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Plusieurs espèces animales, dont font partie les grands singes, peuvent utiliser des outils. Un exemple surprenant, mais connu depuis le début des années 1980, s'observe dans deux golfes situés dans Shark Bay en Australie. Des grands dauphins s'y promènent en effet avec des éponges au bout du neznez. Certains poissons, sans vessievessie natatoire pour faire rebondir le son émis par les dauphins en chasse, sont indétectables par écholocation une fois enfouis. Les cétacés doivent donc gratter les fonds marins pour les trouver. Un spongiaire à l'extrémité du rostre permet donc de ne pas se blesser durant les fouilles.
Près de 3.000 Tursiops peupleraient les eaux concernées mais, étonnamment, seuls 5 % d'entre eux peuvent pratiquer le « sponging ». Plus surprenant encore, ces adeptes sont quasi exclusivement des mammifères marins de sexe féminin. Cette compétence se transmettrait en effet de mère en fille depuis des années, mais combien exactement ? La réponse vient d'être dévoilée par Anna Kopps de l'University of New South Wales dans la revue Animal Behaviour. Le sponging serait apparu voici 120 à 180 ans, soit au XIXe siècle.
Le grand dauphin Tursiops truncatus est présent dans toutes les mers du globe, hormis dans les zones arctiques et antarctiques. Il n'y a que dans la baie Shark qu'il a été observé en train de se protéger le rostre avec une éponge. © jeffk42, Flickr, CC by-nc 2.0
Le sponging : une exclusivité familiale chez les dauphins
L'auteur a développé un modèle mathématique prenant notamment en compte la duréedurée de vie des individus (environ 40 ans) ou le nombre de jeunes mis au monde par une mère, pour comprendre la transmission du sponging au sein de la population depuis une trentaine d'années. Des données génétiquesgénétiques de liens de parenté unissant les cétacés ont alors été exploitées pour établir des projections dans le passé et tester différents scenarios de l'apparition et la propagation de cette innovation.
Un seul individu aurait un jour initialement appris à utiliser les éponges pour se protéger le rostre, quelque part dans l'océan, entre 1830 et 1890... Cette compétence aurait ensuite été transmise dans sa lignée maternelle, sans être partagée avec d'autres adultes ni même avec des jeunes non apparentés. Ce fait explique le faible pourcentage de dauphins maîtrisant cette étonnante capacité. La méthode de transmission, apprentissage ou imitation de la mère, n'est en revanche toujours pas connue.
Ce caractère peu répandu afficherait une certaine stabilité au cours du temps. Il est en effet toujours présent après plus d'un siècle d'existence. L'avantage pour l'animal, peut-être celui d'avoir des sources de nourriture plus variées, serait donc réel. Les mâles apprendraient également la technique, mais ils ne l'emploieraient pas et surtout ne la transmettraient pas à leur descendance.
Le modèle informatique pourrait être utilisé pour étudier l'apparition d'innovations chez d'autres espèces comme chez les grands singes. Grâce à la découverte de pierres utilisées pour briser des coquilles, on sait que les chimpanzés exploitent des outils depuis 3.400 ans, soit depuis au minimum 200 générations. Cela reste à confirmer car plusieurs artefacts ont pu fausser les données. Le modèle, en partie basé sur des informations génétiques, pourrait donc, d'après le chercheur, se révéler précieux.