Par 2.800 m de fond, autour d'une douzaine de sources hydrothermales, des chercheurs ont observé une faune abondante de crustacés, de vers et de mollusques. S'y trouvaient des espèces encore inconnues ainsi que d'autres, connues mais vivant à des milliers de kilomètres, ce qui pose le problème de la dissémination de ces animaux qui, adultes, ne peuvent s'éloigner de leur îlot de chaleur. Il serait bienvenu de mieux comprendre ces écosystèmes, déjà menacés par les richesses minières de leur sous-sol.

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    Suffit-il d'aller observer des sources hydrothermales sous-marines encore inexplorées pour découvrir de nouvelles espèces ? La réponse est sans doute oui. Une équipe de l'université de Southampton a lancé un ROV (Remotely Operated Vehicle)) par 2.800 m de fond dans l'océan Indien, à 2.000 km au sud-est de Madagascar, sur le site déjà repéré mais jamais exploré de Longqi. Récolte : six espèces inconnues d'animaux et une meilleure compréhension de ces mondes isolés à très grandes profondeurs.

    Dans les abysses, ces écosystèmes très particuliers, où la lumièrelumière du soleilsoleil ne pénètre pas et où l'eau environnante n'est qu'à 2 °C, de luxuriantes communautés d'organismes vivent grâce à l'énergieénergie chimique tirée des moléculesmolécules présentes dans les fluides exhalés par les fissures, qui deviennent des « fumeurs » et peuvent s'élever en cheminéescheminées.

    La galathée velue du genre <em>Kiwa</em> découverte à 2.800 m de profondeur au sud-ouest de l'océan Indien. Ses filaments ressemblant à des poils lui servent à filtrer le petit peuple bactérien dont elle se nourrit. L'espèce est nouvelle et sa taille n'est pas indiquée dans cette publication. © David Shale

    La galathée velue du genre Kiwa découverte à 2.800 m de profondeur au sud-ouest de l'océan Indien. Ses filaments ressemblant à des poils lui servent à filtrer le petit peuple bactérien dont elle se nourrit. L'espèce est nouvelle et sa taille n'est pas indiquée dans cette publication. © David Shale

    Six espèces découvertes dans l'océan Indien

    Dans ces zones géologiquement actives, l'eau, en effet, s'infiltre profondément dans le sol puis ressort, plus ou moins chaude, chargée en gazgaz et en métauxmétaux divers. Ce fluide hydrothermal se mélange alors plus ou moins à de l'eau plus froide. Des micro-organismesmicro-organismes thermophiles, archéesarchées ou bactéries, assurent une production primaire grâce à la chimiosynthèsechimiosynthèse. Grâce à eux, des animaux brouteurs ou filtreurs, voire des prédateurs, prospèrent, très localement, entassés autour des fumeurs.

    L'équipe de Jon Copley a exploré en novembre 2011 une surface « grande comme un terrain de football », explique le communiqué de l’université de Southampton, et comportant une douzaine de ces cheminées. L'espèce la plus remarquable est une sorte de crabe, d'une espèce nouvelle, attribuée par les auteurs au genre Kiwa. C'est donc en fait une galathée, c'est-à-dire un anomoure pour un zoologistezoologiste, ou « faux-crabe », cousin des bernard-l'hermite et des crabes de cocotiers, caractérisé par de très longues pinces.

    La cheminée baptisée Jabberwocky mesure 6 m de hauteur. C'est un fumeur noir dont les eaux sont très chargées en minéraux et dont les fluides sont très chauds. Dix espèces ont été observées aux alentours. © Jon Copley <em>et al.</em>

    La cheminée baptisée Jabberwocky mesure 6 m de hauteur. C'est un fumeur noir dont les eaux sont très chargées en minéraux et dont les fluides sont très chauds. Dix espèces ont été observées aux alentours. © Jon Copley et al.

    La faune des sources hydrothermales est très mal connue

    Cette Kiwa-là est apparentée par l'équipe de Jon Copley au Kiwa hirsuta, le crabe-yéti ou galathée-yéti, à cause des sortes de longs poils recouvrant une partie de la carapace, découvert en Antarctique. Un autre crabe-yéti avait été observé à grande profondeur dans le Pacifique sud. Le ROV a également débusqué deux mollusques gastéropodes évoquant l'un la patelle et l'autre l'escargot, ainsi que deux annélides (des vers, donc), appartenant à des espèces jusque-là inconnues.

    Mais les chercheurs, qui publient leurs résultats dans la revue Scientific Reports, ont également observé des animaux déjà vus ailleurs, autour de sources hydrothermalessources hydrothermales, pour certaines très éloignées. Et la découverte est tout aussi importante que celle d'animaux inconnus. Ainsi un ver polychète de Longqi vit également au-delà des îles Sandwich du Sud, entre l'AntarctiqueAntarctique et l'Amérique du sud, à 6.000 km de là, et un ver néréide est connu dans le Pacifique est, à 10.000 km.

    D'après les auteurs, ces observations montrent que les espèces vivant près des sources hydrothermales - et qui ne peuvent s'en éloigner à l'âge adulte à cause de la froideur de l'eau du voisinage - sont en fait réparties dans de vastes régions. Ce qui prouve au passage que cette faune abyssale particulière est très mal connue, un élément qui aurait intérêt à être pris en compte au moment où s'envisage l'exploitation minière de ces zones géologiquement actives et riches en métaux. À Longqi, le plancherplancher océanique est riche en cuivrecuivre et en or et son exploitation est déjà autorisée.

    Les points clés à retenir

    • Une faunefaune d'invertébrésinvertébrés a été observée sur des sources hydrothermales du sud-ouest de l'océan Indien, à 2.800 m de profondeur, près de fumeurs noirsfumeurs noirs et de fumeurs blancs.
    • Cinq espèces d'arthropodesarthropodes, de mollusques et d'annélides sont nouvellement décrites.
    • D'autres espèces observées sont connues sur d'autres sites hydrothermaux, très éloignés, jusqu'à 10.000 km, ce qui implique qu'elles peuvent avoir une très vaste zone de répartition.

    De nouvelles espèces découvertes dans les sources hydrothermales de l’océan Austral

    Article de Quentin MauguitQuentin Mauguit publié le 5/1/2012

    Certains affirment que l'on connaît mieux la surface de la LuneLune que les fonds marins. Des campagnes d'observation de sources hydrothermales dans les océans Indien et Austral leur donnent raison. De nombreuses espèces animales inconnues ont été découvertes. Plus étonnant, les fonds de l'océan Austral possèdent une faune hydrothermale unique au monde.

    Le fond des océans est parcouru par un réseau de dorsales (ou riftsrifts) où les plaques tectoniques s'écartent les unes par rapport aux autres. Du magma remplit rapidement les vides créés. Son refroidissement provoque l'apparition de fissures et de crevasses dans lesquelles l'eau peut s'infiltrer et descendre jusqu'à plusieurs centaines de mètres de profondeur. Une fois réchauffée (parfois jusqu'à plus 350 °C), l'eau remonte vers le plancher océanique où elle est expulsée. On parle alors de source hydrothermale. Malgré l'environnement rude (pas de lumière, eau riche en sulfuressulfures divers), les sources hydrothermales constituent de véritables oasis pour de nombreuses espèces animales abyssales.

    Une équipe composée de membres des universités d'Oxford et de Southampton, du National Oceanography Centre et du British Antarctic Survey a décidé d'aller explorer des sources hydrothermales situées sur la dorsale de Scotia dans l'océan Austral. Peu de recherches ont été menées sur ce site. Les observations ont été réalisées à l'aide d'un engin sous-marinsous-marin téléguidé (Rov). Le rapport d'expédition est publié dans Plos Biology.

    De nombreux organismes animaux inconnus ont été répertoriés. Des crabes Yéti jamais observés vivent au sein de grandes colonies autour des cheminées. Il s'agirait de l'espèce dominante des écosystèmes hydrothermaux de l'Antarctique. C'est la première fois qu'une espèce appartenant à ce groupe est trouvée en dehors du Pacifique. De nouvelles étoiles de mer prédatrices ont été remarquées sur des champs de cirripèdes (des crustacéscrustacés fixés). Le Rov a également filmé une pieuvre blanche à plus de 2.400 mètres de profondeur.

    Cette pieuvre a été épiée par un engin sous-marin télécommandé à 2.400 mètres de profondeur sur la dorsale de Scotia (océan Austral). Il s'agit d'un des nombreux clichés pris durant une expédition menée à bord du <em>RRS James Cook</em>. © <em>University of Oxford</em>

    Cette pieuvre a été épiée par un engin sous-marin télécommandé à 2.400 mètres de profondeur sur la dorsale de Scotia (océan Austral). Il s'agit d'un des nombreux clichés pris durant une expédition menée à bord du RRS James Cook. © University of Oxford

    Un élément a tout particulièrement surpris les chercheurs : l'absence de toute espèce de ver, de moule, de crabe ou de crevette, habituellement rencontrées sur les sources hydrothermales du Pacifique, de l'Atlantique et de l'océan Indien. L'océan Austral agirait comme une barrière pour les organismes hydrothermaux « classiques ». Une conclusion s'impose : les écosystèmes hydrothermaux sont plus diversifiés et plus complexes qu'il n'y paraît.

    Le crabe Yéti devient la star des fonds océaniques

    Le navire d'exploration, le RRS James Cook, s'est également arrêté dans le sud-ouest de l'océan Indien afin d'examiner les sources hydrothermales du dragon (au sud-ouest de la dorsale indienne). L'activité volcanique sous-marine est moins intense dans cette région du monde. Les sources sont donc plus espacées. L'objectif des observations est d'étudier l'impact de la distance existant entre les différents sites sur les communautés d'organismes. Les résultats obtenus vont être analysés mais il apparaît déjà qu'une nouvelle espèce de crabe Yéti aux bras courts a été découverte. Il est décidément partout ce crabe ! De plus, des concombres de mer (ou holothuriesholothuries) ont été observés pour la première fois en dehors des sources hydrothermales du Pacifique est.

    Tous ces résultats montrent à quel point nos fonds océaniques sont peu connus alors qu'ils présentent une biodiversité importante. Ils méritent donc toute notre attention. Malgré cela, la Chine vient de recevoir les autorisations requises pour extraire des mineraisminerais au niveau des sources hydrothermales. Ces zones abritent en effet de grandes quantités de cuivre, de zinczinc, d'or et d'uraniumuranium.