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Le détroit de Béring, séparation ou pont entre l’Amérique du Nord et la Sibérie au cours des ères géologiques. © SeaWiFS Project, Nasa / Goddard Space Flight Center et Orbimage
Le détroit de Béring est un exemple marquant de l'influence que peut avoir la géographie d'une petite zone sur l'ensemble du climat. « Le changement climatiquechangement climatique est sensible aux impacts qui pourraient sembler mineurs. Même de petits processus, s'ils se produisent au bon endroit, peuvent amplifier des changements du climat à travers le monde entier » explique Aixue Hu, principal auteur de l'étude.
Ainsi, l'ouverture et la fermeture du détroit de Béring, petits événements apparemment sans importance (sauf d'un point de vue écologique et évolutif), montrent bien la complexité du système climatique terrestre. Cet exemple démontre aussi que ces phénomènes de faible ampleur apparente peuvent créer des points de basculement pour le climat.
L'équipe du National Center for Atmospheric Research (NCAR) voulait expliquer l'énigme de la dernière période glaciaire : pourquoi, il y a 116.000 ans, les calottes glaciairescalottes glaciaires de l'hémisphère nord n'ont cessé de reculer puis d'avancer pendant 70.000 ans ?
L'évolution des quantités de glace de ces calottes était si importante au cours de cette période que le niveau des océans s'est élevé et abaissé de 30 mètres.
Le chercheur Aixue Hu. © Carlye Calvin / Ucar
L'hypothèse était que la solution devait se trouver dans les oscillations climatiques dues aux variations de l'orbiteorbite terrestre autour du SoleilSoleil. Rappelons que cette orbite, de même que l'inclinaison de la Terre, varie au cours des temps géologiques suivant les cycles de Milankovitch. Ces variations font varier la quantité d'énergieénergie solaire reçue par la Terre et donc sa température moyenne.
Le coupable n’est pas le Soleil
Cependant, le schéma ressorti de l'étude basée sur ces variations orbitales de la Terre lors de la période concernée ne correspondait pas aux variations des calottes glaciaires et du niveau de la mer. Les scientifiques ont alors envisagé une explication alternative.
L'ouverture et la fermeture du détroit de Béring pourrait avoir modifié les courants des deux océans de l'hémisphère nord. En effet, ce détroit est le seul point de passage de l'hémisphère nord entre les océans Pacifique et Atlantique. Il permet le transfert d'un flux d'eau froide et peu salée vers les eaux plus salées de l'Atlantique.
Ce flux contribue fortement à la régulation de la force de la Circulation Méridienne Atlantique (Meridional Overturning Circulation ou MOC), une composante majeure du transport de la chaleurchaleur depuis les tropiques jusqu'aux pôles.
A l'aide de la dernière génération de supercalculateurssupercalculateurs et du modèle climatiquemodèle climatique du NCAR, les chercheurs ont étudié le climat à un niveau de détails jamais atteint jusque-là sur le long terme, un travail qui impossible il y a seulement quelques années.
La fermeture du détroit de Béring et le climat mondial. Lorsque les calottes glaciaires s’étendent, le niveau des eaux baisse jusqu'à la cote des zones peu profondes du détroit de Béring, ce qui provoque sa fermeture. Le flux d’eau peu salée du Pacifique nord ne peut alors plus pénétrer dans les eaux plus salées de l’Atlantique. Les courants en sont altérés, ce qui provoque un afflux des eaux chaudes des tropiques dans l’Atlantique nord, lequel se réchauffe (zone rouge foncée). Les calottes glaciaires, réchauffées à leur tour, fondent et modifient le climat et le niveau des mers sur toute la planète. © Nature, modifié par Ucar
Un cycle d’événements climatiques conduit à un effet domino
Leur modélisationmodélisation a révélé un schéma récurrent qui s'étend sur plusieurs milliers d'années et dans lequel l'ouverture et la fermeture du détroit de Béring ont un impact majeur sur les courants océaniques et les calottes glaciaires.
Le cycle est le suivant :
- La variation orbitaleorbitale de la planète Terre provoque un refroidissement et la formation de calottes glaciaires. Il s'ensuit une baisse du niveau de la mer (l'eau étant contenue dans les inlandsis sur les terres) qui provoque la fermeture du détroit de Béring ;
- Le détroit fermé, il n'y a plus de flux d'eau peu salée, ce qui provoque une élévation de la salinitésalinité de l'océan Atlantique. Cela entraîne une augmentation de la Circulation Méridienne Atlantique et donc un accroissement du transfert de chaleur depuis les tropiques jusqu'au Pôle Nord ;
- La température des inlandsis de l'hémisphère nord s'accroît alors de 1,5°C, ce qui suffit à entraîner leur fontefonte. Les inlandsis perdent 112 mètres de hauteur par tranche de mille ans ;
- Au bout de plusieurs milliers d'années, l'élévation du niveau des eaux permet l'ouverture du détroit de Béring ;
- Il y a alors à nouveau arrivée d'eau peu salée dans l'Atlantique et donc diminution de la Circulation Méridienne Atlantique, baisse des températures de l'hémisphère nord, augmentation de la quantité de glace et donc baisse du niveau de la mer. Et le cycle recommence.
Ce cycle a été brisé il y a 34.000 ans lorsque la Terre s'est trouvée suffisamment éloignée du Soleil pour que la glace continue à se former sur les inlandsis même quand le détroit de Béring était fermé. Enfin, il y a 10.000 ans, la Terre est devenue assez proche du Soleil durant l'hiverhiver boréal pour que le détroit de Béring se réouvre et demeure ouvert, ce qui a contribué à stabiliser le climat et à ouvrir une ère favorable à l’établissement des civilisations.
« Ce type d'étude est critique pour révéler les nuances de notre système climatique. Si nous pouvons améliorer notre compréhension des forces qui ont affecté le climat dans le passé, nous pourrons mieux anticiper comment notre climat pourrait changer dans le futur » conclut Gerald Meehl, co-auteur de l'étude.