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Dans la première partie de son interview, Pierre Binétruy nous avais parlé du Mooc (Massive open online courseMassive open online course) intitulé Gravité ! Du Big BangBig Bang aux trous noirs, le cours gratuit en ligne qu'il donne avec le prix Nobel de physique George Smoot (le cours a recommencé ce mardi 8 mars 2016 pour six semaines. Pour s'enregistrer, c'est ici) et qui permet de comprendre pourquoi astrophysiciensastrophysiciens et cosmologistes sont partis à la poursuite des ondes gravitationnellesondes gravitationnelles. Une page accompagne ce Mooc, expliquant ce que sont les ondes gravitationnelles, comment les détecter par interférométrie et quel détecteur employer.
La page commente bien sûr la récente détection par les collaborations Ligo et VirgoVirgo de GW150914, l'onde gravitationnelle émise il y a plus d'un milliard d'années par la fusion de deux trous noirs stellaires.
On y trouve également un commentaire conjoint de Pierre Binétruy et George Smoot sur la découverte. « Après une longue attente, la rumeur a été confirmée : des ondes gravitationnelles ont été détectées par l'antenne interférométrique Ligo. C'est un évènement majeur, non seulement parce qu'il conclut un siècle de recherche : EinsteinEinstein avait prédit en 1916 l'existence de telles ondes, juste quelques mois après sa série phare de publications sur la relativité générale en novembre 1915. Mais c'est aussi le début d'une nouvelle ère : l'observation directe de l'universunivers gravitationnel. »
Comme le précisent les deux chercheurs, « la découverte [...] ouvre la possibilité extraordinaire d'explorer notre univers, et notre espace-tempsespace-temps, avec les ondes mêmes de la gravité. Nous aurons donc des informations de première main sur les plus gravitationnels de tous les objets astrophysiquesastrophysiques, les trous noirs, mais aussi sur les phénomènes violents dans l'univers, et probablement un jour sur le plus violent de tous, le Big Bang ».
Courte présentation de la mission eLisa, anciennement appelée Lisa. Il s'agit d'étudier les émissions d'ondes gravitationnelles produites par des systèmes binaires comme celui formé de deux objets compacts comme des trous noirs, ou par des évènements violents très primordiaux c’est-à-dire qui se sont passés dans les secondes qui ont suivi le Big Bang. Pour plus de détails sur le fonctionnement d'eLisa, visionnez l'épisode 3 de Gravity Ink. ci-dessous. © LISA Mission, YouTube
Ainsi, pour Pierre Binétruy et George Smoot, « nous n'en sommes aujourd'hui qu'au début. Les détecteurs terrestres sont maintenant en position pour observer beaucoup plus d'évènements stellaires et faire une recherche scientifique remarquable. Le détecteur spatial eLisa, tout comme l'observation temporelle des signaux de pulsarspulsars, ouvrira une fenêtrefenêtre sur l'univers gravitationnel dans ses plus grandes dimensions. C'est un beau symbole pour le futur qu'à l'heure où la découverte est annoncée, le satellite LisaPathfinder s'éveille au point Lagrange L1, prêt à tester la technologie de la future mission eLisa ».
Voilà pourquoi nous avons demandé à Pierre Binétruy de nous expliquer l'importance d'un interféromètreinterféromètre spatial, prévu à l'horizon 2030, pour étudier l'univers gravitationnel d'Einstein...
Futura-Sciences : Pourquoi a-t-on besoin de construire un détecteur d’ondes gravitationnelles dans l’espace ?
Pierre Binétruy : Advanced LigoAdvanced Ligo et Virgo ne sont pas adaptés à la détection des ondes gravitationnelles produites par les collisions de trous noirs supermassifstrous noirs supermassifs. Ils ne donnent accès qu'à une partie de l'univers observable. Ce n'est pas le cas d'eLisa qui est particulièrement sensible aux ondes émises par des collisions de trous noirs contenant entre 10.000 et 10 millions de massesmasses solaires et ce dans quasiment tout le cosmoscosmos observable.
Le signal produit par ces collisions permet d'évaluer la masse et le moment cinétiquemoment cinétique des trous noirs concernés. Or, comme eLisa pourra détecter de tels évènements très anciens, remontant aux premières centaines de millions d'années de l'univers observable, quand étoilesétoiles et galaxiesgalaxies commençaient à se former, cet instrument devrait nous permettre de mieux comprendre l'histoire des trous noirs supermassifs. En effet, on devrait pouvoir faire des statistiques sur les masses et les moments cinétiques des populations de trous noirs géants au cours de l'histoire de l'univers.
Les trous noirs massifs, ceux qui ne sont pas produits directement par l'effondrementeffondrement gravitationnel d'une étoile, croissent, en masse, en même temps que leur galaxie. On ne sait pas très bien ce que cela signifie. On sait en revanche que les galaxies peuvent entrer en collision et fusionner et il doit donc en être de même pour les trous noirs massifs présents dans leur centre. Des trous noirs supermassifs binaires onjt d'ailleurs été repérés dans certaines galaxies notamment grâce aux rayons Xrayons X.
Un scénario possible est que des trous noirs de plus faible masse prennent naissance au cœur des jeunes galaxies puis fusionnent successivement quand une galaxie en engloutit une autre. Ces trous noirs peuvent aussi croître en accrétant de la matièrematière de ces galaxies.
Bref, il existe bien des incertitudes sur la naissance de ces trous noirs géants et sur les mécanismes de leur croissance. Comme ils peuvent influencer l'évolution de leur galaxie hôte, par exemple lorsqu'ils deviennent des quasarsquasars, eLisa devrait nous aider aussi à comprendre l'histoire des galaxies et donc celle de la Voie lactéeVoie lactée.
L'épisode 3 de Gravity Ink explique la technique de détection des ondes gravitationnelles par interférométrie laser avec Liso, Virgo et surtout eLisa. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle avec deux barres horizontales en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître, si ce n'est pas déjà le cas. En passant simplement la souris sur le rectangle, vous devriez voir l'expression « Traduire les sous-titres ». Cliquez pour faire apparaître le menu du choix de la langue, choisissez « Français », puis cliquez sur « OK ». © Lisa Mission, YouTube
Futura-Sciences : Bicep2, pas plus que Planck, n’a malheureusement pas détecté les ondes gravitationnelles qu’une importante phase inflationnaire aurait produites au tout début de l’histoire de l’univers observable. Quel est le potentiel d’eLisa à cet égard ?
Pierre Binétruy : Un très grand nombre de modèles issus d'une physique au-delà du modèle standardmodèle standard peuvent conduire à une phase d'inflation produisant à la fois les fluctuations de densité nées des étoiles et des galaxies et un fond d'ondes gravitationnelles pouvant laisser des traces dans le rayonnement fossilerayonnement fossile sous la forme des fameux modes B.
Les modèles les plus sérieusement considérés font intervenir des processus à des énergiesénergies très élevées produisant des ondes gravitationnelles que eLisa ne devrait pas pouvoir détecter. Mais il existe des modèles exotiquesexotiques qui conduisent à des prédictions plus encourageantes. Par exemple, ceux dans lequel le champ responsable de l'inflation est directement couplé aux champs de jaugechamps de jauge du modèle standard. Certains modèles de pré-Big Bang pourraient également conduire à des signaux détectables par eLisa.
L'optimisme est plus grand pour la possibilité de détecter des processus physiques qui se seraient produits à des énergies de l'ordre de 1 à 100 TeV environ, accessibles par les expériences en cours au LHC ou ses successeurs. La découverte du bosonboson de Brout-Englert-Higgs a accrédité l'idée qu'il s'est produit, à ces énergies, une sorte de transition de phasetransition de phase comparable à la transformation d'un liquideliquide en gazgaz. C'est la transition électrofaible. Elle aurait affecté l'état du vide, comme l'apparition de bulles dans un liquide. Les collisions entre elles ayant généré des ondes gravitationnelles, eLisa pourrait donc permettre d'explorer certains aspects de la physique du modèle standard, voire au-delà.
Qoi qu'il en soit, les syurprises ne sont pas à exclure. L'histoire nous le montre : c'est toujours ce qui est toujours arrivé en astronomie lorsque s'est ouverte une nouvelle fenêtre d'observation. Pensons à celle des quasars avec la radioastronomie ou celle des sursautssursauts gamma.
Des images de la simulation de l'apparition de bulles de vrai vide au moment de la transition électrofaible, lorsque l'énergie associée au champ de Brout-Englert-Higgs s'annule. Elles coalescent de façon chaotique, ce qui génère des ondes sonores dans le plasma de matière chaud et dense de l'univers (qui ne sont pas celles que l'on écoute). Ces ondes génèrent à leur tour des ondes gravitationnelles. © New Scientist, YouTube
Futura-Sciences : Justement, quelles sont les perspectives de découvrir une nouvelle physique avec les ondes gravitationnelles ?
Pierre Binétruy : Advanced Ligo et Virgo, tout comme eLisa, pourraient détecter des ondes émises par des cordes cosmiques qui vibrent. Ces cordes émergentémergent aussi bien de certaines théories de Grande Unificationthéories de Grande Unification, qui font intervenir des cousins du champ de Brout-Englert-Higgs, que de la théorie des supercordesthéorie des supercordes. Ces cordes, si elles existent, sont des restes de l'univers très primordial mais qui ont continué à évoluer au cours du temps, des « fossiles actifs » en quelque sorte.
On peut aussi poser des contraintes sur la vitessevitesse de propagation des ondes gravitationnelles, qui devrait être celle de la lumièrelumière, et sur la masse du graviton qui n'est peut-être pas nulle (on vient d'ailleurs de le faire avec le signal détecté par Advanced Ligo en septembre 2015, mais de façon peu précise encore). La vitesse de propagation de ces ondes pourraient dépendre de leurs fréquencesfréquences. Cela pourrait nous donner des informations sur la structure quantique de l'espace-temps d'une manière similaire à ce que mes collègues et moi avons tenté de faire avec les ondes électromagnétiquesondes électromagnétiques observées sous forme de rayons gammarayons gamma par le satellite Integral.
Mieux, la précision des mesures de eLisa permet de chercher des signes d'une nouvelle physique. Par exemple dans le cadre de certaines théories de la gravitationgravitation prolongeant la théorie d'Einstein et dites tenseur-scalaire. Rappelons que des variantes de ces théories ont été proposées pour expliquer l'énergie noireénergie noire.
Les observations les plus importantes que nous livrera eLisa concernent les ondes gravitationnelles émises par des trous noirs stellaires en orbitesorbites rapprochées (les EMRI, pour Extreme Mass Ratio Inspirals) autour d'un trou noir supermassif, c'est-à-dire des astresastres compacts tournant en spirale de plus en plus rapidement jusqu'à la collision et la fusion.
Ces ondes devraient permettre de cartographier précisément la structure du champ de gravitation tout proche de l'horizon d'un trou noir et même de vérifier l'existence de cet horizon.
La théorie de la relativité généralerelativité générale fait des prédictions bien spécifiques à ce sujet. Ce champ doit être rigoureusement celui d'un trou noir de Kerr en rotation et ne dépendre que de la masse et du moment cinétique du trou noir. C'est le fameux « no hair theorem ». Il ne devrait pas exister autres paramètres enregistrant des informations sur la nature et la structure des objets avalés par un trou noir. C'est d'ailleurs en partie ce qui conduit au fameux paradoxe de l’information de la physique quantiquephysique quantique et l'évaporation d'un trou noir selon l'effet Hawking.
Des écarts aux prédictions de la solution de Kerr pourraient donc signifier qu'il faut remettre en cause la théorie de la gravitation d'Einstein ou l'existence même des trous noirs. Il y a eu quelques propositions exotiques à ce sujet, par exemple celle des gravastars. Ou, plus probablement, et c'est plus intéressant encore, eLisa pourrit déceler des effets de gravitation quantiquegravitation quantique modifiant la structure classique de la solution de Kerr au niveau de l'horizon d'un trou noir qui deviendrait par exemple effective et pas absolue. C'est d'ailleurs ce que laisse plus ou moins entendre la récente controverse sur l'existence d'un « pare-feu » au niveau de cet horizon.