L’Europe spatiale ne se réduit pas aux satellites civils et scientifiques. C’est également une politique de soutien à l’ensemble des secteurs économiques européens via un programme de transfert de technologies. La signature aujourd’hui, au Salon du Bourget, du 8e Esa Business Incubation Centre, le premier en France, en témoigne. Ces pépinières visent à promouvoir la création d'entreprise par le transfert de technologies spatiales, le développement de services et d’applications.

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    Le programme de transfert de technologies de l'Agence spatiale européenneAgence spatiale européenne (Esa) permet à chacun, mais essentiellement à des industriels et des entrepreneurs, de disposer des technologies « développées dans le cadre de la recherche spatiale en Europe », explique à Futura-Sciences Bruno Naulais, responsable à l'Esa de ces pépinières d'entreprises, les Esa Business Incubation Centre (Esa Bic). La politique de l'Esa dans ce domaine est loin du schéma traditionnel du pur transfert, qui consiste à mettre en relation deux entreprises, la donneuse, « comprendre celle qui détient la technologie spatiale développée avec le financement de l'Esa » et l'entreprise qui va la recevoir pour l'utiliser dans un « autre domaine que celui pour lequel elle a été mise au point ».

    Le transfert de technologie débute dans les années 1990 à l'Esa, suite à la « prise de conscience que nous avions un trésor technologique dans les mains ». En effet, des années de recherches ont permis à l'agence de développer un très grand nombre de technologies et de savoir-faire pour ses missions spatiales, « susceptibles d'intéresser d'autres secteurs et des industries non spatiales ». Concrètement, « on s'est focalisé sur les propriétés de ces technologies spécifiques », car conçues pour tenir compte des contraintes du lancement et de l'environnement spatial.

    Le transfert de technologies concerne également des éléments guère visibles comme des transistors, des composants informatiques ou des capteurs de mesure. © Carl Zeiss

    Le transfert de technologies concerne également des éléments guère visibles comme des transistors, des composants informatiques ou des capteurs de mesure. © Carl Zeiss

    En clair, cette « spatialisation » consiste à « donner de nouvelles propriétés » à des matériaux, des processus de fabrication, des composants, des équipements et des logicielslogiciels, qui sont alors applicables à d'autres secteurs. Typiquement, par rapport aux mêmes développements terrestres, ceux qui sont spatialisés sont plus légers, moins encombrants, résistants aux températures extrêmes (chaud et froid), et à de fortes contraintes mécaniques et acoustiques. Ils sont également durcis pour résister aux radiations, à la corrosion et aux fortes pressions. Le transfert de technologies ne se résume pas à un seul élément. Il « concerne plus d'une dizaine de catégories », comme celles des matériaux, de l'informatique (hardware et software) de l'électronique, de la robotique, des composants mécaniques, ou encore les capteurscapteurs liés à la télémesure.

    Élargir le champ d’application des technologies spatiales

    Pour faire profiter tous les secteurs d'activité de ces transferts, l'Esa n'attend pas que les industriels fassent le premier pas. Elle a mis en place « un réseau de courtiers en technologies » nommé Technology Transfer Network (TTN), et présent dans une partie des États membres de l'Esa. L'idée est d'aider les entreprises « à venir vers nous, elles qui naturellement ne se tourneraient pas vers le spatial » pour résoudre leurs problèmes techniques ou répondre à des besoins particuliers.

    L'Esa a également lancé « un réseau d'"incubateurs" [pépinières d'entreprises, NDLRNDLR], les Esa Bic ». Cette autre forme de transfert de technologies consiste à « favoriser la création d'entreprise dans d'autres secteurs de l'industrie, à qui ce transfert (...) apportera une valeur ajoutée à leur produit ou service innovant ». L'Esa soutient ces start-upstart-up qui se créent « à partir d'une technologie spatiale ou d'une application de système spatial », en leur offrant hébergement, assistance dans l'élaboration de leur business plan, accès à des financements (subventions et capital-risque) et à des réseaux internationaux pour favoriser leur croissance.

    Un autre axe du programme de l'Esa consiste à se « focaliser sur la propriété intellectuelle pour la commercialiser ». En effet, à partir du moment où il y aura des brevets ou des découvertes réalisées grâce à l'investissement budgétaire de l'Esa, l'idée est de s'adresser à l'industrie non spatiale pour « exploiter pleinement le potentiel de ces propriétés industrielles ». Un quatrième volet du programme a récemment été mis sur pieds, avec la création d'un fonds d'investissements doté de 50 millions d'euros, mais « dont le but est d'atteindre 100 millions ». Ce fonds est privé, il est géré par Triangle Venture en Allemagne car, « ne l'oublions pas, l'Esa est une agence internationale à but non lucratif ». Quand elle cède ses droits de propriété intellectuelle ou organise un transfert de technologie « uniquement vers les entreprise de ses États membres, [c'est] sans aucune visée commerciale ».

    La voiture solaire Nuna II qui, en octobre 2003, a remporté le Défi solaire mondial. Elle a été conçue à partir de technologies spatiales de l’Esa. © A. Van der Geest, Esa

    La voiture solaire Nuna II qui, en octobre 2003, a remporté le Défi solaire mondial. Elle a été conçue à partir de technologies spatiales de l’Esa. © A. Van der Geest, Esa

    Plus de 220 start-up créées au sein des Esa Bic

    Depuis le milieu des années 1990, quelque 220 transferts de technologies ont été opérés, et environ 200 jeunes pousses ont déjà vu le jour au sein des 7 centres Esa Bic, dont le premier a été lancé en 2004 aux Pays-Bas et le plus récent en 2012 en Belgique.

    Avant de détailler plusieurs exemples prometteurs de transferts technologiques, Bruno Naulais souhaite balayer certaines idées reçues à ce sujet : « Le Téflon et le Velcro ne sont pas des matériaux issus de technologies spatiales. » Le premier « a été inventé par Du Pont de Nemours aux États-Unis dans l'entre-deux-guerres ». Quant au second, on le doit à un « chasseur qui observait au microscopemicroscope les petits boules qui s'accrochaient aux poils de son chienchien », bien avant le début de la conquête spatiale !

    Cela dit, le Téflon et le Velcro ont été utilisés à plusieurs reprises dans l'espace. À chaque fois ils en sont redescendus avec de nouvelles capacités et la « possibilité d'être utilisés dans d'autres secteurs ». Les composants électroniques, tels que les transistors, sont « également de très bons exemples » : lorsqu'ils sont spatialisés, ils acquièrent de nouvelles propriétés qui vont intéresser d'autres secteurs d'activités ou seront appliquées dans des domaines bien précis.

    Des technologies satellite aux cartes météo et jeux vidéo

    Si la partie la plus visible de ce transfert concerne les équipements, les données des satellites, notamment de ceux dédiés à l'observation de la Terre sont « également disponibles pour inventer de nouveaux services ». Par exemple, leurs informations sont reprises pour créer d'autres produits, tels que les classiques cartes de prévisions météorologiquesprévisions météorologiques, pour « répondre à des besoins spécifiques ou des marchés de niche ». Ainsi, les résultats de mesure des ventsvents à la surface des océans, qui sont employés dans les modèles de prédiction en météorologiemétéorologie, servent aussi à des start-ups qui « créent des cartes des vents pour les marins et les marines marchandes ». Par ailleurs, depuis la démocratisation des smartphones, environ 80 % des applications utilisent la navigation par satellite pour fonctionner, que ce soit sous AndroidAndroid ou AppleApple (IOSIOS).

    Une application, dérivée du satellite Smos d'étude de l'humidité des sols et de la salinité des océans (lancé en novembre 2009), « a consisté à reprendre le concept de l'instrument principal du satellite ». Il a été installé sur des drones et des petits avions, de façon à survoler des berges de canaux et de rivières pour connaître précisément leur état et l'humidité des sols. Un paramètre utile pour déterminer leur résistancerésistance dans des situations à risque, telles que les inondationsinondations.

    Une start-up a inventé un jeu de Formule 1 qui permet de faire une course avec les vrais pilotes, en temps réel, depuis sa console de jeu, sa tablette ou son ordinateurordinateur. Les algorithmes du jeu intègrent la localisation des voituresvoitures de course sur les cartes des circuits, de telle sorte que l'on peut voir sur son écran les concurrents qui sont réellement en course. Dans ce cas, le transfert « consiste à équiper les voitures d'un système de navigation EgnosEgnos (Galileo plus tard) », et l'éditeur du jeu développe des « algorithmes qui permettent de restituer la réalité d'un Grand Prix de F1 dans lequel le joueur peut s'insérer parmi les autres voitures ».

    Le satellite Smos et son instrument Miras mesurant la salinité des océans et l'humidité des sols, est à l'origine d'un transfert de technologie pour des mesures terrestres à partir de drones. Il est ici photographié dans les locaux cannois de Thales Alenia Space. © Remy Decourt, Futura-Sciences

    Le satellite Smos et son instrument Miras mesurant la salinité des océans et l'humidité des sols, est à l'origine d'un transfert de technologie pour des mesures terrestres à partir de drones. Il est ici photographié dans les locaux cannois de Thales Alenia Space. © Remy Decourt, Futura-Sciences

    Rayonnement térahertz et sécurité, azote et matériaux sauveurs

    Autre illustration, celui du rayonnement térahertz utilisé dans le domaine de la sécurité. Il est issu du projet de recherche et développement StarTiger de l'Esa, dont l'objectif était la réalisation d'une imagerie de la main aux fréquencesfréquences térahertz, aussi pénétrantes que les rayons Xrayons X mais pas ionisantes. D'où l'idée de créer des détecteurs térahertz et de les installer dans des lieux publics à forte fréquentation, comme des aéroports ou des centres commerciaux, « de façon à imager les passants devant ces détecteurs ». Contrairement aux détecteurs X, ils repèrent les objets en plastiqueplastique.

    Sur un satellite de l'Esa, de « l'azoteazote permet de diminuer l'échauffement de certains équipements ». Sur Terre, ce problème d'échauffement existe dans des endroits bien précis, tels que les serveursserveurs de données qui traitent une massemasse considérable d'informations. On pense à GoogleGoogle, AmazonAmazon et aux services InternetInternet de stockage dans le cloud, le plus connu étant l'iCloud d'Apple. Dans ces installations les risques de surchauffe et de départ de feufeu sont à prendre en compte. L'idée est alors d'adapter la technologie utilisée sur le satellite à ces serveurs, pour que de l'azote étouffe tout feu naissant. « Google et Amazon pourraient être les deux premières entreprises à l'utiliser. »

    Enfin, le transfert de technologies sert aussi à « sauver des vies ». Une de ses applications est liée à l'utilisation d'alliages à mémoire de forme, qui ont la propriété de changer en fonction de la température. Dans le spatial, elle « est utilisée pour le déploiement de panneaux solaires ou d'antennes ». Par exemple, un morceau de métalmétal en spirale va naturellement, avec la température, retrouver une forme rectiligne si l'on attache quelque chose à son extrémité. Ces alliagesalliages ont été employés pour la première fois en médecine dans les greffes de stents, pour remplacer des morceaux d'artèresartères. Cela évite une intervention chirurgicale très lourde : au lieu d'ouvrir la cage thoraciquecage thoracique, on met le stentstent dans un cathétercathéter et le passage se fait par une artère. Cette chirurgiechirurgie non invasive a sauvé de nombreuses vies.