C’est un phénomène rare qu’une équipe internationale d’astronomes vient de découvrir grâce au télescope Hubble : un double anneau d’Einstein. Produit par un effet de lentille gravitationnelle, la découverte de dizaines d’autres anneaux de ce genre aurait des implications fortes pour la cosmologie.

Hubble continue toujours de nous émerveiller en révélant des phénomènes astrophysiques au-delà de notre imagination, comme aime à le répéter Joe Liske, l’astrophysicien animant le Hubblecast.

Rappelons que le phénomène de lentille gravitationnelle a été théorisé en 1936 par Albert Einstein, bien que l'idée ait été formulée pour la première fois en 1924 par le physicien Orest Chwolson. Comme Einstein l'avait montré, l'existence d'un espace-temps courbé par la matière peut se manifester sur la trajectoire des rayons lumineux d'une manière équivalente à l'introduction d'un indice variable dépendant de la masse du corps, dont le champ de gravitation dévie les rayons lumineux. On peut donc s'attendre à ce qu'une concentration suffisamment importante de matière agisse sur la lumière provenant d'une étoile, ou d'une galaxie, à la manière dont le ferait l'introduction d'une lentille ou tout du moins d'un dioptre.

En particulier, le bouillant astrophysicien d'origine suisse Fritz Zwicky, avait proposé, dès 1937, que des amas de galaxies puissent produire un effet de lentille gravitationnelle éventuellement observable dans un futur proche. Il faudra pourtant attendre 1979 avec l'observation du quasar double QSO 0957+561.

Un outil très utilisé en astronomie

Aujourd'hui, le phénomène de lentille gravitationnelle, sous sa forme forte ou faible, avec déformations des images, est un outil puissant utilisé par les astronomes et les astrophysiciens pour détecter de la matière noire et obtenir des renseignement sur l'Univers profond, en profitant de l'effet de grossissement des lentilles gravitationnelles.

Les membres d'une équipe menée par les astronomes Raphael Gavazzi et Tommaso Treu, de l'Université de Californie (Santa Barbara) ont eu le souffle coupé en découvrant ce superbe anneau double.

Une première galaxie, à trois milliards d'années-lumière, fait office de lentille. Elle nous montre deux anneaux presque concentriques, images déformées mais instructives de deux autres galaxies situées derrière, beaucoup plus loin dans l'axe de visée, à six et onze années-lumière. Cliquez pour agrandir.<br />Crédit : Esa/Nasa

Une première galaxie, à trois milliards d'années-lumière, fait office de lentille. Elle nous montre deux anneaux presque concentriques, images déformées mais instructives de deux autres galaxies situées derrière, beaucoup plus loin dans l'axe de visée, à six et onze années-lumière. Cliquez pour agrandir.
Crédit : Esa/Nasa

Il s'agit d'une illustration parfaite du phénomène de lentille gravitationnelle. Il se produit ici avec une galaxie naine à l'avant-plan d'une galaxie lointaine, derrière elle. En effet, lorsque les deux galaxies sont presque exactement alignées, la lumière forme un cercle, appelé un anneau d'Einstein, autour de la galaxie à l'avant-plan. Si une autre galaxie lointaine se trouve elle aussi à peu près alignée avec la grande galaxie, un second anneau, plus grand, apparaîtra. C'est précisément ce qui se passe ici ! Les chances de voir un tel alignement sont si petites que Tommaso Treu s'est dit qu'ils avaient gagné le jackpot...

La grande galaxie est à 3 milliards d'années-lumière, quant aux anneaux d'Einstein, ils sont produits par la déviation de la lumière de deux galaxies dont l'une est à 6 milliards d'années-lumière et l'autre à 11 milliards d'années-lumière.

Adam Bolton, membre de l'équipe SLACS de Institut d'Astronomie de l'Université de Hawaï (Honolulu), a identifié pour la première fois la lentille dans le Sloan Digital Sky Survey (SDSS). Il précise que : « L'indication originale qui nous a conduit à cette découverte était cachée dans 500 photons parmi 500.000 dans le spectre de la galaxie à l'avant-plan ». Tommaso ajoute : « Le double anneau était lui clairement visible dans l'image de Hubble. Lorsque je l'ai vu la première fois, j'ai dit "oh, c'est dingue !". Je ne pouvais pas le croire ! ».

Pour les chercheurs, outre l'aspect esthétique de cette découverte, elle constitue la première mesure de la masse d'une galaxie naine à une distance cosmologique (redshift z = 0,6). Elle vaut ici un milliard de masse solaire, matière noire comprise. En outre, un échantillon de quelques dizaines de double anneaux d'Einstein comme celui-ci offrirait une mesure indépendante simple de la courbure de l'espace par la gravité à l'échelle cosmologique. Cela aiderait à déterminer le contenu en matière et en énergie noire de l’Univers ainsi qu’à préciser les caractéristiques de cette dernière, comme son équation d'état.