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Parti en novembre 2011, le lourd rover Curiosity (près de 900 kgkg, contre 185 kg pour ses prédécesseurs Spirit et OpportunityOpportunity) est parvenu début août 2012 dans la banlieue martienne, après 255 jours d'un voyage de 560 millions de km. Plongeant directement dans l'atmosphèreatmosphère ténue de la Planète rouge à 21.200 km/h, il a accumulé les premières pour une mission sur Mars : plus grande masse à l'arrivée (3.895 kg pour l'engin complet), plus grand bouclier de protection thermique (4,50 m, contre 4 m pour les capsules ApolloApollo), plus grand parachuteparachute (16 m de diamètre) et méthode d'atterrissage jamais testée en situation réelle.
Lorsque le rover s'est détaché de la capsule, il était accroché à un curieux appareil équipé de huit moteurs. Commandée par l'ordinateurordinateur-pilote installé dans le rover, cette grue volante a poursuivi la descente jusqu'à une trentaine de mètres du sol au-dessus du site d'atterrissage.
Un autoportrait réalisé le 31 octobre et le 1er novembre 2012. L'image est une composition de photographies prises avec la caméra Mahli (Mars Hand Lens Imager), installée au bout du bras du rover. Ont été sélectionnées les photos sur lesquelles le bras n'apparaissait pas. © Nasa, JPL-Caltech, Malin Space Science Systems (MSSS)
Le rover a alors déroulé les trois brides de 7,5 m et, ainsi suspendu, s'est posé. Quand le contact avec le sol a été assuré, les câbles ont été décrochés et la grue volante, poussant une dernière fois ses réacteurs, s'est éloignée pour un crash fatal à 650 m de là. Au milieu d'un nuagenuage de poussière, CuriosityCuriosity a expédié son message aux Terriens du JPL (Jet Propulsion Laboratory), pour les rassurer. Ils le furent le dimanche 5 août à 22 h 32 heure de Californie, soit le lundi 6 août à 5 h 32 en temps universel et 7 h 32 en France métropolitaine.
Malgré la distance et puisque le rover est depuis le 11 juillet seulement occupé à rouler vers le mont Sharp, Futura-Sciences a pu interroger Curiosity qui a aimablement répondu à nos questions.
La capsule abritant le rover Curiosity et sa grue volante, lors de la descente sous parachute, saisie par l'orbiteur MRO et son instrument Hirise (High-Resolution Imaging Science Experiment), une minute avant l'atterrissage. © Nasa, JPL, University of Arizona
Futura-Sciences : L’atterrissage s’est-il bien passé ?
Curiosity : Très bien. En douceur. Un « kiss landing » comme disent les pilotes d'avion. Et j'étais bien au milieu de l'ellipse prévue. Une précision du tonnerretonnerre. C'est moi qui pilotais. Mais quelle poussière ! Il y en avait partout. Il paraît que mon « atterro » en a soulevé 400 kg et que l'on pense à équiper mes successeurs de carénages [rapporté par Sylvestre Maurice, astrophysicienastrophysicien à l'Irap de Toulouse et coresponsable de l'instrument ChemCamChemCam, dans une conférence disponible sur le Web, NDLRNDLR].
Quel chemin avez-vous parcouru depuis un an ?
Curiosity : J'ai passé le premier kilomètre le 16 juillet 2013. Ce jour-là (le sol 335, c'est-à-dire le 335e jour martien de la mission), j'ai parcouru 38 m.
Mais c’est très peu, un kilomètre en 11 mois…
Curiosity : Eh, c'est que je travaille, moi... Si je veux, je peux foncer à 90 m par jour. Mais on ne m'a pas envoyé ici pour faire du tourisme. Je n'arrête pas de m'arrêter. Voilà la vérité. Les scientifiques, d'ailleurs, se battent entre eux pour savoir sur quel caillou je vais travailler. Il y a tant de choses à voir !
Photographié par une caméra installée sous le rover et baptisée Mardi (Mars Rover Descent Imager), le nuage de poussière soulevé par les fusées de la grue volante juste avant l'atterrissage. © Nasa, JPL-Caltech, MSSS
Et qu’avez-vous vu ?
Curiosity : D'abord un paysage désertique, avec un immense massif montagneux, le mont Sharp. Le sommet est à 5,5 km au-dessus de moi. Je suis au fond du cratère Gale, je vous le rappelle. C'est bien plus accidenté que les mornes plaines où ont atterri les jumeaux Spirit et Opportunity. Les collines devant moi sont stratifiées. Pour les géologuesgéologues, c'est comme les pages d'un livre, paraît-il. Un livre qui raconte quatre milliards d'années, car c'est l'âge de ce cratère qui a été empli de dépôts puis érodé, mais en laissant cet énorme pic central.
Vous avez commencé à grimper ?
Curiosity : Oh non. D'abord, j'ai pris des photos. Ensuite la température. Le jour, elle monte à plus de 0 °C. C'est plus que prévu. Il paraît que c'est un microclimatmicroclimat.
Il ne fait pas si froid, alors !
Curiosity : Effectivement. Mais la nuit, le thermomètrethermomètre descendait à -80 °C tout de même...
Descendait ?
Curiosity : Oui, actuellement, c'est plutôt -60 °C.
Une des premières images envoyées par Curiosity. Elle a été prise avec l'une des caméras Hazcam, installées dans la partie inférieure du rover et qui servent à la navigation. L'image montre l'ombre du robot et en arrière-plan le mont Sharp. © Nasa, JPL-Caltech
Et ensuite, la randonnée vers le mont Sharp !
Curiosity : Mais non ! Il y avait d'autres choses à faire avant. D'abord, tester mes instruments. J'ai tiré au laser à impulsion avec ma ChemCam. C'est très amusant. Je vise un caillou que je pointe avec une lunette et je fais un minuscule trou. La roche est vaporisée, transformée en un plasma coloré que le spectromètrespectromètre analyse. Le sol 13 (13e jour martien de la mission, donc), j'ai tiré 50 fois, jusqu'à 7 m ! Ensuite seulement, au sol 15, j'ai bougé une roue. Et puis j'ai commencé à rouler pour m'éloigner du site d'atterrissage, baptisé Bradbury en l'honneur de l'écrivain auteur des Chroniques martiennes. Les fuséesfusées de ma grue ont tellement noirci le sol autour de moi qu'il vaudrait mieux ne pas l'analyser...
Direction Sharp ?
Curiosity : Décidément, vous manquez de patience... Je suis parti de l'autre côté, vers ce qui semblait être une ancienne rivière. Les responsables ont appelé ce coin Glenelg, car c'est un palindrome, pour rappeler que je devrai faire ensuite le même chemin à l'envers. Je me suis souvent arrêté, pour analyser des rochers, par exemple Rocknest, qui a reçu 2.000 tirs de ma ChemCam.
Les premiers trous sur Mars. Celui du haut est un essai. Celui du bas a servi à prélever des échantillons qui doivent ensuite être envoyés dans un tamis. On voit d'ailleurs le matériau cru (petit tas à droite) et après tamisage (à gauche), une installation réalisée uniquement pour la photographie. © Nasa, JPL-Caltech, MSSS
Vous avez d’autres instruments tout de même ?
Curiosity : Oui, 75 kg en tout. Dix fois plus, en masse, que ces pauvres Spirit et Opportunity. J'ai un laboratoire d'analyse chimique (Sam, Sample analysis at Mars) et un labo de minéralogie (CheMin, Chemistry and Mineralogy). Ils peuvent analyser les échantillons que je prélève (et même l'atmosphère pour Sam). Car je creuse et je fore : j'ai fait le premier trou sur Mars, le premier sur une autre planète que la Terre. C'était le sol 182 (8 février 2013 pour vous), dans un rocher baptisé John Klein. Avec ma pelle, j'ai prélevé des échantillons de sol (très fin, comme du talc), que j'ai tamisés et envoyés à CheMin et Sam.
Des essais de tirs au laser par l'instrument ChemCam à côté et à l'intérieur d'un trou foré par la perceuse. Ou la démonstration de la précision des tirs... © Nasa, JPL-Caltech, MSSS
Des découvertes ?
Curiosity : Oh oui. Mais rappelez-vous qu'il y a deux temps pour les annonces. Celui de la NasaNasa, qui fait un communiqué rapidement, parfois un peu vite comme lorsqu'ils ont généré un buzz avec une prétendue « grande découverte ». Et celui des scientifiques qui publient des mois après, voire un ou deux ans plus tard... Mais il faut bien répondre à la curiosité des gens, bien légitime. Alors disons cela : j'étais bien dans le lit d'une rivière asséchée depuis longtemps. Il y a des cailloux ressemblant à des galets polis par le courant et des sédimentssédiments. Leur composition montre que de l'eau a coulé ici. Elle n'était pas acideacide (comme ce qu'avaient vu ailleurs Spirit et Opportunity) et le milieu n'était pas oxydant. Autour de moi, il y a des argilesargiles. Avec tout cela, « on aurait pu boire cette eau », a dit un des responsables de la mission. Donc, à cette époque-là et à cet endroit, Mars a été habitable. Mais pendant combien de temps, telle est la question. L'eau qui a coulé ici n'était pas profonde (moins d'un mètre) et le courant était faible (quelques décimètres par seconde). On est loin des océans et des rivières de la Terre.
Un détail de la rivière asséchée baptisée Hottah, à gauche, comparé à un sédiment semblable observé sur Terre dans le lit d'une ancienne rivière. Avec la granulométrie, les géologues peuvent estimer la force du courant, tandis que les inclusions et la matrice qui les contient peuvent être analysées avec le spectromètre de la ChemCam. © Nasa, JPL-Caltech, MSSS, PSI
C’est un beau résultat. Avez-vous bien rempli votre mission, qui était d’estimer l’habitabilité passée martienne ?
Curiosity : Oui, mais il reste encore bien d'autres analyses à faire. Et je ne fais pas que cela. J'ai mesuré les radiations durant le voyage et mes premières semaines sur Mars. La dose reçue est plus faible que prévu. Ce qui prouve qu'avec une protection meilleure que la mienne, une mission humaine est possible. C'est ce qu'a bien expliqué l'astronauteastronaute français Jean-François Clervoy, dans un magazine Web [c'était dans Futura-Sciences, NDLR]. Par ailleurs, mes analyses de l'atmosphère (avec Sam qui a mesuré les isotopesisotopes d'hydrogènehydrogène, de carbonecarbone et d'oxygèneoxygène) ont montré qu'elle avait assez rapidement disparu autour de la planète Mars, comme on le pensait : elle serait partie dans l'espace, et n'aurait donc pas été absorbée dans le manteaumanteau.
Et qu’allez-vous faire maintenant ?
Curiosity : Eh bien, je roule vers le mont Sharp. Je mettrai plusieurs mois pour parvenir au pied de la montagne. Je suis au milieu de ma mission officielle de deux années terrestres. Mais je sens bien que je vais continuer longtemps, comme Spirit et Opportunity, partis au départ pour une mission de trois mois. Opportunity travaille toujours... Alors pour moi, à moins d'une grave panne, la retraite est loin.