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En 2005, les scientifiques du Virgo Consortium for Cosmological Supercomputer Simulations avaient commis une retentissante publication dans Nature. A partir du programme Gadget-2, développé par Volker Springel du Max PlanckMax Planck Institute for Astrophysics, ils avaient réussi à simuler la formation des structures à grandes échelles de l'Univers dans le cadre du modèle standard de la cosmologiemodèle standard de la cosmologie actuelle, donc avec matière noirematière noire et constante cosmologique. A partir des données fournies par le rayonnement fossile et d'une distribution initiale de matière noire, la simulation montrait la formation des amas de galaxies ainsi que des quasars au début de l'histoire de l'Univers.
Le résultat était impressionnant et avait été baptisé la Simulation du Millénaire (Millennium Simulation). Tiziana Di Matteo et ses collègues de la Carnegie Mellon University sont allés encore plus loin, en incluant dans les effets du rayonnement produit par les trous noirs géants constituant les quasars. Leur simulation est la plus précise à ce jour et bien des énigmes sur la formation et l'évolution des premières galaxies, et des premiers trous noirs, commencent à trouver leurs solutions.
Une plongée dans la Simulation du Millénaire. © whichoney, YouTube
Collisions galactiques et croissance des trous noirs
Simuler l'Univers, c'est un peu comme jouer à Dieu, et l'on peut comprendre la fascination d'une telle entreprise. La simulation numériquesimulation numérique qui vient d'être effectuée à l'aide de Bigben, le Cray XT3 du Pittsburgh Supercomputing Center, est probablement la plus gourmande en calculs de l'histoire de la cosmologie. Elle montre comment le gazgaz de baryonsbaryons et la matière noire ont évolué dans une partie de notre Univers observable, entre 200 millions et 6 milliards d'années environ après sa naissance. Les détails obtenus à différentes échelles sont aussi impressionnants que dans les simulations de 2005, mais ils sont encore plus précis.
En effet, cette fois, ce sont tous les mécanismes de l'accrétionaccrétion de la matière sur le trou noir central des galaxies qui ont été pris en compte. On sait qu'en tombant vers celui-ci, du gaz s'échauffe et fini par produire du rayonnement et du plasma. Un mécanisme complexe de magnétohydrodynamique relativiste, celui de Blandford-Znajek, s'enclenche alors, et c'est lui qui est responsable des énormes quantités d'énergieénergie lumineuse produites par les quasars pendant les premiers milliards d'années de l'Univers.
Les collisions entre galaxies étaient alors beaucoup plus fréquentes qu'aujourd'hui, ce qui se traduisait non seulement par un surplus d'alimentation en gaz des trous noirs massifs tapis au cœur des jeunes galaxies mais aussi parfois, par leur fusionfusion. Paradoxalement, c'est ce processus qui va finir par causer la mort des quasars puisque, dans l'Univers observable actuel, seule une galaxie sur 10.000 environ en abrite encore un.
Cela n'est pas difficile à comprendre. Le rayonnement exerce une pressionpression sur le gaz environnant et il existe une limite, nommée la limite d'Eddingtonlimite d'Eddington, au-delà de laquelle cette pression est si forte qu'elle souffle complètement le gaz tombant sur un astreastre compact, en stoppant l'accrétion de matière. C'est ce mécanisme qui, en appauvrissant en gaz les jeunes galaxies, aurait été à l'origine de la diminution au cours des temps cosmologiques de la proportion de galaxies hébergeant un quasar. La quantité de gaz présent dans une galaxie déterminant en partie le taux de formation des étoilesétoiles, on soupçonnait depuis longtemps un lien entre la formation et l'évolution des galaxies, et la présence de trous noirs dans leur bulbe.
Curieusement, d'ailleurs, la massemasse totale des étoiles dans une galaxie est en général mille fois celle de son trou noir central. Quel est donc ce lien mystérieux entre galaxies et trous noirs ?
C'est pour tenter de le savoir que cette simulation plus réaliste, incluant la physiquephysique des trous noirs a été faite. Les chercheurs voulaient aussi répondre aux questions suivantes : quels types de quasars se forment, dans quels genres de galaxies et à quels moments ? quels sont les progéniteurs des trous noirs supermassifstrous noirs supermassifs actuels ?
Si l'on connaissait un début de réponse, on saurait quelles observations effectuer avec la prochaine génération de télescopestélescopes, comme le successeur de HubbleHubble, James Webb, pour avoir des images directes de la formation des premières galaxies et des premiers trous noirs géants.
Simuler un million de galaxies
Pour y parvenir, les chercheurs ont simulé environ un million de galaxies dans un volumevolume de 33 mégaparsecs cubes. Le calcul a nécessité quatre semaines, car ce sont en fait les mouvementsmouvements non seulement de 230 millions d'étoiles mais aussi du gaz de matière ordinaire et de matière noire sous l'effet combiné de la gravitationgravitation et du rayonnement que les 2.000 processeurs XT3 ont reproduits. En plus, le calcul a couvert une période de plusieurs milliards d'années de l'histoire du cosmoscosmos dans le cadre d'un modèle cosmologique lambda CDM, et même l'influence des explosions stellaires a été prise en compte. Cela a donc permis de suivre non seulement la dynamique des super amas de galaxies, mais aussi la croissance des trous noirs au centre des galaxies. La quantité de données numérique fournies sur de si vastes échelles de distances et de temps est énorme : 30.000 gigabits ! Les cosmologistes commencent juste à extraire les trésors d'informations qu'elles contiennent.
Les chercheurs ont en effet trouvé que la rétroactionrétroaction du rayonnement des trous noirs sur le gaz les alimentant était loin d'être négligeable et que les trous noirs jouaient un rôle important de régulateurs de la dynamique des galaxies au début de l'histoire du cosmos. Deux résultats particulièrement importants méritent d'être mentionnés.
Au fur et à mesure que le temps passe, une galaxie tend à perdre son gaz non seulement parce que celui-ci est absorbé par la formation des étoiles mais aussi parce que lors des interactions entre galaxies les forces de maréeforces de marée sont susceptibles de l'arracher de celles-ci. Le nombre d'étoiles jeunes à courte duréedurée de vie et de couleurcouleur bleue diminue donc, et celui des étoiles rouges, vieilles et à longue durée de vie, augmente. Or, un nombre anormalement élevé de « vieilles » galaxies « rouges » et « mortes » a été observé dans le passé ancien de l'Univers. Pourquoi un tel nombre ? Certains n'avaient d'ailleurs pas hésité à affirmer, bien hâtivement et inconsidérément, que cela pouvait réfuter la théorie du Big BangBig Bang. La simulation donne la réponse, c'est l'activité intense des quasars à cette époque qui a contribué à souffler plus de gaz que l'on ne l'imaginait dans certaines galaxies, stoppant donc l'activité de formation de nouvelles étoiles prématurément.
La seconde énigme qui vient de recevoir un début d'explication : la simulation retrouve enfin le rapport de un sur mille entre la masse du trou noir central et la masse totale des étoiles de la galaxie. Les détails précis de la liaison entre les deux phénomènes échappent encore aux théoriciens, mais des indices doivent se trouver dans les observations et expériences virtuelles que ceux-ci peuvent maintenant faire, soit avec les données enregistrées, soit en produisant de nouvelles simulations. D'après Tiziana Di Matteo et ses collègues, nous n'en sommes encore qu'au début de la moisson de résultats avec ces simulations.