Comprendre l'origine de la Lune consiste en quelque sorte à résoudre un puzzle combinant des considérations de cosmochimie et de mécanique céleste. Elles ont mené à l'hypothèse d'une collision entre la jeune Terre et une petite planète appelée Théia, il y a environ 4,5 milliards d'années mais des difficultés avec ce scénario subsistent. L'une d'elles, avec les isotopes de l'oxygène, vient peut-être de disparaître.


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    L'année dernière, la Nasa avait annoncé à l'occasion des 50 ans du premier alunissage des missions ApolloApollo qu'elle allait sortir de leur hibernation, si l'on peut dire, des échantillons de roches lunaires ramenés par ces missions mais qui avaient été volontairement laissés intacts et isolés à ce moment-là. L'idée était de laisser ces échantillons aux cosmochimistes et planétologues du XXIe siècle, mieux à même de les analyser avec des technologies plus avancées, mais nécessitant que les échantillons soient vierges de toutes tentatives pour ne pas altérer leurs mémoires.

    Mais même des échantillons déjà exploités il y a des décennies peuvent révéler des informations sur l'histoire du Système solaire et en l'occurrence sur l'origine de la Lune, si l'on en croit une publication dans Nature Geoscience de trois chercheurs de l'University of New Mexico à Albuquerque (États-Unis). En utilisant des spectromètres de masses du Center for Stable Isotopesils ont revisité les mesures des abondances en isotopesisotopes de l'oxygèneoxygène (16O,17O,18O) de nombreux échantillons de roches lunaires conservés au Centre spatial Lyndon B. Johnson, en les comparant ensuite aux mêmes abondances déterminées avec les mêmes instruments dans des roches terrestres (on peut trouver les échantillons lunaires utilisés sur une archive de la Nasa).


    Une présentation des archives des roches lunaires. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © PBS NewsHour

    Dans le premier cas, il s'agissait de basaltesbasaltes, anorthositesanorthosites, noritesnorites et verresverres volcaniques (le fameux sol orange d'Apollo 17), alors que dans le second on trouvait également des basaltes mais aussi des gabbrosgabbros et des péridotitespéridotites. Dans tous ces cas, l'ensemble des échantillons devait permettre de se faire une idée de la composition moyenne silicatée des deux astresastres et donc d'accéder à celles en isotopes de l'oxygène qui se trouvent dans les manteaux lunaires et terrestres.

    Des signatures isotopiques différentes en accord avec un impact géant

    Les résultats obtenus ont surpris les chercheurs, ils ont découvert des variations entre les abondances des échantillons lunaires et celles des échantillons terrestres qui avaient jusqu'ici échappé à leurs prédécesseurs. Pour la première fois, on découvrait qu'il y avait bien une différence entre la signature isotopique de l'oxygène du manteau lunaire et celle du manteau de la Terre. Or, cette différence était attendue si le fameux scénario de l'impact géant entre la proto-terre et une petite planètepetite planète de la taille de Mars et baptisée ThéiaThéia - en souvenir de la divinité grecque mère d'Hélios (le SoleilSoleil) et de Séléné (la Lune) - était bien la bonne explication de l'origine de la Lune, comme Futura l'expliquait dans le précédent article ci-dessous.

    Une des roches lunaires utilisées par les chercheurs. Sa référence pour la mission Apollo 11 est 10044. © Nasa
    Une des roches lunaires utilisées par les chercheurs. Sa référence pour la mission Apollo 11 est 10044. © Nasa

    Rappelons rapidement que les simulations de capture de la Lune par la Terre ne sont pas très favorables à une capture gravitationnelle en douceur mais implique plutôt une collision. De plus, les premières analyses des roches lunaires montraient des abondances en certains isotopes très proches, voire justement identiques dans le cas de l'oxygène entre ces roches et celles de la Terre, indiquant une origine commune. Or, les modèles de la formation du Système solaire et ce que l'on sait de la composition des météoritesmétéorites, dont certaines sont des roches martiennes, nous indiquent que selon leur lieu d'origine les planètes rocheusesplanètes rocheuses ne peuvent pas avoir des compositions aussi proches.

    On pouvait résoudre presque toutes les énigmes en supposant que Théia en entrant en collision avec la Terre avait arraché une partie de son manteau. Les éjectas produits se seraient alors mélangés aux restes de Théia en orbiteorbite autour de la Terre qui, par accrétionaccrétion, auraient donné la Lune.

    Le problème, c'est que les abondances des isotopes de l'oxygène, en particulier, étaient bien trop proches, ce qui suggérait soit que Théia s'était formée très proche de la Terre dans le disque protoplanétairedisque protoplanétaire, ce qui était difficile à comprendre et à justifier mais pas impossible, soit il fallait faire intervenir des processus d'homogénéisation et de mélange entre les matériaux de la proto-Terre et de Théia qui n'allaient pas de soi.

    Les nouvelles mesures aujourd'hui annoncées semblent donc résoudre pour la première fois les contradictions ou pour le moins les difficultés, de sorte que le scénario de l'impact géant en sort renforcé.

    Une autre des roches lunaires utilisées par les chercheurs. Sa référence pour la mission Apollo 15 est 15426. © Nasa
    Une autre des roches lunaires utilisées par les chercheurs. Sa référence pour la mission Apollo 15 est 15426. © Nasa

    Origine de la Lune : le scénario de l'impact se renforce

    Article de Laurent SaccoLaurent Sacco publié le 16/04/2015

    Comprendre l'origine de la Lune consiste en quelque sorte à résoudre un puzzle combinant des considérations de cosmochimie et de mécanique céleste. Elles ont mené à l'hypothèse d'une collision entre la jeune Terre et une petite planète appelée Théia, il y a environ 4,5 milliards d'années. Une équipe d'astrophysiciensastrophysiciens vient d'apporter une nouvelle contribution qui conforte cette hypothèse.

    Il y a 50 ans, William K. Hartmann et Donald R. Davis publiaient dans le célèbre journal Icarus un article destiné à faire date. Les deux hommes s'étaient inspirés des travaux concernant la formation des planètes du Système solaire issus de l'école soviétique menée par Viktor Safronov. Les deux chercheurs disposaient aussi des données cosmochimiques fournies par les missions Apollo et l'analyse des météorites trouvées sur Terre. En s'appuyant sur ces recherches, Hartmann et Davis avaient élaboré une théorie concernant l'origine de la Lune. Alastair G.W. Cameron et William R. Ward étaient également arrivés à des conclusions similaires au même moment.

    Selon les travaux de ces quatre chercheurs, quelques dizaines de millions d'années après le début de la formation du Système solaire, il y a 4,56 milliards d'années, une petite planète de la taille de Mars et baptisée Théia, en souvenir de la divinité grecque mère d'Hélios (le Soleil) et de Séléné (la Lune), serait entrée en collision avec la proto-Terre. Les débris de cette collision auraient ensuite donné naissance à la Lune dans le disque formé autour de la jeune Terre. La mécanique céleste nous dit en effet qu'une collision est bien plus probable qu'une capture de la Lune par la Terre.


    Comment s'est formée la Lune ? Hubert Reeves et Jean-Pierre Luminet, spécialistes en cosmologie contemporaine, répondent à toutes vos questions. Pour en savoir plus, visitez www.dubigbangauvivant.com. © Groupe ECP, YouTube

    L'hypothèse n'eut pas vraiment d'écho dans la communauté scientifique jusqu'à ce qu'une conférence se tienne en 1984 à Hawaï sur l'origine de la Lune. Celle-ci donna lieu à la publication d'un livre en 1986 qui est depuis devenu une référence sur ce sujet. Depuis lors, l'hypothèse de l'impact géant est devenue standard et de nombreuses simulations numériquessimulations numériques à son sujet ont vu le jour, notamment celle de Robin Canup dans les années 1990. Elles ont tout à la fois contribué à conforter cette théorie et à la rendre problématique.

    L'origine de la Lune et les contraintes de la cosmochimie

    On assiste depuis à une saga à rebondissements. L'article publié récemment dans Nature par une équipe d'astrophysiciens (Alessandra Mastrobuono-Battisti et Hagai B. Perets, du Technion, en Israël, et Sean N. Raymond, du laboratoire d'AstrophysiqueAstrophysique de l'université de Bordeaux) en est une bonne illustration. Les trois chercheurs y apportent une nouvelle pièce au dossier concernant l'énigme de la contradiction entre les données de la cosmochimie et celles de la mécanique céleste concernant la formation de la Lune.

    Pour comprendre de quoi il en retourne, il faut en revenir aux fondations de l'hypothèse de Hartmann, Cameron et leurs deux collègues. La Lune est moins dense que la Terre et les roches que les missions Apollo ont ramené sur notre Planète permettent de dresser un tableau de sa composition chimique. Si le ferfer contribue à 30 % de la masse de la Terre (en grande partie avec son noyau), il ne contribue qu'à 10 % de celle de notre satellite. La Lune est aussi moins riche en éléments volatils comme le potassiumpotassium et l'eau, ce qui suggère qu'elle a été entièrement portée à de hautes températures ayant conduit à une perte importante de ces éléments.

    En revanche, les compositions en isotopes de l'oxygène des silicatessilicates des manteaux de la Terre et de la Lune apparaissent comme identiques (l'abondance de l'oxygène 17, l'une des meilleurs mesurées pour les isotopes stables, ne peut différer de plus de 0,016 % dans les roches terrestres et lunaires), ce qui est très surprenant de prime abord puisqu'elles diffèrent de celles des météorites. Dans le cas de Mars, les différences peuvent même être d'un facteur 50. D'autres isotopes étudiés depuis les travaux pionniers des années 1970 comme ceux du chromechrome, du titanetitane, du tungstènetungstène et du siliciumsilicium montrent aussi que la Terre et la Lune ont une composition chimique commune. On a abouti récemment à une conclusion identique au niveau de certains éléments réfractairesréfractaires comme l'aluminiumaluminium en déterminant avec plus de précision la structure de la croûtecroûte lunaire grâce aux missions Grail et LROLRO.

    Pour rendre compte de cette composition chimique partagée, les chercheurs avaient tout naturellement avancé que l'impact entre la petite Théia et la Terre avait arraché une part importante du manteau terrestremanteau terrestre et que son noyau ferreux avait fusionné avec celui de la Terre. La Lune se serait donc formée par accrétion à partir d'un matériaumatériau chaud formant un disque autour de la Terre et dont la composition était dominée par celle du manteau de notre Planète.

    William Hartmann n'est pas uniquement un brillant astrophysicien, c'est aussi un peintre de talent bien connu pour ses illustrations de paysages en astronomie et géologie. © Nasa
    William Hartmann n'est pas uniquement un brillant astrophysicien, c'est aussi un peintre de talent bien connu pour ses illustrations de paysages en astronomie et géologie. © Nasa

    L'origine de la Lune et les contraintes de la mécanique céleste

    Cependant, les progrès dans les simulations numériques concernant la collision entre Théia et la Terre suivie de l'accrétion de la Lune ont ensuite indiqué que la majorité de la matièrematière lunaire proviendrait de Théia. Pour échapper à cette conclusion, il faut supposer des valeurs assez improbables de certains paramètres de la collision, en changeant par exemple la vitesse de rotationvitesse de rotation initiale de la Terre ou la masse de Théia.

    De l'avis général, il fallait donc admettre que la Terre et Théia avaient des compositions chimiques très proches, ce qui entrait en contradiction avec les modèles de formation du Système solaire. D'après ceux-ci, en effet, les planétésimaux et les petites planètes sont nés dans des régions différentes du disque protoplanétaire et ont migré bien au-delà de leurs lieux de naissance avant d'entrer en collision pour former des planètes. Dans ce scénario, Théia et la Terre devraient être constituées de matériaux bien différents. De fait, la composition de Mars est en plein accord avec ces modèles et elle diffère de celle de la Terre, tout comme les météorites qui sont la mémoire de ces premiers temps de la formation du Système solaire.

    Toutefois, les travaux de Mastrobuono-Battisti, Perets et Raymond exposés dans l'article disponible sur arXiv viennent de changer la donne et apportent peut-être la solution de l'énigme. Les chercheurs ont fait tourner plusieurs simulations de la formation des planètes rocheuses du Système solaire interne ; ces simulations ont été obtenues en considérant les collisions et les fusionsfusions entre 1.000 à 2.000 petits corps célestes. Leurs calculs aboutissent bien trois à quatre planètes principales avec des compositions chimiques différentes (ce que l'on aimerait bien vérifier en collectant des roches sur Mercure et Vénus, car Mars pourrait être une anomalieanomalie). Cependant, celles des planètes nainesplanètes naines susceptibles d'entrer en collision tardivement avec ces planètes diffèrent peu dans 20 à 40 % des cas.

    Au final, l'obtention d'une Lune avec une composition très proche de celle de la Terre n'apparaît donc plus comme improbable. C'est d'ailleurs ce que pense Robin Canup qui était devenue pessimiste ces dernières années quant à l'hypothèse de la collision, en déclarant : « C'est une très importante pièce du puzzle. Considérée sérieusement, elle implique que ce scénario est le plus probable ».