Les expéditions de recherche scientifique Tara Oceans, entre 2009 et 2013, et Malaspina en 2010 ont mis en évidence le transport à grande échelle de débris de plastique flottants depuis l'océan Atlantique jusqu’à l'Arctique. Comme nous le relations, l’étude confirme qu’en seulement quelques décennies d’utilisation de matières plastiques, la pollution marine résultante est déjà devenue un grave problème jusque dans cette région que l’on pensait préservée.

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    Article paru le 21 avril 2017

    Bien que la faible densité de population du bassin arctique ne produise que peu de déchets sur place, une étude qui vient de paraître dans Science Advances montre que les mers du Groenland et de Barents (la partie nord de l'Atlantique Nord) accumulent de grandes quantités de débris plastiques, apportés par les courants océaniques. Dans cette région du monde, les répercussions écologiques potentielles de l'exposition à ces débris plastiques amplifiées par le caractère unique de cet écosystème, encore vierge et reculé.

    L'équipe dirigée par le professeur Andrès Cózar de l'université de Cadix en Espagne est composée de douze institutions de huit pays : la fondation Tara ExpéditionsTara Expéditions (France), l'université des sciences et technologies du roi Abdallah (Arabie saoudite), le CNRS (France), l'Imperial College de Londres (Royaume-Uni), le Lake Basin Action Network (Japon), l'université des îles Baléares, le Conseil supérieur de la recherche scientifique (CSIC, Espagne), l'université de la Sorbonne, l'université d'Aarhus (Danemark), l'université d'Utrecht (Pays-Bas), l'université de Harvard (États-Unis), la Fondation basque pour la science Ikerbasque (Espagne) et le Centre technologique expert en innovation marine et alimentaire AZTI (Espagne).

    Il s'agit du même groupe de recherche qui, précédemment, avait démontré que chacun des cinq gyres océaniques se comporte comme une immense zone de convergence pour les débris en plastiques flottants. Dans une étude plus récente, ils ont montré que les mers semi-fermées à forte densité de population, telles que la Méditerranée, constituent également des zones d'accumulation importante de débris plastiques. Jusqu'à présent, l'océan Arctique, éloigné des zones d'habitation, n'était pas candidat à l'accumulation de microplastiquesmicroplastiques.

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    L'expédition Tara Oceans découvre du plastique dans l'Antarctique

    Un mélange de plancton et de microplastiques prélevé par l’expédition Tara Oceans. © Anna Deniaud, fondation Tara Expéditions

    Un mélange de plancton et de microplastiques prélevé par l’expédition Tara Oceans. © Anna Deniaud, fondation Tara Expéditions

    Des déchets venus massivement des rivages peuplés de l’Atlantique nord

    Lors de l'expédition Tara Oceans de 2013, la goélette Tara a effectué des prélèvements autour du bassin Arctique, échantillonné du plancton mais également des microplastiques pendant cinq mois, ce qui a ainsi permis de réaliser une carte mondiale de la pollution plastique flottante. « Les concentrations en plastique dans les eaux arctiques étaient faibles, comme nous nous y attendions, mais nous avons découvert un secteur au nord des mers du Groenland et de Barents présentant des teneurs relativement élevées, commente Andrès Cózar. Il y a un transport continu de déchets flottants depuis l'Atlantique Nord, et les mers du Groenland et de Barents constituent une impasse pour ces plastiques, convoyés vers le pôle par les courants marins et contraints de rester en surface. »

    La massemasse de débris en plastiques flottants piégés dans les eaux de surface de cette zone est estimée à plusieurs centaines de tonnes. Il y aurait près de 300 milliards d'éléments, principalement des fragments de la taille d'un grain de riz. Mais les quantités sont peut-être plus importantes encore. En effet, l'eau de surface n'étant pas la destination finale du plastique flottant, l'étude émet l'hypothèse que des quantités importantes résident sur les fonds océaniques de l'Arctique.

    Même si une fraction des plastiques trouvés dans l'Arctique provient de sources locales, principalement du fait de l'augmentation de l'activité maritime dans cette zone, les charges élevées retrouvées résultent en majeure partie du transport à grande échelle de déchets, provenant des côtes densément peuplées de l'Atlantique Nord, générées par les courants océaniques. Ce transfert de plastique vers les pôles est lié à la circulation méridienne de retournement dans l'Atlantique, un « tapis roulanttapis roulant » connu jusqu'à présent pour redistribuer la chaleurchaleur des latitudeslatitudes les plus chaudes vers les pôles.

    Filet Manta utilisé pour récupérer les microplastiques © Anna Deniaud, Fondation Tara Expéditions

    Filet Manta utilisé pour récupérer les microplastiques © Anna Deniaud, Fondation Tara Expéditions

    Vers un septième continent de plastique, une « autre poubelle de la planète » ?

    Ce sont nos déchets plastiques qui finissent là-bas.

    Pour déterminer le devenir du plastique dans l'Atlantique Nord, l'équipe a utilisé des données provenant de plus de 17.000 bouées dérivantes flottant à la surface de l'océan et suivies par satellite. « Ce qui est vraiment inquiétant, c'est que nous pouvons suivre ce plastique jusqu'aux abords du Groenland et dans la mer de Barents directement depuis les côtes du nord-ouest de l'Europe, du Royaume-Uni et de la côte est des États-Unis. Ce sont nos déchets plastiques qui finissent là-bas », déclare Erik van Sebille de l'institut Grantham à l'Imperial College de Londres.

    L'humanité utilise du plastique depuis seulement quelques décennies, mais la pollution générée dans les milieux marins est déjà un problème à l'échelle mondiale - preuve indubitable que les Hommes ont la capacité d'altérer notre planète. « La mer n'a pas de frontière, souligne Maria-Luiza Pedrotti du CNRS. Une pollution plastique générée dans un endroit peut souiller d'autres régions isolées et exercer ainsi des effets dévastateurs sur un écosystème vierge tel que l'Arctique. Cette zone forme un cul-de-sac, une impasse où les courants laissent les débris à la surface. Nous assistons peut-être à la formation d'une autre poubelle de la planète, sans comprendre totalement les risques encourus pour la faunefaune et la flore locales. »

    « Les résultats de cette étude soulignent l'importance de minimiser et de mieux gérer les déchets plastiques dès leur source par les industriels, dans les foyers, par les collectivités et les États car une fois que ceux-ci atteignent l'océan, leur destination et leurs impacts deviennent incontrôlables », dit Romain Troublé, directeur de la fondation Tara Expéditions.


    Des signes de formation d'un continent de plastique en Arctique

    Article de Jean-Luc GoudetJean-Luc Goudet publié le 24/10/2015

    31 déchets de plastique repérés par les océanographes du Polarstern dans la mer de Barents et le détroit de Fram. Le chiffre est faible mais, selon les chercheurs, il démontre la formation d'un sixième « continent de plastique » en Arctique, confirmé par la quantité de déchets présents au fond et par les matières plastiquesmatières plastiques retrouvées dans les estomacsestomacs d'oiseaux de mer et de requins.

    En juillet 2012, Melanie Bergmann, de l'institut Wegener (en Allemagne), et ses collègues du Pole (Laboratory of Polar Ecology, Belgique) ont remonté la côte norvégienne puis fait route vers le nord, avec la mer de Barents à leur droite et la mer de Norvège à leur gauche, jusqu'à longer l'ouest du SpitzbergSpitzberg (archipelarchipel du Svalbard), dans le détroit de Fram qui mène à l'océan Arctique. À bord du navire océanographique Polarstern (de l'institut Wegener), affrété pour une étude sur les mammifèresmammifères marins et les oiseaux de mer, ces chercheurs ont compté les objets de plastique flottant en surface, depuis le pont du bateau et depuis un hélicoptèrehélicoptère.

    Résultat : 23 déchets vus depuis les airsairs et 8 depuis le navire le long du trajet de 5.600 km. L'observation pourrait sembler anecdotique mais la faible efficacité de la méthode visuelle conduit à conclure que la quantité réelle est très supérieure. L'équipe vient de publier ces résultats dans la revue Polar Biology. Lors d'une précédente étude, Mélanie Bergmann avait rapporté des observations réalisées sur le fond dans l'océan Arctique. Ces résultats montraient une augmentation du nombre de déchets (dont 57 % de matière plastique) entre 2002 et 2011, passant de 3.635 à 7.710 par kilomètre carré, atteignant ainsi, expliquaient les auteurs, la même densité que celle mesurée dans un canyon sous-marincanyon sous-marin au large du Portugal.


    Une étude de la Nasa montrant les trajectoires de bouées (en blanc, reconstituées à partir de 35 ans d'observations) et celles, simulées sur ordinateur, de petits déchets se déplaçant à 0,25 m/s (en bleu) sur une période de 2.188 jours, soit 6 ans. Les deux sources fournissent le même résultat : une accumulation dans les régions centrales du Pacifique nord et sud, de l'Atlantique nord et sud et de l'océan Indien. © Nasa, NOAA

    Les morceaux de plastique sont ingérés par les oiseaux de mer

    La pollution par les déchets plastiques, qui a longtemps épargné les hautes latitudes, commencerait donc à y être présente. Les conditions de circulation des courants océaniques font dire aux auteurs qu'il se forme peut-être actuellement dans ces régions une zone de concentration des déchets, comme il en existe déjà cinq dans l'océan mondial : deux dans l'Atlantique (au nord et au sud), deux dans le Pacifique et une dans l'océan Indien. Les auteurs soulignent que, contrairement à une idée répandue, le plastique ne reste pas toujours en surface : la moitié coule jusqu'au fond.

    Enfin, l'article scientifique rappelle que de précédentes études ont montré que 88 % des fulmars boréaux (Fulmarus glacialisFulmarus glacialis), des oiseaux passant leur vie en mer, ont du plastique dans leur estomac. Une étude australienne, publiée cette année, aboutissait à la même proportion : neuf oiseaux de mer sur dix ingéreraient des morceaux de plastique. C'est le cas aussi pour 8 % des requins du Groenland (Somniosus microcephalus), qui vivent jusqu'en Arctique, même en hiverhiver. Des comptages plus vastes seraient sans doute une bonne idée. Dans le communiqué publié par l'institut Wegener, Melanie Bergmann estime qu'il serait « utile de faire réaliser ce genre d'observations par des navires d'opportunité, comme les bateaux commerciaux, les pêcheurs, les plaisanciers ou les garde-côtes ».