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En plus de leur rôle d'épuration, les zones humides sont également des milieux remarquables pour la biodiversité qu'elles hébergent. © Christopher Thomas, Geograph CC by-sa 2.0
Peu avant le Salon de l'agriculture, l'Institut national de la recherche agronomique (Inra) a publié des fiches rappelant des découvertes significatives faites au sein de ses laboratoires. L'une d'entre elles, traitant du rôle joué par les zones humides sur les flux de nitrates, nous a particulièrement séduits.
Les zones humides sont des milieux naturels présentant une grande valeur écologique, mais à quoi correspondent-elles précisément ? Celles qui nous intéressent ici ne sont pas des lagunes ou des estuaires, mais bien des espaces connectés à des cours d'eau ou à leurs sources. Elles peuvent se composer de prairies humides, de zones boisées ou de tourbières. Elles s'observent principalement au sein des massifs anciens (Bretagne et Massif central), insérées au cœur des paysages agricoles entre les terres cultivées et les cours d'eau.
Ces sols agricoles sont régulièrement enrichis en nitrates (NONO3-) soit par l'ajout d'engrais minérauxminéraux, soit par l'apport d'engrais organiques comme l'épandage de lisier. Les surplus non absorbés par les végétaux pénètrent les sols et finissent leur course dans les cours d'eau, dégradant alors leur qualité tout en modifiant leurs écosystèmes. Durant leur cycle, les nitrates peuvent donc traverser des zones humides, qui joueraient alors le rôle d'une station d’épuration en absorbant une certaine quantité des composés azotés excédentaires. Mais quelle est l'efficacité du système ?
Philippe Mérot, directeur de recherche à l'Inra de RennesRennes, nous répond. En collaboration avec OlivierOlivier Montreuil et Pierre Marmonier, il a étudié les flux de nitrates dans le bassin versantbassin versant breton du Scorff (une région de 400 km² située dans le Morbihan). Selon eux, les zones humides pourraient absorber environ 50 % des nitrates en circulation dans les sols.
Le Scorff est un fleuve de 78 km de long. Il se jette dans l'océan Atlantique. Son débit moyen est de 5,02 m3 par seconde, variant selon les saisons entre 1,36 m3 par seconde en été et 10,1 en hiver. © Rolex59249, Wikimedia commons, CC by-sa 3.0
Les flux de nitrates passés à la loupe
« Au sein du bassin du Scorff, nous avons identifié seize sous-bassins de tailles variables et hiérarchisés entre eux. Ils possèdent des ordres différents ; certains sont de niveau 1 tandis que d'autres ont une valeur de 6. » Dans un système hydrographique, l'ordre des cours d'eau correspond à la manière dont ils s'agencent. Les affluents partant de la source sont de degré 1. La confluence de deux cours d'eau de même niveau confère un ordre supérieur au nouvel affluent. Par exemple, la réunion de deux rivières de classe 2 donne naissance à un cours d'eau de rang 3. Le Scorff est d'ordre 6.
« Pour chacun des sous-bassins, nous disposions de bilans agronomiques fournis par les Chambres d'agriculture. Ils contiennent des informations sur tout ce que l'agriculteur épand sur ses champs et sur ce qu'il exporte en équivalent nitrate. La différence entre les deux nous permet de connaître les excédents. S'ils existent, nous savons qu'ils vont venir nourrir les rivières. » Pendant un an, ces scientifiques ont mesuré les débitsdébits des cours d'eau et en ont prélevé de nombreux échantillons au sein de chaque sous-bassin (tous les 10 à 15 jours). Grâce à cela, ils ont pu calculer les quantités de nitrates circulant au sein de leur zone géographique d'étude. Les travaux menés à Scorff ont eu l'originalité d'évaluer les flux d’azote (c'est-à-dire les quantités) et pas simplement les concentrations dans la rivière, ce qui permet de les comparer aux excédents agricoles.
« Nous avons mis en relation les flux d'azoteazote à la sortie des zones humides avec plusieurs variables explicatives grâce à des analyses multifactorielles ». Les sous-bassins versants sont en effet tous différents. Le niveau d'excédents ou la surface relatives de la zone humide, deux facteurs importants, varient par exemple d'un site à l'autre. « Les zones humides peuvent épurer les eaux en prélevant 30 à 50 % des nitrates qu'elles contiennent (NDLRNDLR : en moyenne 21 kgkg par hectare et par an). » En plus de ces deux paramètres, le type de sol et la distance séparant les terres agricoles des cours d'eau jouent eux aussi un rôle significatif. En revanche, la période d'apport des nitrates n'a pas de lien direct avec les résultats notés.
« Nous avons également obtenu un deuxième résultat qui est plus subtil. L'importance de l'épuration augmente de l'amont à l'aval car les cours d'eau ont aussi leur propre vie biologique. Leur rôle est plus important quand le débit est faible, donc principalement en été. » L'eau circulant moins vite, les végétaux et micro-organismesmicro-organismes aquatiques pourraient en effet avoir le temps d'absorber de plus grandes quantités de nitrates.
Position du bassin du Scorff par rapport à la France. Les différents sous-bassins sont entourés d'une ligne grise. L'ordre des cours d'eau (selon Strahler) est représenté grâce aux couleurs. Les points noirs correspondent aux lieux de prélèvements. Ils sont situés à la frontière entre deux sous-bassins différents. © Adapté de Montreuil et al. 2012
Un moyen de lutte contre les algues vertes et d’aide aux politiques ?
Les données récoltées ne serviront pas qu'à améliorer nos connaissances sur la problématique des nitrates. Elles ont été intégrées dans des modèles de gestion des ressources en eau et d'aménagement du territoire.
« Nous avons par exemple appliqué ces modèles sur les bassins versants impliqués dans l'apparition des marées vertes de la baie de la Lieue de Grèves. » Ces outils permettent de tester plusieurs scénarios agricoles. Pour chaque parcelle appartenant à un bassin versant, les modèles peuvent par exemple simuler les types de cultures (bléblé, maïsmaïs, etc.), faire varier les pratiques (retournement d'une prairie, jachère, etc.) et définir les conséquences sur les flux de nitrates, en tenant compte du pouvoir épurateur des zones humides. « Les modalités compatibles avec les scénarios favorables sont ensuite proposées aux agriculteurs ou aux gestionnaires de territoires. Il y a un vrai lien entre la recherche et le développement. »
Les modèles peuvent aussi être utilisés pour renseigner les autorités publiques. Ils permettent d'estimer les conséquences que pourraient avoir différents projets politiques. Ils fournissent également des informations sur les temps de réponse, qui sont généralement très longs. « Si on arrêtait toute agriculture sur les bassins en question, on pourrait arriver à un seuil admissible en quatre à cinq ans. Mais c'est utopique ! Nous devons étudier des scénarios socialement acceptables. Les mesures sont moins radicales et les seuils atteints au bout d'une même période seront plus élevés. »
Les travaux caractérisant les flux de nitrates dans le bassin du Scorff ont été publiés en 2010 dans la revue Freshwater Biology, présentant l'efficacité des zones humides à l'époque des mesures. Parallèlement, cette équipe de l'Inra a travaillé avec les acteurs de terrain pour créer des outils opérationnels prenant en compte ces connaissances dans la gestion et l'aménagement des milieux. Les scientifiques essaient ainsi de déterminer la manière de gérer, transformer ou réhabiliter les zones humides pour améliorer l'efficacité de leurs actions épuratrices.
Les zones humides apparaissent ainsi comme des éléments indispensables pour limiter l'impact d'une pollution par les nitrates. Elles doivent donc occuper une place de choix au sein de nos paysages agricoles.