On les croyait physiquement impossibles jusqu’au début des années 1990. Les vagues scélérates étaient considérées comme des racontars de marins. Aujourd’hui, les physiciens simulent leur formation… avec de la lumière !
Un exemple de vague scélérate. Crédit : NOAA Photo Library

Un exemple de vague scélérate. Crédit : NOAA Photo Library

Pour les océanographes et les physiciens, de telles vagues de 30 mètres de haut, selon les témoignages, ne pouvaient qu'appartenir au folklore et semblaient aussi peu crédibles que les sirènes ou le Monstre du Loch-Ness. Les équations de base de la mécanique des fluides, d'Euler et de Navier-Stokes,  sont connues depuis longtemps et lorsqu'on les applique à la génération de vagues, elles affirment que celles-ci ne peuvent statistiquement atteindre une hauteur de 30 mètres qu'une fois tous les 10.000 ans et encore... CQFD.

En 1995, la Nature a démontré que, n'étant pas au courant de la quasi impossibilité du phénomène, elle l'a fait. Les capteurs de houle de la plate-forme pétrolière Draupner, située en Mer du Nord à 160 km des côtes, ont bel et bien prouvé que les marins ne mentaient pas. Les physiciens ont dû revoir leur copie.

On s'est alors souvenu que les calculs étaient réalisés en linéarisant les équations de la mécanique des fluides. Toute une dynamique appartenant au régime non linéaire des équations pouvait donc intervenir et ne pouvait pas être négligé comme on le croyait.

Les articles aujourd'hui publiés dans Nature exploitent le fait que les équations décrivant des ondes sur l'océan ont souvent des formes similaires à bien d'autres, celles concernant le plasma de la couronne solaire ou l'intérieur de la Terre par exemple. En utilisant une impulsion lumineuse se propageant à l'intérieur d'une fibre optique, certains effets non linéaires peuvent se produire et ressemblent à ceux de la mécanique des fluides. Allait-on trouver l'équivalent des vagues scélérates avec des ondes lumineuses ?

Simuler un océan dans une fibre optique

Les chercheurs ont utilisé pour leur expérience un milieu non linéaire, constitué par une fibre optique, dans laquelle ils ont envoyé une impulsion lumineuse étroite, représentée en couleur orange sur le schéma ci-dessous. Normalement, à la sortie de la fibre optique, les effets non inéaires ont élargi la bande spectrale du signal et on obtient ce qu'on appelle la génération d'un supercontinuum, représenté en gris.

Cliquez pour agrandir. Crédit : Dong-Il Yeom &amp;  Benjamin J. Eggleton <em>Nature</em>

Cliquez pour agrandir. Crédit : Dong-Il Yeom &  Benjamin J. Eggleton Nature

Dans le cas présent, une seconde composante sous forme bruitée, et donc aléatoire, a été superposée au signal étroit avant de pénétrer dans la fibre optique. Le spectre de sortie obtenu devient alors de la forme de celui représenté en rouge sur le schéma. Cette composante supplémentaire indique la présence d'une onde analogue à un soliton, une sorte de paquet d'ondes très stable et spécifique des milieux non linéaires.

En multipliant les essais, les chercheurs ont observé la formation de phénomènes ondulatoires ressemblant à des solitons, d'amplitudes différentes et dont la courbe de répartition statistique ressemble beaucoup à celle des amplitudes des vagues scélérates observées dans le monde depuis le début des années 1990.

Ce résultat pourrait avoir des implications plus larges. En effet, les équations décrivant des comportements non linéaires s'appliquent aux vagues océaniques et la lumière mais aussi à bien d'autres situations. Il se trouve que certains modèles non linéaires décrivant l'évolution économique des marchés conduisent parfois eux aussi à ce genre d'équation. De brusques crises, que personne n'avait vu venir et que l'on appelle des cygnes noirs, sont peut-être tout simplement des vagues scélérates mais dans l'univers économique...