En 1986, Bednorz et Müller ont découvert des matériaux supraconducteurs à haute température. Une intense excitation a alors saisi le milieu des physiciens de la matière condensée ainsi que celui des ingénieurs. La possibilité d'exploiter à court terme le phénomène de supraconductivité à des températures proches de celles de la vie de tous les jours révolutionnerait notre technologie. Le phénomène pose encore de nombreux problèmes aux théoriciens et suscite des controverses parmi eux. John Tranquada, du Brookhaven National Laboratory, pense avoir élucidé le mécanisme de celui-ci pour une certaine classe de supraconducteurs.

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Il y a presque 20 ans maintenant, un composé de Lanthane, Baryum, Cuivre et Oxygène, en abrégé LBCO, exhibait un état supraconducteur dès 30° K, un record pour l'époque. L'année suivante, le remplacement du Lanthane par de l'Yttrium, permettait d'atteindre 92 ° K ! C'était sûr, bientôt on irait encore plus loin et un monde basé sur le stockage illimité de l'électricité, le transport sans perte de celle-ci et avec une électronique supraconductrice allait bientôt devenir réalité.

Il a fallu se rendre à l'évidence, le mécanisme et la technologie de la supraconductivité à haute température critique étaient plus difficiles à maîtriser que prévue !

Les associations de Lanthane, Cuivre et Oxygène, les LCO, ne sont pas supraconducteurs. Ils ne sont même pas des conducteurs mais sont par contre des matériaux antiferromagnétiques. À cause de la mécanique quantique, les électrons (qui peuvent se comparer à de petits aimants) par la nature des conditions où ils se trouvent dans les LCO, s'orientent de manière à avoir une alternance de pôle nord et sud. Cela permet de minimiser leur énergie. Ils se repoussent les uns les autres et ce faisant se bloquent, ce qui empêche tout transport de charges. Maintenant, si l'on remplace certains atomes de Lanthane par du Baryum, les choses sont différentes !

Le Baryum possède un électron de moins que le Lanthane, il se forme donc des 'trous' de charge dans la distribution d'électrons à l'intérieur des LBCO si on la compare à celle des LCO. Ces trous peuvent bouger et, toujours en liaison avec des phénomènes quantiques, c'est la base du phénomène de supraconduction. Plus on ajoute de Baryum, plus il y a de trous et plus le phénomène de supraconductivité est important. Sauf qu'à partir d'un certain moment, lorsqu'il y a autant de Baryum que de Lanthane, la supraconductivité cesse pour réapparaître et décliner ensuite graduellement en fonction de l'ajout d'atomes de Ba.

Schéma montrant les bandes de trous (bulles) et l'ordre antiferromagnétique dans les LBCO (Crédit : John Tranqueda).

Schéma montrant les bandes de trous (bulles) et l'ordre antiferromagnétique dans les LBCO (Crédit : John Tranqueda).

Dans la phase où la supraconductivité cesse, on peut montrer que les trous s'arrangent pour former des séries de bandes. Ce que Tranquada et ses collègues ont proposé, il y a quelques années déjà, c'est que le phénomène de supraconduction dans les LBCO serait justement étroitement lié à la formation de ces bandes. Cela semble complètement fou mais il se trouve que ce type de bande existerait dans les composées avec Yttrium, les YBCO, précisément lorsqu'ils sont supraconducteurs !

En effet, lorsqu'on analyse ce qu'on appelle le spectre des excitations magnétiques des YBCO à l'état supraconducteur, on trouve exactement la même structure que pour les LBCO tellement dopés avec du Baryum qu'ils perdent leur supraconductivité. Dans ce dernier cas, ces bandes seraient statiques alors que dans l'état supraconducteur, elles seraient en mouvement ! Elles se déformeraient et bougeraient en bloc comme un fluide à l'intérieur de ces composés.

En plus des études faites au BNL, Tranquada et son équipe ont effectué toute une série de mesures par diffusion de neutrons sur des échantillons de supraconducteurs à haute température au laboratoire Léon Brillouin en France, à Saclay. Ce sont justement elles qui soutiennent le mieux sa théorie !