Des simulations numériques alimentées par les données gravimétriques de la mission Grail suggèrent une explication pour l'asymétrie des faces de la Lune. La face cachée serait couverte des débris résultant d'une collision avec une planète naine de la taille de Cérès.

Il y a 60 ans, en ce début d'année 2019, Lunik 1 devenait le premier artefact de l'humanité à survoler la Lune. Dans environ 6 mois, ce sera aussi l'anniversaire d'une autre sonde russe, Lunik 3, qui, en 1959, révéla les premières photos de la face cachée de la Lune. Il faudra attendre Lunik 9 en 1966 pour que les Russes réussissent le premier alunissage en douceur et que soit révélée, cette fois-ci, la première photo de la surface de notre satellite prise in situ.

D'autres missions lunaires suivront, y compris bien sûr les missions Apollo mais elles ne feront que rendre de plus en plus perplexes les sélénologues en confirmant que la face cachée de la Lune ne ressemblait décidément pas à la face que contemple l'humanité depuis qu'elle est debout et utilise des outils.

Une reconstitution à l'échelle de la sonde Lunik 3 ( aussi appelée Luna 3) au Musée mémorial de l'astronautique de Moscou. © DP Wikipédia
Une reconstitution à l'échelle de la sonde Lunik 3 ( aussi appelée Luna 3) au Musée mémorial de l'astronautique de Moscou. © DP Wikipédia

La gravimétrie, une sonde de l'intérieur des planètes

À partir des années 1970, après les missions Apollo et le début des missions Voyager, la planétologie et la cosmogonie du Système solaire vont faire des progrès spectaculaires grâce aux missions spatiales et à la montée en puissance des ordinateurs. Ces deux derniers conjugués vont permettre des simulations de la naissance des planètes ainsi que le traitement des données des capteurs des sondes spatiales, que ces données concernent le champ de gravité ou la magnétosphère ou encore les spectres des atmosphères et des surfaces planétaires.

Parmi les résultats apportés par les machines du XXIe siècle, il y a notamment les données gravimétriques de la mission Gravity Recovery and Interior Laboratory (Grail) qui a permis de cartographier avec plus de précision le champ de gravité de la Lune. Comme dans le cas de ce qui se fait sur Terre depuis des décennies avec des satellites en orbite, il est possible d'inverser les données -- comme disent les géophysiciens -- pour remonter d'un signal aux caractéristiques de la source de ce signal. En l'occurrence, il est possible d'avoir l'équivalent d'un scanner montrant la répartition des masses et des densités à l'intérieur de la Lune.

Une équipe de chercheurs vient de publier ses conclusions au sujet de l'analyse des données de Grail dans un article du Journal of Geophysical Research : Planets, éclairant d'un jour nouveau l'énigme de la différence entre les deux faces de la Lune. Ce travail conforte une hypothèse déjà présentée dans le précédent article ci-dessous que Futura avait consacré à cette énigme, à savoir que cette différence devait être le produit d'une collision entre la Lune et un corps céleste un peu plus petit il y a plus de 4 milliards d'années. Mais il ne s'agirait pas d'une lune jumelle apparue en même temps que notre satellite après la collision de la Terre avec une petite planète de la taille de Mars, la fameuse Théia.


Une présentation de la mission Grail. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © Nasa Jet Propulsion Laboratory

Une collision avec une planète de la taille de Cérès ?

Non ! selon les chercheurs, et cela rendrait compte des différences des abondances de certains isotopes (de potassium, de phosphore, de terres rares et aussi avec le tungstène 182) qui ne cadraient pas avec l'hypothèse qu'une bonne partie du matériau lunaire proviendrait du manteau de la proto-Terre arraché par la collision avec Théia, cette autre petite planète proviendrait d'une autre région du Système solaire où elle s'est formée.

En effet, on sait bien et en particulier que, selon la distance au jeune Soleil, la composition chimique des poussières et des gaz dans le disque protoplanétaire où sont nées les planètes n'était pas la même, malgré l'influence de la turbulence et des mélanges de matière qu'elle implique.

Ce nouveau scénario d'impact avec la jeune Lune, les cosmogonistes y sont arrivés en effectuant pas loin de 360 simulations sur ordinateur avec des impacteurs de masses et de vitesses différentes. L'idée derrière tout cela était notamment de rendre compte d'une surépaisseur de 5 à 10 km de la surface cachée de la Lune par rapport à sa face visible qui viendrait du dépôt des débris de l'impact qui aurait recouvert la surface figée de l'ancien océan de magma lunaire.

Parmi les simulations, celles qui rendent compte le mieux des données gravimétriques générées par cette couche de débris font intervenir un objet dont la taille aurait été d'environ 720 à 780 km de diamètre, donc de l'ordre de grandeur de Cérès, arrivant avec des vitesses de 22.000 à 24.000 km/h environ.

Si cette découverte venait à être confirmée, ce ne serait pas seulement un résultat important pour comprendre l'origine de la Lune. D'autres corps célestes dans le Système solaire présentent des asymétries similaires entre deux hémisphères ; ce qui laisserait alors penser que le scénario aujourd'hui présenté s'est produit en fait plusieurs fois il y a plus de 4 milliards d'années.


La Lune aurait eu une petite soeur, nous dit sa face cachée

Article de Laurent Sacco publié le 05/08/2011

Pour expliquer l'origine de la Lune, l'hypothèse la plus vraisemblable est celle d'une collision de la Terre avec un corps céleste de la taille de Mars. Selon deux chercheurs de l'université de Santa Cruz, cette collision en aurait causé une autre, plus tard, entre la jeune Lune et un compagnon en orbite. Ce qui expliquerait l'aspect de la face cachée de la Lune.

Au tout début de l'Hadéen, c'est-à-dire il y a plus de 4 milliards d'années, un corps céleste de la taille de Mars et baptisé du nom de Théia, serait entré en collision avec la Terre. Le noyau ferreux de Théia aurait fusionné avec celui de la Terre mais une partie du manteau terrestre arraché par un impact tangentiel, mélangé avec celui de Théia, bien que porté à très haute température et formant un disque de débris, aurait fini par s'accréter pour donner la Lune. On explique de cette façon pourquoi la Lune est pauvre en eau et en éléments volatils, tout en ayant une composition isotopique qui rappelle celle du manteau de la Terre.

Les simulations numériques portant sur la formation des planètes sont favorables à cette hypothèse, qui semble plus probable qu'une formation de notre satellite loin de la Terre suivie d'une capture ultérieure.

Or, selon d'autres simulations effectuées par Erik Asphaug et Martin Jutzi de l'université de Californie à Santa Cruz, d'autres événements importants se seraient aussi passés peu de temps après la formation de la Lune, à l'échelle de l'évolution du Système solaire bien sûr. Si le scénario proposé par les deux chercheurs dans un article récent de Nature (donné en lien ci-dessous) est correct, nous aurions la clé d'une énigme remontant aux observations de la sonde soviétique Luna 3 en 1959. Les images qu'elle a fournies montraient en effet un contraste frappant entre l'aspect de la face cachée de la Lune et sa face visible, difficile à expliquer.

Une vue de la face cachée de la Lune, prise lors de la mission Apollo 16. © Nasa
Une vue de la face cachée de la Lune, prise lors de la mission Apollo 16. © Nasa

Plusieurs hypothèses ont été proposées depuis lors. La dernière repose sur l'idée, soutenue par les simulations numériques, que la Lune n'aurait pas été le seul corps à s'accréter au voisinage de la Terre.

Une deuxième Lune pour la Terre

De même qu'il existe un astéroïde que l'on peut qualifier de troyen à l'un des points de Lagrange du système Terre-Soleil, un petit corps possédant environ 3 % de la masse de la Lune se serait formé à partir des matériaux communs à la Terre et Théia à l'emplacement d'un point de Lagrange du système Terre-Lune. 

Malgré tout instable, l'orbite troyenne de ce petit corps l'aurait amené à entrer en collision au bout de 100 millions d'années avec la face cachée actuelle de la Lune. La collision aurait été « douce », à seulement 8.600 km/h. En conséquence de quoi, le petit corps céleste se serait écrasé en se déformant en prenant un peu l'aspect d'une crêpe, recouvrant un hémisphère lunaire. Ce serait là l'origine de la quasi-absence de mer lunaire sur la face cachée de la Lune ainsi que sa topographie plus élevée.

Un moyen de tester cette théorie dans les prochaines années existe peut-être. En septembre, une mission de la Nasa baptisée Grail devrait partir en direction de Lune. Son but est de faire des mesures gravimétriques fines de notre satellite. En résolvant ce qu'on appelle en géophysique un problème inverse, les planétologues peuvent déduire de la connaissance du champ de gravitation de la Lune un certain nombre de caractéristiques de sa croûte et de son manteau. Il est possible que l'on découvre qu'elles sont exactement ce à quoi on devait s'attendre dans le scénario de Jutzi et Asphaug.

Nous saurions alors qu'au moins deux lunes étaient en orbite autour de la Terre à un moment de son histoire.

Une représentation des différentes étapes ayant conduit à la formation de la face cachée de la Lune. Elle commence en haut à gauche par l'approche d'un corps céleste de 1.270 km de diamètre constituant initialement un troyen du système Terre-Lune, déstabilisé par le Soleil. © M. Jutzi, E. Asphaug, Nature.
Une représentation des différentes étapes ayant conduit à la formation de la face cachée de la Lune. Elle commence en haut à gauche par l'approche d'un corps céleste de 1.270 km de diamètre constituant initialement un troyen du système Terre-Lune, déstabilisé par le Soleil. © M. Jutzi, E. Asphaug, Nature.