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C'est l'histoire d'un bateau qui fait ses premiers pas sur la terre ferme. Son hélice se trouve en plein air et il avance face au ventvent. Une histoire drôle ? Non. Mais une drôle d'histoire, à coup sûr, qui s'étend sur une douzaine d'années, avec la Seine et Meudon pour décor principal.
Tout commence en 1910. Un dénommé Constantin, inventeur de son état, mais dont l'identité précise se dérobe devant l'historienhistorien, met au point un curieux véhicule. L'Office des inventions en a archivé a posteriori une description sommaire, celle « d'un petit chariot qui, mû par une petite turbine aérienne placée à l'avant, avançait contre le vent ». Pause dans le récit pour comprendre : il s'agissait bel et bien d'utiliser le vent pour avancer... contre le vent !
Un bateau propulsé par une hélice qui utilise le vent pour avancer... contre le vent ! Une drôle d'invention ! © CNRS Photothèque / Fonds historique
Un mécanisme appliqué à la propulsion des bateaux
Les années passent, quatre de paix, quatre de guerre, avant le retour du système Constantin sur le devant de la scène. Alphonse Dalloz, employé de l'Office, relate cette renaissance, avec juste ce qu'il faut de flagornerie : « La guerre avait fait oublier ce petit paradoxe mécanique, mais après l'Armistice, lorsqu'il fallut orienter les inventions vers des travaux pacifiques, M. Breton vit immédiatement l'intérêt qu'il y aurait à rechercher si le mécanisme pouvait s'appliquer à la propulsion des bateaux. Cette idée paraît simple en elle-même, mais il fallut à M. Breton, en plus de sa clairvoyance habituelle, un certain courage pour la faire mettre en œuvre. »
La poussée de l'hélice propulsive
Avec Alphonse Dalloz à ses côtés, Jules-Louis Breton s'attelle donc à la tâche. Le problème paraît simple, en effet : le vent de face s'engouffre dans une turbine qui actionne l'hélice faisant avancer le navire. Il se complique néanmoins au moment d'examiner les forces en présence : d'une part la poussée du vent sur la turbine et sur le bateau, ainsi que la résistancerésistance de l'eau et de l'air, et, d'autre part, « la poussée de l'hélice propulsive qui doit non seulement équilibrer les autres, mais doit les vaincre ».
Le bateau à hélice. © CNRS Photothèque / Fonds historique
Une longue série d'essais sur des maquettes permet de venir à bout de l'épineux problème. Puis arrive le résultat : un modèle réduit est mis à l'eau et « remonte par vent d'ouest à la fois la Seine et le vent ». Dans la foulée, devant les Meudonnais médusés, un radeau est équipé de plusieurs hélices avec le même succès. Un navire de six tonneaux, Le BoisBois rosé, est ensuite mis à l'eau le 4 novembre 1921 entre les ponts de Sèvres et de Saint-Cloud en présence de « sénateurs, députés, membres de l'Institut, représentants des ministères de la Guerre, de la Marine, des Colonies, des Travaux publics, des membres de la presse embarqués sur un bateau parisien ».
Aux frontières de l’absurde
L'évènement est inscrit à l'actif de Jules-Louis Breton : « Le bateau, ainsi équipé, s'est montré d'une souplesse admirable de manœuvre ; un seul homme suffit à le conduire entre Sèvres et Saint-Cloud, au milieu de la navigation active du fleuve, malgré le courant de la Seine ». Et Alphonse Dalloz apporte l'immanquable morale de l'histoire : « On ne doit jamais rejeter a priori un système mécanique qui n'est pas complètement absurde », note-t-il dans le rapport des expériences.
Restent enfin les bémols : le dispositif ne convient évidemment qu'aux petites embarcations et implique un équipement aussi coûteux qu'encombrant. En outre, il ne se prête qu'à des types bien particuliers de moyens de transport, utilisés à l'interface de l'air et d'un liquide - l'eau - ou d'un solide - la terre. Inutile en somme d'espérer voir un jour un sous-marinsous-marin utiliser les courants marins de la même manière, ni un avion avancer avec la seule force du vent contre le vent !