Une molécule ionisée formée à partir de l'hélium, HeH+, suggérait une solution à l'énigme de la formation des premières étoiles. On vient de montrer que cette molécule pouvait effectivement se former dans des conditions similaires à celles régnant au moment où les premiers atomes neutres ont commencé à naître, 380.000 ans après le début du cosmos observable. Cette molécule pourrait même avoir été la première à se former à ce moment-là.

Astrophysiciens et cosmologistes sont confrontés depuis longtemps à une énigme lorsqu'ils veulent comprendre la formation des premières étoiles. Pour comprendre de quoi il en retourne, il faut se rappeler quelques éléments de la théorie générale de la formation des étoiles. Lorsqu'on expose cette dernière, on commence par introduire le célèbre critère de Jeans, lequel montre que dans certaines conditions de densités et de températures il existe une masse limite pour un nuage de gaz au-dessus de laquelle il doit s'effondrer, puis se fragmenter, pour donner des étoiles sous l'effet de sa propre gravité.

Des nuages moléculaires pouponnières d'étoiles

Mais à y regarder de plus près, ce processus ne va pas de soi. La première complication est celle de la conservation du moment cinétique. Il implique qu'un nuage en rotation en train de s'effondrer voit sa vitesse angulaire augmenter, à la façon d'une patineuse qui rapproche ses bras. Il en résulte que les forces centrifuges augmentent et peuvent arrêter l'effondrement du nuage dans son plan équatorial. Or, les nuages moléculaires qui servent de pouponnières d'étoiles sont tous un peu turbulents, ce qui veut dire que la fragmentation va produire des poches de matière en rotation.

En outre, s'il y règne un champ magnétique, la conservation du flux magnétique fait augmenter la pression magnétique à l'intérieur du nuage en contraction, ce qui, là aussi, menace d'empêcher sa contraction.

Enfin et surtout, cette contraction augmente la température du nuage de gaz, ce qui fait grimper sa pression, conduisant également à bloquer l'effondrement gravitationnel et empêcher la formation d'une étoile.

Ce dernier problème est résolu par la Nature grâce à la présence dans les nuages moléculaires de poussières et de molécules de CO et même d'H2O. En s'échauffant, les poussières et ces molécules rayonnent de l'énergie dans l'infrarouge, permettant au nuage de se refroidir et par là même de continuer sa contraction pour donner une protoétoile.

Malheureusement, ce problème resurgit pour la formation des premières étoiles, celles dites de population III, pendant les Âges sombres au cours des premiers millions d'années de l'histoire du cosmos observable.

En effet, la nucléosynthèse primordiale n'a pas produit les éléments lourds que sont le carbone et l'oxygène que l'on trouve dans les poussières et les molécules CO. Or, comme on vient de le voir, sans eux, pas d'étoiles. Pourtant, ces éléments ne seront synthétisés que plus tard, précisément dans les étoiles massives. On est donc confronté au dilemme de l'œuf et de la poule.


Une présentation de l'importance de la découverte de l’ion HeH+ dans l'espace. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © Nasa's Ames Research Center

HeH+ et H2 : des clés de l'énigme de la naissance des premières étoiles ?

Il existe pourtant au moins une solution, proposée dès 1967 par Saslaw et Zipoy. Elle fait intervenir une autre molécule dont on sait qu'elle joue aussi le rôle d'un radiateur lors de la formation stellaire, la molécule H2. L'incertitude porte sur la quantité de molécules d'hydrogène qui pouvait apparaître à cette époque. C'est pourquoi on étudie les phénomènes qui pourraient conduire à une formation précoce et importante d'hydrogène moléculaire juste au moins au moment où sont en train d'apparaître les premiers atomes.

Une des théories proposées à ce sujet vient d'être confortée par une découverte faite par une équipe internationale d'astrophysiciens menée par Rolf Güsten de l'Institut Max-Planck pour la radioastronomie (MPIfR) à Bonn, en Allemagne. Elle est exposée dans un article publié dans le prestigieux journal Nature et elle concerne la première détection dans l'espace interstellaire d'une molécule baroque que l'on pourrait croire impossible, l'hydrure d'hélium HeH+.

L'hélium est un gaz rare, à première vue chimiquement inerte et incapable de former des molécules. En fait, ce n'est pas toujours le cas, dès 1925 on avait fait la découverte de l'ion HeH+ en laboratoire. Dans les années 1970, les astrochimistes se sont rendu compte que cette molécule devait pouvoir se former au moins dans le milieu interstellaire quand des conditions favorables étaient réunies. On avait cherché jusqu'ici, en vain, sa trace mais tout vient de changer grâce à des observations faites dans l'infrarouge lointain avec un instrument à bord de Sofia (Stratospheric Observatory for Infrared Astronomy), un avion montant dans les couches hautes de l'atmosphère pour faire des observations en infrarouge qui ne sont pas possibles au sol du fait de la présence de trop grandes quantités de vapeur d'eau dans l'atmosphère basse.

Sofia a donc finalement permis de découvrir la signature des molécules HeH+ dans une nébuleuse planétaire, NGC 7027, située à environ 3.000 années-lumière du Système solaire dans la constellation du Cygne. Âgée d'environ 600 ans, c'est le produit d'une étoile devenue une naine blanche et dont le rayonnement intense provoque la synthèse de l'hydrure d'hélium en ionisant des atomes.

HeH+ 380.000 ans après le Big Bang ?

HeH+peut donc bien naître dans des conditions astrophysiques particulières qui ressemblent à celles qui existaient environ 380.000 ans après le début de l'Univers observable, au moment où son contenu se refroidissait suffisamment pour commencer à former les premiers atomes neutres, en l'occurrence essentiellement d'hydrogène et d'hélium puisqu'il n'existait pas alors de noyaux plus lourds que le lithium.

En fait, on pense qu'avec leurs potentiels d'ionisation plus élevés, les ions hélium He2+ et He+ ont été les premiers à se combiner avec les électrons libres du plasma primordial juste avant l'émission du fameux rayonnement fossile, formant ainsi les premiers atomes neutres avant ceux d'hydrogène. Les ions H+, qui existaient encore, pouvaient donc se combiner avec les atomes neutres d'hélium et les premières molécules du cosmos observable auraient même été celles de HeH+.

On a donc maintenant des raisons supplémentaires de penser que les réactions menant à la formation précoce d'hydrogène moléculaire grâce à l'ion HeH+ pouvaient bien avoir eu lieu au début de l'histoire de l'Univers et qu'elles ont contribué à la naissance des premières étoiles, selon une étape importante de l'évolution menant du Big Bang au vivant.


Des molécules d'hélium "impossibles" autour des naines blanches ?

Article de Laurent Sacco publié le 25/07/2012

La formation de molécules d'hélium sur Terre reste très difficile et l'on a même longtemps pensé qu'elle était impossible. D'après des simulations sur ordinateur, tout changerait dans le cas d'atomes d'hélium plongés dans les champs magnétiques intenses des naines blanches et des étoiles à neutrons.

Il a fallu attendre le début du XXe siècle pour percer les secrets de la liaison chimique. Ce n'est que lorsque Erwin Schrödinger eut publié ses articles sur la mécanique ondulatoire, dans lesquels il exposait en 1926 la théorie de la célèbre équation portant aujourd'hui son nom, que l'on a commencé à y voir plus clair. Quelques idées étaient cependant déjà posées. On savait que les forces électromagnétiques devaient jouer un rôle et, dès 1916, le chimiste américain Gilbert Lewis avait proposé le début de la théorie de la liaison covalente entre atomes. Il s'agissait de la mise en commun d'électrons.

Mais il revint à Walter Heitler et Fritz London de donner, en 1927, la première explication quantique correcte de la liaison chimique, spécifiquement celle de la molécule de dihydrogène, à l'aide de l'équation de Schrödinger. Enfin, c'est principalement Robert Mulliken qui développa, avec d'autres, le concept d'orbitale moléculaire (modèle décrivant les états électroniques de molécules) bien connu des chimistes quantiques de nos jours.

En haut de ce schéma, on voit les répartitions les plus simples des densités de probabilité de présence d'un électron autour d'un noyau. Le champ de densité de probabilité est donné par l'équation de Schrödinger et il est représenté en bas par 3 fonctions, correspondants à 3 orbitales atomiques (orbitale s). En abscisse, on a porté la distance au noyau et, en ordonnée, la densité de probabilité. On voit apparaître des zones où la densité de probabilité est la plus forte. Attention cependant, les répartitions de probabilité sont similaires mais différentes. © Richard Garcia, dlst.ujf-grenoble.fr
En haut de ce schéma, on voit les répartitions les plus simples des densités de probabilité de présence d'un électron autour d'un noyau. Le champ de densité de probabilité est donné par l'équation de Schrödinger et il est représenté en bas par 3 fonctions, correspondants à 3 orbitales atomiques (orbitale s). En abscisse, on a porté la distance au noyau et, en ordonnée, la densité de probabilité. On voit apparaître des zones où la densité de probabilité est la plus forte. Attention cependant, les répartitions de probabilité sont similaires mais différentes. © Richard Garcia, dlst.ujf-grenoble.fr

On sait, depuis la découverte du modèle de l'atome de Bohr, que les électrons se comportent comme s'ils étaient en orbite à des distances déterminées du noyau. Mais la comparaison s'arrête là. Les images montrant que l'atome est une sorte de mini-Système solaire en réduction sont trompeuses. Une représentation plus exacte serait celle d'un champ formant des concentrations particulièrement intenses, parfois en forme de coquilles, donnant les zones où il est possible de trouver, avec la plus grande probabilité, un électron autour d'un atome. Mais là aussi, ce n'est qu'une image grossière de la réalité physique, qui est plus ou moins associée à ce qu'on appelle techniquement une orbitale atomique pour un électron.

Ces champs autour des atomes peuvent se recouvrir l'un l'autre en s'additionnant ou se soustrayant à la façon de deux vagues entrant en collision à la surface de l'eau. Il se forme alors des orbitales moléculaires lorsque deux ou plusieurs atomes sont proches. Dans le premier cas, une énergie de liaison apparaît entre les atomes, et l'on est en présence d'une liaison chimique. On parle alors d'orbitale liante. Dans le second cas, la soustraction produit une orbitale antiliante et une molécule ne peut pas se former.

Robert Mulliken (1896-1986) est un physicien et chimiste américain principalement connu pour ses travaux sur le concept d'orbitale moléculaire et de la liaison chimique quantique. Il a obtenu le prix Nobel de chimie en 1966 pour ses travaux expliquant la structure des molécules. © AIP
Robert Mulliken (1896-1986) est un physicien et chimiste américain principalement connu pour ses travaux sur le concept d'orbitale moléculaire et de la liaison chimique quantique. Il a obtenu le prix Nobel de chimie en 1966 pour ses travaux expliquant la structure des molécules. © AIP

Une nouvelle liaison chimique grâce au champ magnétique

Appliquer la théorie aux atomes d'un gaz rare, l'hélium, semble tout d'abord conduire à l'impossibilité de la formation d'une molécule diatomique d'hélium. Comme on l'a découvert par la suite, il existe des situations dans lesquelles des molécules d'hélium, bien que faiblement liées et instables, peuvent se former. On connaît ainsi le cas des molécules d'hélium exotiques ultrafroides.

Mais selon des chercheurs qui viennent de publier un article dans Science, il serait possible d'obtenir, à partir des orbitales antiliantes, une molécule d'hélium stable dans certaines situations.

En employant un programme baptisé London, visiblement en référence à Fritz London, ils ont découvert que tout changerait si des atomes d'hélium étaient placés dans un champ magnétique particulièrement intense d'au moins 105 teslas (sur Terre, les champs magnétiques les plus intenses produits en laboratoire atteignent 30 à 40 teslas, T). Un nouveau type de liaison chimique stable deviendrait donc possible.

Il s'agit de spéculations purement théoriques mais, en tout état de cause, des champs aussi intenses se trouvent à la surface des étoiles à neutrons et des naines blanches. Il existe donc, peut-être, des molécules à la chimie exotique à bonne distance de ces astres (car il faut qu'elles ne soient pas détruites aussitôt formées par les rayonnements émis par les étoiles). Il faudrait, tout de même, que le champ magnétique y soit encore suffisamment intense.

IC 418, encore appelée la nébuleuse du Spirographe, est une nébuleuse planétaire. Elle contient, en son centre, une naine blanche dont l'intense rayonnement ultraviolet provoque l'émission des gaz de la nébuleuse, autrefois émis par l'étoile lorsqu'elle était une géante rouge. © Nasa, The Hubble Heritage Team (STSCI/Aura)
IC 418, encore appelée la nébuleuse du Spirographe, est une nébuleuse planétaire. Elle contient, en son centre, une naine blanche dont l'intense rayonnement ultraviolet provoque l'émission des gaz de la nébuleuse, autrefois émis par l'étoile lorsqu'elle était une géante rouge. © Nasa, The Hubble Heritage Team (STSCI/Aura)