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    Extraordinaire source d'énergie, le Soleil peut aussi parfois éjecter des particules qui perturbent nos satellites. Certains phénomènes qui secouent notre étoile nous sont inaccessibles. Pour mieux les comprendre, la simulation numériquesimulation numérique est un outil précieux pour confirmer ou infirmer les observations et faire progresser nos connaissances sur l'astre du jour.

    Vue d'une éruption solaire. © Nasa, DP
    Vue d'une éruption solaire. © Nasa, DP

    La démarche scientifique, en physique comme ailleurs, repose habituellement sur un dialogue entre recherches théoriques et expérimentales. Cependant, en astrophysiqueastrophysique, il est souvent impossible de se reposer sur des expériences et certains phénomènes échappent à la détection.

    Au cœur du Soleil

    Aucune sonde ne peut, à l'heure actuelle, plonger au sein même du Soleil pour mesurer directement ce qui se passe sous la « surface » solaire. La multitude d'objets célestes dans l'UniversUnivers permet néanmoins à l'astrophysicien de pallier l'absence d'expérimentation par l'observation et la simulation numérique.

    Image trichromique de l'atmosphère du Soleil obtenue avec le satellite SDO. Chaque couleur correspond à de la matière solaire de température différente. © SDO, Nasa
    Image trichromique de l'atmosphère du Soleil obtenue avec le satellite SDO. Chaque couleur correspond à de la matière solaire de température différente. © SDO, Nasa

    Le plus performant des télescopes actuels ne peut résoudre des structures d'une taille inférieure à 70 kilomètres sur la surface de notre astre (la taille de l'île de la Réunion). Or, de nombreux mécanismes fondamentaux pour comprendre et expliquer la dynamique du Soleil, et en particulier son activité, se déroulent sous cette limite.


    Le soleil est en perpétuelle activité, il abrite en son cœur une réaction thermonucléaire qui dégage de la lumière et un vent solaire qui vient ensuite frapper notre Planète. Parfois, il est le théâtre de puissantes éruptions. Le télescope à rayon X nuSTAR a pu capturer en vidéo une des plus puissantes de 2014. © Nasa

    Dans ce dossier, Étienne Pariat, chargé de recherche au CNRS (Centre national de la recherche scientifique) et à l'observatoire de Paris, présente l'art de la simulation numérique en physique solaire. Granules à la surface du Soleil, taches et jets solaires, éjection de massemasse coronale : tous sont présentés et donnent lieu à une série d'expériences numériques simulant l'évènement. Pour chacune de ces expériences, le phénomène est ainsi l'objet d'une simulation numérique. Bonne lecture !

    À lire aussi sur Futura 


    Le Soleil en boîte : simulations et supercalculateurs

    En physique solaire, comme dans tous les autres domaines de l'astrophysique, il est nécessaire de recourir à de véritables « expériences numériques ». Cette démarche scientifique vise à utiliser des méthodes de calcul numérique pour reproduire virtuellement, via des ordinateursordinateurs, les évènements qui se déroulent ici et là dans notre Univers.

    Vue d'éruptions solaires. © <em>Nasa Goddard Space Flight Center,</em> <em>Wikimedia commons</em>, CC by 2.0
    Vue d'éruptions solaires. © Nasa Goddard Space Flight Center, Wikimedia commons, CC by 2.0

    Ces simulations numériques permettent véritablement d'expérimenter. Dans un modèle virtuel, il est en effet toujours possible de modifier tel ou tel paramètre et de relancer l'expérience. En comparant les résultats de ces calculs numériques avec les observations, il devient possible d'en apprendre plus sur les phénomènes astrophysiques.

    Après avoir lancé plusieurs simulations visant à comprendre comment se forment les taches solaires, celle qui fournit les meilleures correspondances avec une tache solairetache solaire observée permet de connaître les conditions (température, pressionpression, intensité du champ magnétiquechamp magnétique, etc.) qui ont véritablement lieu au niveau de la surface solaire.

    L’atmosphère solaire a été observée par le satellite Soho dans différentes longueurs d’onde (images du haut). Cela a permis de déterminer la répartition de la matière solaire à différentes températures. La reconstruction numérique de l’intensité lumineuse (en bas) a ensuite été réalisée à l’aide d’une simulation numérique. Une région active est aisément identifiée en blanc à la fois dans les observations et dans le modèle numérique. © Soho, ESA, image adaptée de Riley <em>et al.</em>, <em>Solar Physics</em>, 2011
    L’atmosphère solaire a été observée par le satellite Soho dans différentes longueurs d’onde (images du haut). Cela a permis de déterminer la répartition de la matière solaire à différentes températures. La reconstruction numérique de l’intensité lumineuse (en bas) a ensuite été réalisée à l’aide d’une simulation numérique. Une région active est aisément identifiée en blanc à la fois dans les observations et dans le modèle numérique. © Soho, ESA, image adaptée de Riley et al.Solar Physics, 2011

    Reproduire fidèlement les lois physiques

    L'expérimentation numérique est donc une méthode d'investigation scientifique très importante en astrophysique. Contrairement aux images de synthèse dont nous sommes de plus en plus familiers via les médias audiovisuels, les simulations numériques scientifiques font primer la véracité scientifique sur l'esthétique. Une expérience numérique se base sur la résolutionrésolution d'équationséquations physiques fondamentales censées représenter le plus exactement possible les lois physiques ayant lieu dans la nature.

    Ainsi, dans un film à grand budget, lorsque Spiderman se déplace de gratte-ciel en gratte-ciel, son mouvementmouvement n'est pas compatible avec les lois de la gravité telle que nous l'expérimentons sur Terre. Les infographistes ont comme souci que son mouvement « ait l'airair » vrai, mais ne se préoccupent pas qu'il le soit vraiment. Une simulation numérique prendrait par exemple en compte les lois de la gravitationgravitation, l'influence du frottement de l'air, la traction exercée par l'élasticitéélasticité de son fil, et rechercherait les formules et les hypothèses de nature à reproduire exactement le mouvement de notre héros.

    Cette différence subtile entre « être vrai » et « avoir l'air vrai » introduit néanmoins d'énormes difficultés pour réaliser les simulations numériques. Reproduire fidèlement les lois physiques via des algorithmes numériques n'est pas aisé. Cela nécessite de faire des approximations qui, dans une démarche scientifique construite, doivent être régulièrement questionnées et jaugées.

    Algorithmes et calculs parallèles

    L'expérimentation numérique en astrophysique, en plus des compétences traditionnelles de l'astrophysicienastrophysicien qui doit déterminer quelles lois physiques et conditions initiales utiliser, repose sur les plus récents développements en analyse numérique, en algorithmiquealgorithmique et en électronique. Les simulations reposent donc fondamentalement sur les travaux en mathématique et en informatique.

    Les simulations de pointe font de plus en plus intervenir des méthodes de calcul dites « parallèles » qui peuvent s'exécuter non pas sur un seul ordinateur, mais parfois sur plusieurs dizaines de milliers de calculateurs reliés entre eux. Ces supercalculateurssupercalculateurs sont ceux hébergés au Cines ou à l'Idris par exemple.


    Les granules à la surface solaire

    Lorsque l'on s'intéresse à la surface solaire (appelée la photosphèrephotosphère), la première chose observée est une quantité de petits « granules » qui apparaissent et disparaissent continûment. Chacun de ces granules a une duréedurée de vie de l'ordre de cinq minutes.

    Surface du sol du soleil. © Nasa, Jaxa, <em>Wikimedia commons</em>, DP
    Surface du sol du soleil. © Nasa, Jaxa, Wikimedia commons, DP

    Ces granules, d'une taille de l'ordre du millier de kilomètres, sont présents en permanence sur l'ensemble du disque solaire. N'étant pas directement liés à l'activité du Soleil et à ses perturbations les plus importantes, ils constituent ce qui est communément appelé le « Soleil calme ». Le Soleil calme et les granules couvrent la totalité du disque solaire, mis à part les régions où se trouvent les taches solaires.

    Les granules constituent le « Soleil calme ». Sur cette série d'images figurent des observations (à gauche), une simulation numérique des structures en « granules » (au centre) ainsi que la taille de la Terre à la même échelle (à droite). © Sunrise, image adaptée de M. Carlson <em>et al.</em>, <em>The Astrophysical Journal</em>, 2004
    Les granules constituent le « Soleil calme ». Sur cette série d'images figurent des observations (à gauche), une simulation numérique des structures en « granules » (au centre) ainsi que la taille de la Terre à la même échelle (à droite). © Sunrise, image adaptée de M. Carlson et al.The Astrophysical Journal, 2004

    Transferts d'énergie et mouvements de convection

    Les simulations numériques permettent de comprendre l'origine de ces granules. Ceux-ci doivent leur existence aux transferts d'énergie et aux mouvements de convection qui ont lieu au niveau de la surface solaire.

    Ces granules correspondent à de grandes structures de plasma, similaires à des bulles. Au centre, au niveau des zones les plus brillantes, la matièrematière solaire s'élève tandis qu'elle chute au niveau des bords, dans les régions sombres.

    L'animation associée présente un survolsurvol fictif de ces granules. Celle-ci découle d'une simulation numérique qui tente de montrer les différents aspects des granules en fonction de l'angle de vue. Cette simulation a été réalisée par Mats Carlson de l'université d'Oslo sur les centres de calcul de haute performance norvégiens. Cette simulation réaliste met en valeur la structure tridimensionnelle des granules. Elle permet de comparer plus facilement les observations à différents endroits de la surface solaire avec nos connaissances théoriques.


    Champ magnétique intense et taches solaires

    Les taches solaires sont les manifestations les plus connues des aspects transitoires du Soleil. Elles correspondent à des régions plus froides de la surface solaire, dues à la présence d'un champ magnétique intense.

    Taches solaires.  © Thomas Bresson<em>, Wikimedia commons, </em> CC by 3.0
    Taches solaires.  © Thomas Bresson, Wikimedia commons,  CC by 3.0

    Déjà observées en Chine au Ier siècle avant J.-C., les taches solaires ont été utilisées par GaliléeGalilée comme arguments pour réfuter le dogme aristotélicien de l'immuabilité des cieux et montrer que le Soleil, comme la Terre, n'était pas une sphère parfaite et immanente.

    Les taches solaires et l'activité du Soleil

    Les taches solaires sont liées à la présence d'un champ magnétique intense. Ce champ magnétique, mesuré pour la première fois en 1908 par George E. Hale et aujourd'hui cartographié journellement par des satellites d'observation, fait des taches solaires des régions qui stockent énormément d'énergie. Cette énergie est libérée lors des éruptions solaires. Les taches solaires sont ainsi fortement associées à l’activité du Soleil, et les groupes de taches solaires sont d'ailleurs nommés « régions actives ».

    La figure ci-dessous présente un exemple de tache solaire. L'image de gauche montre la taille typique d'une tache solaire sur le disque solaire. La figure de droite est un agrandissement de la tache obtenue par le Swedish Solar Telescope. C'est l'une des images à la plus haute résolution qui soit d'une tache solaire.

    Observations d’une tache solaire à la surface du Soleil avec les télescopes de Meudon et du <em>Swedish Solar Telescope</em>, et comparaison de la taille de cette tache avec celle de la Terre. © Observatoire de Meudon, <em>Swedish Solar Telescope</em>
    Observations d’une tache solaire à la surface du Soleil avec les télescopes de Meudon et du Swedish Solar Telescope, et comparaison de la taille de cette tache avec celle de la Terre. © Observatoire de Meudon, Swedish Solar Telescope

    La tache solaire se compose de deux parties : l'ombre au centre, la partie la plus sombre, et la pénombrepénombre qui l'entoure. Autour de la tache se retrouvent les structures typiques du soleil « calme » : la granulation.

    L'origine des éruptions solaires

    Les taches solaires étant les régions principales d'origine des éruptions solaires, une part importante des recherches en physique solaire s'évertue à comprendre leurs structures et les mécanismes qui s'y déroulent. Des efforts importants pour simuler ces objets sont donc entrepris.


    Évolution de l’intensité lumineuse au sein d’un modèle numérique de tache solaire. © M. Rempel, High Altitude Observatory, NCAR

    Parmi ces simulations, celles conduites par M. Rempel de l'High Altitude Observatory (Colorado, États-Unis) sont les plus abouties. La simulation en trois dimensions d'une tache solaire de 35.000 kilomètres de large, visible ci-dessus, a requis des semaines de calcul sur les supercalculateurs IBMIBM Bluefire du National Center for Atmospheric Reasearch (Colorado, États-Unis). Dans cette simulation, les plus petits détails simulés (la taille de la plus petite maille de calcul) sont de l'ordre de 16 kilomètres. La simulation comporte donc plus d'un milliard de points de mailles.

    L'intensité du champ magnétique du Soleil

    La figure-animation, ci-dessous, montre une tache solaire virtuelle, telle qu'elle serait observée au niveau de la surface solaire. On retrouve bien l'ombre de la tache au centre, sa pénombre autour et les granules au loin. Au niveau de la pénombre, on observe de nombreux filaments qui s'étirent radialement depuis le centre de la tache. Ces filaments sont aussi observés dans les taches solaires. En dessous de l'image de la tache se trouve une coupe verticale de l'intensité du champ magnétique sous la surface. Plus le champ magnétique est intense, plus la couleurcouleur tend vers le jaune-blanc.

    Évolution de l’intensité lumineuse au sein d’un modèle numérique de tache solaire. © Image adaptée de M. Rempel, <em>The Astrophysical Journal</em>, 2012
    Évolution de l’intensité lumineuse au sein d’un modèle numérique de tache solaire. © Image adaptée de M. Rempel, The Astrophysical Journal, 2012

    La simulation cherche à reproduire la physique d'une tache solaire juste au niveau de la surface. Cette simulation ne montre donc pas ce qui se passe au-dessus de la surface solaire ni profondément en dessous. Cette simulation inclut de nombreux processus liés à l'émissionémission de la lumièrelumière. La simulation montre donc comment les photonsphotons lumineux, qui transportent la lumière depuis le Soleil jusqu'à nous, sont émis au niveau de la tache solaire. C'est le traitement de ces mécanismes d’émission lumineuse qui rend ces simulations si visuellement réalistes.

    Ces simulations montrent le lien entre le champ magnétique et l'intensité de la lumière émise. Au centre des taches, le champ magnétique est très intense et dirigé verticalement. Au niveau de la pénombre, le champ magnétique est moins intense et orienté plus horizontalement.


    Formation des taches solaires

    Les taches solaires ne se forment pas en un jour. Elles sont le résultat d'un processus dit d'émergenceémergence de champ magnétique, qui se déroule pendant plusieurs jours.

    Comment se forment les taches solaires ? © Alfred Hutter, <em>Wikimedia commons</em>, DP
    Comment se forment les taches solaires ? © Alfred Hutter, Wikimedia commons, DP

    La figure ci-dessous montre une telle évolution. Dans une région initialement calme du Soleil, une modification de la granulationgranulation est tout d'abord observée. Soudainement, des structures noires, les pores, apparaissent. Ces pores s'éloignent les uns des autres, se regroupant de part et d'autre du centre coalescent pour former le cœur des futures taches solaires. De plus en plus de pores apparaissent au centre de la zone et vont rejoindre l'une ou l'autre des taches solaires. Au fur et à mesure que ces pores s'agglutinent, l'ombre et la pénombre des taches se créent. Les taches peuvent ne plus sembler tourner en partie l'une autour de l'autre, ou bien tourner chacune sur elle-même.

    Apparition et évolution d’un groupe de taches à la surface solaire (à gauche) observé par le satellite Soho. À droite, un schéma explique leur structure magnétique. © SDO, Nasa
    Apparition et évolution d’un groupe de taches à la surface solaire (à gauche) observé par le satellite Soho. À droite, un schéma explique leur structure magnétique. © SDO, Nasa

    Taches solaires et polarité magnétique

    Les taches solaires se forment ainsi généralement deux par deux. Les taches sont des régions de concentration intense du champ magnétique. De même qu'un aimantaimant a deux pôles magnétiquespôles magnétiques, chacune des taches correspond à une polarité magnétique opposée.

    Les taches sont ainsi magnétiquement liées l'une à l'autre. En fait, il faut s'imaginer que les taches solaires ne sont que l'intersection, au niveau de la surface solaire, de grands tubes de champ magnétique. L’apparition des taches résulte ainsi de l'émergence, depuis l'intérieur du Soleil, de ces tubes magnétiques.


    Simulation numérique de l’émergence d’un groupe de taches à la surface solaire. © M. Cheung, Lockheed Martin Solar and Astrophysics Laboratory

    Émergence de champ magnétique

    Cette phase d'émergence est un grand défi pour les simulations numériques : celles-ci sont particulièrement difficiles, car la « surface » solaire est une région particulièrement complexe. Il s'agit en effet d'une région de transition entre l'intérieur solaire, où les mouvements de la matière dominent le champ magnétique, et l'atmosphère solaire où, au contraire, ce sont les champs magnétiques qui ont le dessus. Il est donc nécessaire d'incorporer dans ces simulations des milieux de physiques très variées.

    Parmi les simulations les plus intéressantes de l'émergence des régions actives, celle de Mark Cheung (LMSAL, États-Unis) est particulièrement remarquable. Ces travaux simulent la formation des taches solaires lors de l'apparition d'un tube magnétique au niveau de la surface solaire. Elles permettent de comprendre comment la granulation est initialement perturbée par l'apparition de ce tube, et comment les taches solaires se forment petit à petit. La bande inférieure correspond à une section verticale de la simulation et à l'apparition ainsi qu'à l'élévation vers la surface du champ magnétique.

    Simulation numérique de l’émergence d’un groupe de taches à la surface solaire. © Image adaptée de M. Cheung <em>et al.</em>, <em>The Astrophysical Journal</em>, 2010
    Simulation numérique de l’émergence d’un groupe de taches à la surface solaire. © Image adaptée de M. Cheung et al.The Astrophysical Journal, 2010

    Dans cette simulation, les taches montrent des mouvements de rotation particulièrement importants. C'est la conséquence du choix fait d'utiliser un tube magnétique très torsadé. La torsiontorsion des tubes de flux est un paramètre central, car plus le tube est torsadé, plus il apportera de l'énergie aux régions actives, énergie qui pourra ensuite donner lieu aux éruptions solaireséruptions solaires.

    Comme nous ne pouvons pas voir ce qui se passe sous la surface solaire, nous ne pouvons pas connaître a priori la quantité de torsion présente dans ces tubes magnétiques. Grâce à la simulation numérique, il est possible de tester plusieurs hypothèses. Dans le cas de cette simulation, la rotation simulée étant plus importante que celle habituellement observée au niveau du Soleil, nous pouvons logiquement déduire que la torsion est vraisemblablement trop importante. Il faudra donc réitérer cette expérience numérique en introduisant moins de torsion.


    Les tubes magnétiques à l’intérieur du Soleil

    Les simulations précédentes s'intéressaient à l'apparition et à la formation des taches juste quelques milliers de kilomètres au-dessous et au-dessus de la surface solaire. Or, les tubes magnétiques ont une origine bien plus profonde.

    Simulation numérique du transport et de l’élévation d’un tube magnétique (en orange) au sein du Soleil vers la surface. © Image adaptée de Jouve et al., <em>The Astrophysical Journal,</em> 2013 
    Simulation numérique du transport et de l’élévation d’un tube magnétique (en orange) au sein du Soleil vers la surface. © Image adaptée de Jouve et al., The Astrophysical Journal, 2013 

    Nos connaissances actuelles indiquent que les tubes magnétiques seraient formés près de 200.000 kilomètres sous la surface (ce qui est du même ordre de grandeurordre de grandeur que la distance Terre-Lune).

    De la tachocline à la surface solaire

    Ils naissent au niveau d'une région nommée la tachoclinetachocline, qui est une région spéciale de l'intérieur solaire, interface entre deux régions de physique distincte, frontière entre deux domaines où la rotation du Soleil est différente.

    Les tubes de flux doivent ainsi migrer de la tachocline à la surface solaire. Ces régions n'étant pas observables, seule la simulation numérique permet d'étudier et de tester ce processus.

    Les simulations de Laurène Jouve, de l'université Paul-Sabatier à Toulouse sont un modèle du genre. Ces simulations sont faites grâce au supercalculateur du Genci. Elles montrent l'émergence d'un de ces tubes magnétiques (en orange) depuis la tachocline (en bleu) dans l'hémisphère nordhémisphère nord du Soleil.

    Formation des tubes magnétiques

    Nous constatons que ces tubes magnétiques ne montent pas simplement, mais que leur géométrie est en partie déformée par les mouvements de la matière solaire dans la partie externe de l'intérieur solaire. Cela montre qu'en observant simplement les taches au niveau de la surface solaire, il n'est pas possible de remonter au mécanisme de formation des tubes magnétisés au niveau de la tachocline, milieu qui échappe à l'observation directe.

    Heureusement, ce type d'études permet de relier ces deux milieux. En réalisant plusieurs simulations de ce type, en utilisant différentes hypothèses au niveau de la tachocline, nous obtenons éventuellement différents comportements des tubes magnétiques au niveau de la surface, correspondant par exemple à différentes tailles des taches solaires, à différents lieux où elles apparaissent à la surface solaire.

    Les sorties de chacune de ces simulations peuvent être comparées à des observations réelles. En prenant celles qui donnent le meilleur accord, il est ainsi possible de déterminer dans quelles conditions le champ magnétique se forme et de valider ou invalider les hypothèses faites initialement.


    Simulation numérique vidéo du transport et de l’élévation d’un tube magnétique (en orange) au sein du Soleil vers la surface. © Laurène Jouve, Institut de recherche en astrophysique et planétologie, université de Toulouse

    Il devient ainsi possible de saisir le mécanisme de formation du champ magnétique solaire, bien que celui-ci ne soit pas directement observable par nos instruments. Les simulations numériques sont ainsi particulièrement importantes pour comprendre le cycle d'activité du Soleil dans son ensemble.


    Fonctionnement des jets solaires

    Les jets solaires font partie des phénomènes liés à l'activité du Soleil. Mais comment fonctionnent-ils ? Ils se produisent au niveau des taches solaires et sont dus à un déplacement de matière solaire suite à des « miniéruptions ». Les jets solaires sont générés par le principe de la reconnexion magnétiquereconnexion magnétique.

    Comment fonctionnent les jets solaires ? © Nasa, <em>Goddard Space Flight Center,</em> <em>Wikimedia commons,</em> DP
    Comment fonctionnent les jets solaires ? © Nasa, Goddard Space Flight Center, Wikimedia commons, DP

    Les taches solaires sont des régions qui concentrent une quantité très importante d'énergie (jusqu'à plus de 1026 joulesjoules, soit près d'un milliard de fois celle de la bombe thermonucléaire la plus puissante ayant explosé sur Terre). Une grande partie de l'énergie emmagasinée est libérée lors des éruptions solaires (voir page suivante de ce dossier, sur les éruptions et éjections de masse coronale).

    Il existe néanmoins de très nombreux évènements actifs de moindre importance qui ont lieu au niveau des taches solaires et font partie de l'activité du Soleil. Ce sont les multiples « miniéruptions » et « microéruptions » qui, bien que beaucoup moins énergétiques et donc sans conséquences potentielles sur l'activité humaine, se déclenchent beaucoup plus fréquemment que les évènements majeurs.

    Observations par les satellites Stereo et Soho de l’évolution d’un « jet » au niveau d’un pôle solaire. © Soho, Stereo
    Observations par les satellites Stereo et Soho de l’évolution d’un « jet » au niveau d’un pôle solaire. © Soho, Stereo

    La reconnexion magnétique à l'origine des jets solaires

    Parmi ces miniéruptions, certaines induisent des « embrillancements »et des déplacements de la matière solaire qui sont aisément observables. C'est en particulier le cas des jets solaires. De la matière solaire peut ainsi être accélérée à des vitessesvitesses de l'ordre de centaines de kilomètres par seconde en quelques minutes. C'est le cas du jet présenté sur l'image ci-dessus. Ce jet, un des plus gros de sa catégorie, s'était développé au niveau du pôle nord géographiquepôle nord géographique solaire. Plus d'un million de tonnes de matière solaire ont été éjectées à plusieurs centaines de milliers de kilomètres de la surface en moins de dix minutes.

    Ces jets solaires sont générés par le même mécanisme qui provoque les plus grosses éruptions solaires : la reconnexion magnétique. La reconnexion magnétique est un phénomène qui a lieu à des échelles spatiales inférieures à quelques dizaines de mètres. Ces tailles caractéristiques sont bien plus petites que les détails les plus fins qui peuvent être résolus par les instruments actuels les plus performants. Seules les simulations numériques peuvent donc permettre de percer le mystère du déclenchement des évènements actifs solaires par la reconnexion magnétique.

    L'étude des jets, qui ont généralement lieu au niveau de systèmes magnétiques plus simples que ceux engendrant les éruptions, permet donc d'approcher et d'étudier la reconnexion magnétique en se départissant de la complexité des évènements plus violents. La simulation numérique tridimensionnelle ci-dessous s'intéresse au déclenchement d'un de ces jets.

    Cette simulation a été effectuée dans le cadre de travaux de recherche sur le supercalculateur du Centre informatique national de l'enseignement supérieur (Cines) et a fait intervenir environ un millier de processeurs interconnectés.


    Simulation numérique d'un jet solaire.
    L'évolution de la matière solaire (en bleue) peut être étudiée lors d’une simulation numérique d’un jet solaire. Les lignes blanches et rouges tracent le champ magnétique. © Étienne Pariat
    L'évolution de la matière solaire (en bleue) peut être étudiée lors d’une simulation numérique d’un jet solaire. Les lignes blanches et rouges tracent le champ magnétique. © Étienne Pariat

    Évolution des lignes de champ magnétique

    Il est ainsi possible d'expliquer comment un jet (en bleu) se forme au-dessus d'une concentration de champ magnétique (surface inférieure arc-en-ciel). Les lignes rouges et blanches tracent les lignes du champ magnétique. Les lignes rouges sont initialement fermées (image de gauche) : elles ont leurs deux extrémités attachées à la surface inférieure. Les lignes blanches sont, elles, dites ouvertes : un des pieds de ces lignes se trouve au niveau de la frontière inférieure, tandis que l'autre se trouve au sommet.

    Au cours de la génération du jet, le mécanisme de reconnexion magnétique va modifier la position (la connectivité) des lignes de champ. Certaines lignes rouges vont s'« ouvrir » avec une de leurs extrémités située au sommet, tandis que certaines lignes blanches vont se « fermer », leurs deux pieds étant désormais situés au niveau de la surface inférieure. La reconnexion magnétique permet de couper et de recoller les lignes de champ magnétique. Ce faisant, la configuration magnétique va changer fondamentalement et entraîner des mouvements de matière, un peu comme le fait un élastique entortillé que l'on vient de rompre.

    Ce changement de configuration entraîne l'accélération de la matière et son éjection vers le haut : on constate en effet que la matière bleue s'élève brutalement. Cette simulation permet aussi de retrouver la structure hélicoïdale fréquemment observée parmi les jets.


    Éruptions et éjections de masse coronale

    Les éruptions sont les phénomènes les plus violents qui ont lieu dans le Système solaireSystème solaire. En quelques dizaines de minutes, près d'un milliard de tonnes de matière solaire sont expulsées dans l'espace interplanétaire à une vitesse de l'ordre de 1.000 kilomètres par seconde. Cela correspond plus ou moins à pouvoir déplacer en une seconde l'ensemble de l'humanité, de Lille à Marseille.

    Éjections de masse coronale. © Nasa, <em>Goddard Space Flight Center,</em> <em>Wikimedia commons,</em> CC by 2.0
    Éjections de masse coronale. © Nasa, Goddard Space Flight Center, Wikimedia commons, CC by 2.0

    Ces éjections de matière coronale sont observées essentiellement à l'aide des coronographescoronographes situés à bord des satellites d'observation du Soleil. Ils créent de petites éclipseséclipses artificielles afin d'observer ce qui s'échappe de notre astre.

    La figure (et l'animation) ci-dessous combine des observations d'un de ces coronographes (en rouge) avec des images du disque solaire (en jaune). Une éjection de masse coronale apparaît à droite (large structure blanche s'écartant du Soleil) : en quelques dizaines de minutes, la matière est propulsée à plusieurs rayons solaires de distance.

    L'atmosphère solaire a été observée par le satellite SDO (en jaune) et l’espace interplanétaire proche (en rouge) par le satellite Soho (par coronographie) lors d’une éjection de masse coronale (l’immense structure blanche éjectée vers la droite). © SDO, Nasa, Soho, ESA
    L'atmosphère solaire a été observée par le satellite SDO (en jaune) et l’espace interplanétaire proche (en rouge) par le satellite Soho (par coronographie) lors d’une éjection de masse coronale (l’immense structure blanche éjectée vers la droite). © SDO, Nasa, Soho, ESA

    Impact des éjections de masse coronale sur la Terre

    Les éjections de masse coronale sont les structures qui peuvent impacter le plus l'environnement de la Terre. De ce fait, une grande partie des recherches actuelles en physique des relations Soleil-Terre cherchent à comprendre comment ces structures sont générées et comment elles se déplacent dans le Système solaire.

    Elles correspondent à d'immenses tubes de champ magnétique qui se situaient initialement dans l'atmosphèreatmosphère solaire, la plupart du temps au niveau des régions actives solaires. De même que pour les jets, c'est la reconnexion magnétique qui permet d'expliquer le déclenchement de ces évènements. La configuration magnétique est néanmoins plus complexe, et doit expliquer l'apparition et l'éjection de grands tubes magnétiques.


    Simulation numérique d’une éjection de masse coronale.
    Les lignes colorées tracent le champ magnétique. © Adapté de Lynch <em>et al.</em>, <em>The Astrophysical Journal</em>, 2008
    Les lignes colorées tracent le champ magnétique. © Adapté de Lynch et al.The Astrophysical Journal, 2008

    Origine des éjections de masse coronale

    La simulation ci-dessus a été réalisée par Ben Lynch de l'université de Californie à Berkeley. Elle a été faite sur les calculateurs du département de la défense américain. Au niveau de la surface solaire (en gris), un tube magnétique se forme et est éventuellement expulsé au loin.

    Cette simulation est un exemple parmi d'autres simulations tridimensionnelles solaires. C'est un domaine très actif, et il en existe de nombreuses autres. Le déclenchement de ces éjections de masse coronale est un problème majeur de physique solaire qui n'est toujours pas résolu. Nous ne savons pas ce qui déclenche exactement l'éruption solaire : est-ce une instabilité de la géométrie du champ magnétique ou bien une évolution catastrophique au niveau du site de reconnexion magnétique ? Les débats dans la communauté scientifique sont vifs !


    Les éruptions solaires à la chaîne

    La simulation numérique peut servir non seulement à étudier un problème scientifique de fond, mais aussi à tenter de recréer un évènement particulier ayant eu lieu comme une série de plusieurs éruptions solaires, par exemple.

    Plusieurs éruptions solaires à la chaîne. © Nasa, SDO, Wikimedia commons, DP
    Plusieurs éruptions solaires à la chaîne. © Nasa, SDO, Wikimedia commons, DP

    Des éruptions en chaîne sont ainsi survenues le 1er août 2010 : une série de trois éruptions consécutives rapprochées a pu être observée. Cette succession est assez inhabituelle, ce qui a suscité l'intérêt de la communauté scientifique.

    Sur l'image et la vidéo suivante, on observe ces éruptions solaires en chaîne. Les sites d'origine de chacune de ces éruptions sont indiqués sur l'image ci-dessous (en haut, à droite). Nous constatons que la seconde éruption a lieu à partir du site le plus éloigné de la première : le site du centre est le dernier à être déclenché. Ceci est particulièrement étonnant, car nous aurions pu nous attendre à ce que les éruptions soient engendrées de proche en proche, à la manière de dominos.


    Simulation numérique du déclenchement en chaîne des trois éjections de masse coronale.
    Les lignes colorées tracent le champ magnétique. © Adapté de Török <em>et al.</em>, <em>The Astrophysical Journal</em>, 2011
    Les lignes colorées tracent le champ magnétique. © Adapté de Török et al.The Astrophysical Journal, 2011

    Prévoir les éruptions solaires

    Cette simulation permet donc de rendre compte et de comprendre la séquence d'éruptions en chaîne du 1er août 2010. Elle explique comment un évènement actif peut en entraîner un autre situé à des centaines de milliers de kilomètres de distance. Cette simulation montre aussi que le déclenchement d'une éruption n'est pas seulement dû aux propriétés du tube magnétique, mais peut être influencée par l'ensemble de la configuration magnétique.

    Afin de prévoir des éruptions solaires, il ne faut donc pas seulement se concentrer sur une région particulière mais il faut être capable d'observer l'ensemble du Soleil.


    Aller plus loin : chromosphère et particules énergétiques

    Ces simulations ne sont que quelques exemples parmi d'autres des travaux réalisés en physique solaire. Ces exemples ne sont en aucun cas exhaustifs de cette discipline étudiant le Soleil et son atmosphère.

    Coucher de soleil. © Kordi Vahle, Pixabay, DP
    Coucher de soleil. © Kordi Vahle, Pixabay, DP

    De nombreux travaux s'attachent à comprendre des aspects légèrement différents de ceux traités ici. Bien d'autres sont dédiés à des travaux entièrement distincts, tels que :

    • comprendre la dynamique de la chromosphèrechromosphère, la couche basse de l'atmosphère solaire, à la physique encore bien mal comprise ;
    • expliquer le problème du chauffage de la couronne solaire, c'est-à-dire expliquer l'augmentation de température jusqu'à quelques millions de degrés de l'atmosphère solaire sur à peine deux milliers de kilomètres de la surface solaire, dont la température n'est que de 5.700 °K ;
    • saisir comment des particules énergétiques peuvent être accélérées à des vitesses proches de celles de la lumière lors des éruptions solaires, et comment ces particules peuvent éventuellement atteindre la Terre.

    La simulation numérique et la recherche en astrophysique

    Quelle que soit la problématique, les simulations numériques peuvent apporter des réponses complémentaires aux observations. Elles ne cessent de se développer, bénéficiant des résultats de recherches fondamentales et appliquées découlant d'autres domaines, tels que les mathématiques, l'informatique et l'électronique.

    La simulation numérique est aujourd'hui devenue un outil indispensable à l'arsenal de la recherche scientifique contemporaine en astrophysique. Son développement rapidement croissant permet de rendre compte de plus en plus fidèlement des évènements observés dans l'Univers. Ceci traduit notre compréhension de plus en plus grande des principes et des lois qui régissent ces phénomènes. Il est ainsi certain que les simulations présentées et la recherche actuelle seront très rapidement caduquescaduques. C'est le signe de la vitalité de cette discipline.

    Remerciements

    Je souhaite remercier Michel Pariat pour ses commentaires critiques et ses suggestions qui ont amélioré la lisibilité de ce dossier. Certains des travaux présentés ont bénéficié d'un accès aux moyens de calcul du Cines au travers de l'allocation de ressources 2012-046331 attribuée par Genci (Grand équipement national de calcul intensif).