kroto avait baptisé cette nouvelle molécule en hommage à l'architectearchitecte américain Richard Buckminster Fuller, le créateur des dômes géodésiques. L'existence des molécules de buckminsterfullerène avait été prédite en 1970 par un chimiste japonais, Eiji Osawa, mais Kroto l'ignorait quand il s'est lancé à la même époque dans un programme de recherche de chaînes carbonées dans l'espace interstellaire, pensant que ces molécules pouvaient se former dans les atmosphèresatmosphères des étoiles carbonées.
Ayant entendu parler plus tard des travaux de spectrographie laser de Richard Smalley et de Robert Curl à l'université Rice, aux États-Unis, il s'associa à eux pour simuler en laboratoire ces atmosphères et tenter d'y détecter la présence de molécules C60. Leur succès fut annoncé par un article de Nature en 1985 et il vaudra à ces chercheurs le prix Nobel de ChimieChimie 1996. D'autres molécules de carbone en forme de ballonballon de football, possédant un nombre d'atomesatomes de carbone différent, plus grand ou plus petit que 60, furent découvertes par la suite. Elles sont collectivement désignées par le terme « fullerène ».
Cependant, deux questions restaient en suspens : le buckminsterfullerène et ses variantes existaient-ils bien dans le MI ? Pouvait-on expliquer les bandes diffuses interstellaires (DIB) qui leur étaient associées ?
Des raies d'émission au raies d'absorption du buckminsterfullerène
Une réponse positive à la première question fut donnée avec la découverte de raies d'émissionémission dans l'infrarouge que l'on pouvait bel et bien attribuer à la molécule C60. C'est ce qu'a affirmé en 2010 un astronomeastronome de l'institut Seti, Jan Cami. À l'aide de Spitzer, Cami et ses collègues ont en effet mis en évidence, par hasard, la présence du fullerènefullerène C60 dans la nébuleuse planétaire Tc1. Mais, comme il s'agissait de raies d'émission associées aux modes de vibrationvibration de la molécule de buckminsterfullerène, cela ne s'appliquait pas aux DIB, qui sont des bandes d'absorption. En 2013, dans un article publié sur arXiv par une équipe d'astronomes de l'Irap (institut de recherche en AstrophysiqueAstrophysique et planétologie) et de l'observatoire de Cagliari (Italie), une seconde preuve de la présence de C60+ (du buckminsterfullerène ionisé sous forme gazeuse) dans le MI a été apportée.
Ces preuves n'ont pas convaincu tous le monde mais, surtout, elles laissaient la question des DIB en suspens. Il semble maintenant que cette énigme ait été résolue par une équipe de chercheurs de l'université de Bâle, en Suisse, qui vient de publier à ce sujet un article dans Nature.
Le chimiste John P. Maier a travaillé à la résolutionrésolution de ce problème depuis près de 20 ans. Il s'agissait de mesurer très précisément des bandes d'absorption de la molécule C60+ dans les mêmes conditions que celles du MI en laboratoire et de les comparer aux observations précédentes. Dans ce but, Maier et ses collègues ont confiné des milliers de molécules C60+ dans un piège à ions de Paul et les ont ensuite refroidies à 6 kelvinskelvins avec de l'héliumhélium liquideliquide.
Ils ont finalement observé deux DIB qui correspondaient parfaitement à celles mesurées dans le MI, aussi bien par leur position dans les spectres que par leurs largeurs spectrales et leurs intensités. Une vieille énigme de l'astrophysique est ainsi résolue, ouvrant de nouvelles perspectives en astrochimie.