Combien d’espèces disparaissent actuellement ? La réponse n’est pas facile à donner, nous explique Anne Teyssèdre, écologue spécialiste de cette question et coordinatrice de Regards et débats sur la biodiversité, un forum de discussions ouvert à tous, et dont nous vous recommandons la visite.
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Depuis quelques jours et jusqu'à la fin de la semaine prochaine, les gouvernements de la planète sont réunis à Nagoya, au Japon, pour une conférence mondiale sur la biodiversité. Simultanément, en France, ce sujet est le thème de la 19e édition de la Fête de la science. Il est devenu une lourde question d'actualité, avec le réchauffement climatique (les deux causes étant liées), pour une raison claire et indéniable : de nombreuses espèces animales et végétales sont menacées ou ont disparu depuis peu.
Mais, précisément, combien sont-elles à disparaître à notre époque ? En d'autres termes, quel est le taux d'extinction actuel ? La valeur est bien difficile à déterminer et il faut savoir de quoi on parle. En 2004, Anne Teyssèdre, écologue, s'était risquée à l'exercice et avait abouti à des conclusions servant encore aujourd'hui de référence. L'idée est de comparer le nombre d'espèces disparues (plantes et animaux) lors d'une période récente au nombre auquel on s'attend dans un environnement à peu près stable.
Sur de grandes échelles de temps, les espèces apparaissent et disparaissent, les données paléontologiques indiquant pour chacune une duréedurée d'existence comprise entre un et dix millions d'années. La moyenne serait donc de cinq millions d'années. Sur une période de cent ans, on s'attend ainsi à voir disparaître 1/50.000e des espèces (0,002 %). Si l'on considère qu'il existe entre 10 et 20 millions d'espèces, on devrait donc assister à l'extinction de 200 à 400 espèces par siècle. Reste à comparer avec les observations sur cent ans. Ce qui a été fait pour le XXe siècle.
Le phoque moine (Monachus monachus) a déserté les côtes françaises, même en Corse. Il s'est réfugié dans les îles des Sporades, en Grèce. © Jean-Marie Cornaire / Licence Commons
Un rythme en accélération
« Les taux d'extinction varient énormément d'un groupe taxonomique à l'autre, explique Anne Teyssèdre. Il faut donc prendre soin de préciser l'ensemble d'organismes considéré. » L'estimation donne des valeurs très élevées. Pour les plantes, le taux d'extinction est 50 fois supérieur au taux moyen et ce rapport est de 260 pour l'ensemble des Vertébrés. Pour les seuls Mammifères, il est de 560...
« Ces rapports ne sont estimés que pour le XXe siècle, relativise Anne Teyssèdre. Il ne faut pas les extrapoler car on s'attend à ce que le rythme des extinctions s'accélère. Si on prenait la dernière décennie du XXe siècle, on trouverait des chiffres supérieurs à ceux de la première décennie. » Conclusion : les taux annoncés ici ou là dans les médias ne signifient rien si on ne précise pas à la fois le groupe taxonomique et la période concernés.
Par ailleurs, les extinctions prennent du temps et... sont définitives ! Pour mieux comprendre les grandes tendances actuelles de la dynamique des espèces et la transformation des communautés vivantes sous la pressionpression de l'environnement, dont les activités humaines, les écologues réalisent depuis vingt ans des suivis temporels de populations et d'espèces communes. Ces études mettent en évidence les grandes tendances au déclin ou à l'expansion des espèces, selon leurs caractéristiques écologiques ou géographiques et permettent d'en analyser les causes afin de proposer des mesures de préservation.
La notion d'espèce menacée prend ainsi tout son sens. La Liste rouge de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) est donc un bon instrument pour jauger l'érosion de la biodiversitébiodiversité. Pour les Vertébrés, les Poissons, les Oiseaux, les Mammifères ou les Insectes, les nombres d'espèces menacées sont considérables et s'indiquent en pourcentages (pour les ours, il atteint 6 sur 8...).
En France, l'anguille (ici les alevins, ou civelles) n'est pas en bonne forme, selon l'UICN. © Arnaud Richard / Onema
La biodiversité, un sujet à mieux connaître…
« Le taux d'extinction, c'est le sommet de l'iceberg, conclut Anne Teyssèdre. D'autres facteurs sont à prendre en compte. Toutes les espèces ne sont pas logées à la même enseigne. On observe aujourd'hui un déclin plus rapide des espèces dites spécialistes, qui occupent une niche écologique étroite, et, souvent, une extension des populations des espèces généralistes. C'est un problème aujourd'hui identifié sous le nom d'homogénéisation biotique. » Des milieux différents en viennent ainsi à avoir en commun un grand nombre d'espèces.
Enjeu déterminant, le terme biodiversité a désormais une bonne place dans le débat public. « On en parle beaucoup mais on ne se rend pas compte de ce que c'est réellement, à quel point nous sommes imbriqués dedans » nous expliquait Roger Barbault, directeur du département ÉcologieÉcologie et gestion de la biodiversité du MNHNMNHN, membre du conseil supérieur du Patrimoine naturel et de la biodiversité et président du comité français du programme Man and Biosphere (MabMab) de l'Unesco.
Derrière ce terme, les notions sont complexes et s'étendent à plusieurs domaines de la science mais aussi de la société. Pour que chacun puisse comprendre, et même débattre, la Société française d'écologie (SFE) a mis en place, en septembre 2010, un site de discussions, ouvert à tous, et baptisé Regards et débats sur la biodiversité. Des scientifiques y écrivent des textes courts (des « regards »), ouvrant un forum permettant de les interpeller et même de faire part de ses idées. Après une quarantaine de ces regards, une compilation sera publiée dans un recueil. Vous pouvez donc prendre la parole !