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L'Europe a besoin d'astronautes. Entre le travail sur la Station spatiale internationale (ISS), habitée en permanence, et les voyages vers la Lune, les missions humaines, se succèderont régulièrement au cours de prochaines décennies. Les tâches de l'Esa (European Space Agency), après les succès de l'installation du laboratoire européen Columbus et du cargo automatique ATV, vont devenir plus nombreuses. L'équipe actuelle ne suffira pas, d'autant que pour des raisons diverses, l'âge notamment, ce métier ne s'exerce pas à vie. « Nous en perdons un par an », résume Michel TogniniMichel Tognini, astronaute lui-même et actuellement chef du Centre Européen des Astronautes, à Cologne.
Les robotsrobots remplaceront-ils les hommes, comme l'affirment certains ? « La concurrence entre les deux n'existe pas, répond Jean-Jacques Favier, ex-astronaute français et aujourd'hui directeur-adjoint chargé de la prospective et de la stratégie au Cnes (Centre National d'Etudes spatialesCentre National d'Etudes spatiales). Les deux sont indispensables aux missions à venir. Dans un premier temps, il s'agit d'utiliser au mieux l'ISS. Pour la suite, la clé du programme européen est l'exploration, pour les missions vers la Lune et vers Mars. »
Pour renouveler les effectifs, l'Esa lance une campagne de recrutement. Les candidats pourront se présenter entre le 19 mai et le 15 juin prochains. Pour la première fois, les dossiers de candidature sont diffusés sur InternetInternet, au format PDF. Il suffit de remplir... Bien sûr, il y aura beaucoup d'appelés (l'Esa attend entre 20.000 et 50.000 candidatures) et peu d'élus : quatre astronautes incorporés à l'Esa, et quatre, dits de réserve. Les premiers commenceront la formation tandis que les seconds continueront à mener leur vie normalement mais pourront être appelés à tout moment en cas de besoin.
Quels critères doivent remplir les candidats ? La fourchette d'âge est située entre 27 ans et 37 ans, « avec des aménagements possibles » précise Michel Tognini. Les candidats doivent être nés dans l'un des 17 pays collaborant à l'Esa, un ensemble qui ne coïncide pas avec l'Union européenne (qui compte 27 Etats). La Suisse, par exemple, fait partie de l'Agence spatiale européenneAgence spatiale européenne, ce qui a donné à Claude Nicollier l'occasion de montrer ses talents. Au sein de ces pays, tous ont les mêmes chances. L'Esa jure qu'il n'y aura aucune pression politique pour donner la priorité à des candidats en fonction de leur nationalité.
Michel Tognini, chef du Centre Européen des Astronautes, est général de l'Armée de l'air. Il a travaillé sur le projet de navette européenne Hermès, s'est entraîné sur le simulateur de la navette russe Bourane et a volé sur Colombia : c'est probablement l'astronaute le plus expérimenté du monde pour le pilotage de navettes... © Futura-Sciences
Mens sana in corpore sano
Pour le reste, les critères requis placent la barre assez haut. Sur le plan physique, toutefois, il ne faut pas être un surhomme. Au contraire, il vaut mieux être dans la norme, ni trop petit ni trop grand. Jean-Jacques Favier, par exemple, a volé dans la navette Colombia et travaillé dans la station MirMir en 1996 mais il dépasse d'une bonne tête tous ses collègues astronautes et ne pourrait pas s'installer dans l'exiguë capsule SoyouzSoyouz. Aujourd'hui, il serait déclaré inapte. Toute caractéristique physique exceptionnelle est même déconseillée. Jean-Pierre HaigneréJean-Pierre Haigneré rappelle le cas d'un candidat écarté à cause d'une forme curieuse de sa valve mitrale, qui ne le gênait pas du tout et n'affectait en rien ses capacités physiques. Mais on ne peut prendre aucun risque lorsque l'on envoie un homme dans l'espace... Il faut surtout être en bonne santé, ignorer les cariescaries, faire du sport et passer avec succès une visite médicale réservée aux pilotes d'avion amateurs (Jar-FCL 3 Class 2 en jargon européen). Le corps doit être sain et la tête pleine. Les candidats doivent parler l'anglais. Ce critère-là est impératif. D'autres pré-requis sont fortement appréciés : maîtriser la langue russe, jouer de la musique, faire de la plongée sous-marine ou de l'alpinisme, disposer d'un brevet de pilote d'avion... Il faut aussi avoir suivi des études supérieures et bien connaître l'astronautiqueastronautique, une preuve que l'on s'y intéresse vraiment. Si l'âge minimum est de 27 ans, c'est que les candidats doivent déjà avoir une expérience professionnelle, surtout pour démontrer ce qu'ils sont capables de faire en situation opérationnelle.
Les professions les plus appréciées sont celles des carrières scientifiques, d'ingénieurs et de médecine mais aussi de pilote. Les pilotes d'essais, en particulier, sont clairement privilégiés. Mais on ne peut pas tout demander à la fois. La formation sera personnalisée. L'océanographe, plongeur et biologiste, passera sans doute du temps dans un cockpit d'avion tandis que le pilote d'essai apprendra la médecine et la vie des cellules.
Comme tous les astronautes savent le faire, Jean-Pierre Haignéré se prête au jeu des interviews et témoigne de l'extraordinaire privilège d'exercer ce métier. © Futura-Sciences
Une passion autant qu'un métier
Les critères du recrutement actuel diffèrent-ils de ceux des précédentes campagnes, qui ont eu lieu en 1992, 1983 et 1978 ? « Les conditions restent à peu près les mêmes mais on s'attachera davantage au profil psychologique, rapporte à Futura-Sciences Jean Coisne (responsable de la communication des astronautes Centre des astronautes européens). Car les futures missions, surtout après l'arrêt des navettes spatiales américainesnavettes spatiales américaines, seront pour la plupart de longues duréesdurées. »
Au final, avec quatre élus sur plusieurs dizaines de milliers de candidatures, il est certain que de bons éléments seront écartés, peut-être de manière injuste. « Parmi celles et ceux qui ont été sélectionnés avec moi et qui n'ont pas été retenus, se souvient Jean-Pierre Haigneré, beaucoup ont montré ensuite qu'ils étaient de grande valeur. Mais avec un tel nombre de candidatures, il est clair que la sélection sera dure et qu'il ne faut pas compter monter un dossier de dérogation si l'on a échoué...»
Les candidats doivent aussi se préparer à chambouler leur vie privée, se déplacer souvent, travailler beaucoup et apprendre à longueur de journée. « Il y a eu quelques divorces... » confie Jean Coisne. Le voyage dans l'espace représente une faible part des activités, essentiellement consacrées à l'entraînement. Même une mission d'une semaine est précédée d'un an à un an et demi de préparation...
Aux candidats potentiels, les astronautes actuels tiennent manifestement à parler aussi du bonheur qu'ils éprouvent à exercer ce métier, du privilège qu'ils détiennent mais aussi de l'engagement et de la passion qu'il implique. « Pour moi, c'est un rêve de gosse, témoigne Jean-Jacques Favier. Youri GagarineYouri Gagarine a volé dans l'espace le 12 avril 1961. Le lendemain, c'était mon douzième anniversaire et ma mère m'a offert Le tour du monde en 80 jours avec cette dédicace : "tu fais partie de la génération qui fera le tour du monde en 80 minutes". Cette phrase a dû longuement trotter dans ma tête ». Jean-François ClervoyJean-François Clervoy parle, lui, avec émotion, du moment où il a déposé son dossier de candidature, matérialisant des espoirs jusque-là très vaguesvagues... avant de se cogner violemment dans la porteporte en verre qu'il n'avait pas vue, pour avoir déjà la tête dans les étoilesétoiles...