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Le 24 décembre 1979, Ariane 1 décolle pour la première fois et 6 mois plus tard, l'Europe se dote d'une structure commerciale pour l'exploiter en créant ArianespaceArianespace. En faisant cela, elle va libéraliser l'accès à l'espace et favoriser l'expansion d'un vaste marché des télécommunications spatiales qui, à son tour, nourri les évolutions du lanceur. Mais avant d'en arriver là, il a fallu apprendre à travailler ensemble, développer de nouveaux moteurs, inventer de nouvelles stratégies et faire évoluer la famille Ariane.
Pour raconter ces 30 ans d'histoire, Futura-Sciences a interrogé Gérard Bréard, directeur technique d'Astrium Space Transportation, « maître d'œuvremaître d'œuvre unique du lanceur Ariane 5Ariane 5 » depuis le lancement du 22e lanceur de production (V170, mars 2006). A ce titre, la firme européenne est responsable de la fourniture à Arianespace du lanceur complet, testé et intégré au Centre Spatial Guyanais. Astrium gère également « l'ensemble des contrats des industriels » des 12 pays partenaires du programme Ariane et « l'ensemble des éléments d'Ariane 5 », dont les étages fabriqués dans ses établissements des Mureaux (France), de Brème (Allemagne) et de Kourou. Les étages à poudre sont intégrés à Kourou par la société Europropulsion sous contrat Astrium (Guyane française), ainsi que la case à équipements, le programme de vol et les multiples sous-ensembles.
Ariane est née de l'échec du programme Europa qui « ne parvint pas à satelliser la moindre charge en quatre tentatives de 1968 à 1971 ». En cause, une organisation déplorable entre les agences et les industriels. Ce constat contraint les Européens à revoir entièrement leur copie et à « dessiner un nouveau lanceur qui sera développé comme un système intégré et non plus comme une collection d'éléments nationaux ». La première réussite d'Ariane a donc été de mettre en place ce nouveau concept en s'appuyant sur un « architectearchitecte industriel qui était le bras séculier du maître d'œuvre ». Cette organisation a permis de régler tous les problèmes d'interface « qu'on n'avait pas su mettre en place avec le programme Europa ».
© Cnes / Esa/CSG Service Optique, 1979
La première Ariane démontre « nos capacités à piloter un lanceur souple ». On « trouve les bonnes lois de pilotage » et on apprend à « gérer correctement les phases transitoires (la séparationséparation entre les étages) ». Avec un troisième étage cryotechnique allongé, Ariane 1 devient Ariane 2, que l'adjonction de deux accélérateurs à poudre transforme en Ariane 3. « Ces deux lanceurs n'ont pas réellement eu de vie opérationnelle » : ils représentent avant tout des étapes préparatoires à Ariane 4 qu'on « avait en tête dès leur mise au point ».
Avec Ariane 4, on a « pu apprécier toutes les marges que nous avions et les transformer en performance ». La grande réussite de ce lanceur aura été « la versatilité dans son utilisation » avec toute la souplesse permise par les différentes versions du lanceur, « six au total, pour répondre aux besoins du marché ». La modularité « entre les boosters solides et liquides » donnait beaucoup de souplesse dans la « maîtrise du pilotage et la qualité de la navigation ».
7 tonnes de poussée et toujours opérationnel, 30 ans après
Le HM7B de Snecma est un moteur cryotechnique, fonctionnant à « l'hydrogènehydrogène et à l'oxygèneoxygène liquide et allumable en vol ». Qualifié en 1979 pour le premier vol d'Ariane 1, il a depuis « constamment été amélioré » afin d'augmenter sa poussée, son impulsion spécifiqueimpulsion spécifique, sa duréedurée de fonctionnement et sa fiabilité. Il a « propulsé le troisième étage de toutes les versions d'Ariane 1 à 4 ». Ce moteur, particulièrement fiable et éprouvé, a été produit à près de 200 exemplaires. Lorsqu'il arrive, « il représente un énorme challenge technologique ». Il introduisait à la fois la « notion de la gestion des ergolsergols et la technologie intrinsèque du moteur ».
Le point remarquable est « sa reconduite sur Ariane 5 ». On l'a adapté moyennant un « complément de qualification relativement simple ». Il propulse l'étage supérieur cryotechnique de « la version la plus puissante du lanceur (ECA) » et délivre une poussée de 6,5 tonnes : « il a fonctionné pour la première fois lors du vol de qualification, le 12 février 2005 (V164) ».
Bien que l'on « projette de l'utiliser encore quelques années » avec Vinci, on « se prépare à passer à un autre concept ». A la différence de l'HM7B, Vinci, en cours de développement également chez Snecma, sera plus simple et aura « la capacité d'être réallumable plusieurs fois en vol ».
Le lancement double, « totalement nouveau pour l'époque » est une des grandes réussites d'Arianespace. Cette stratégie originale va imposer Ariane 4 sur le marché. Dès 1984, Arianespace propose le lancement double pour des satellites de 1,2 tonne sur Ariane 3. La barre des 2 tonnes est franchie en 1985, celle des 4 tonnes en 1989, 5 tonnes en 2000 et 6 tonnes en 2005 puis 10 tonnes avec l'actuelle Ariane 5 ECA. Cette capacité devrait est portée à « 12 tonnes avec les prochaines évolutions proposées pour Ariane 5 MeAriane 5 Me (Vinci) ».
Les raisons d’être d’Ariane 5
Avec une massemasse moyenne des satellites d'environ 4 tonnes, le lanceur Ariane 4 est retiré du marché en 2003. Il est devenu « moins compétitif », bien qu'il pourrait encore faire « jeu égal avec les 5 tonnes du ProtonProton ».
A l'époque, la question s'est posée de savoir s'il « fallait faire un lifting d'Ariane 4 pour le rendre plus compétitif » ou bien s'orienter vers « un nouveau lanceur ». Avec un domaine de vol « exclusivement ciblé sur des orbites de transfertorbites de transfert géostationnaire », des moteurs hyperboliques de sorte que l'on pouvait « difficilement faire plus simple au niveau de la technologie », on va vite se rendre compte que « les évolutions d'Ariane 4 sont relativement limitées ». A cela s'ajoute le coût de sa fabrication. Avec 9 moteurs (4 pour le premier étage, 1 pour le deuxième, 1 pour le troisième et jusqu'à 4 pour les propulseurspropulseurs d'appoint fixés au premier étage), on atteint les « 20.000 à 25.000 dollars le kilo en orbite »...
Ariane 5 voit le jour en 2002. Avec ce lanceur multitâche, on « change de dimension ». Son domaine de vol « sans commune mesure avec celui d'Ariane 4 » lui permet une plus grande variété de missions « étendues aux orbites basses, polaires, géostationnaires et même planétaires ». Quant aux choix de propulsion, ils reposent sur deux types complémentaires et « certainement porteurs d'avenir pour les lanceurs de nouvelle génération ». La propulsion solide permet de s'arracher de la Terre et donner l'impulsion initiale puis la propulsion cryogénique apporte une meilleure « personnalisation de chaque mission et la précision en orbite ».
Initialement, Ariane 5 devait permettre les vols habitésvols habités et « lancer l'avion spatialavion spatial HermèsHermès ». L'abandon de ce programme contraint l'Esa à « le transformer en lanceur commercial » avec au final « pas mal de potentiel de développement ». Vieille conséquence du vol habité, on « s'oblige à allumer le moteur cryogénique avant les moteurs des boosters ».
Concepts originaux
Parmi les concepts originaux qui n'ont pas abouti, ceux liés à la réutilisabilité des étages, voire des lanceurs, vont démontrer que les lanceurs consommables sont « la seule et unique solution viable ». L'idée d'utiliser un avion spatial pour déposer un satellite en orbite qui revient se poser et redécoller le lendemain est intéressante mais « reste une notion plus proche de la science-fiction que de la réalité technologique ». Des études poussées réalisées à la fin des années 1990 et au début 2000 ont démontré que ce type de lanceur réutilisable ne « pouvait pas être concurrentiel ». La remise en état de vol pose encore trop de problèmes. La navette, qui était précurseur en la matièrematière est là pour nous le rappeler.