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Avec ses 25 millimètres, Dikerogammarus villosus est un gros gammare. Carnivore, ce crustacé amphipode, de la même famille que nos puces de mer (ces petites bêtes grises et bondissantes cachées sous les algues des plages), s'attaque à de grosses proies. Là où il s'installe, les autres gammares ont du mal à survivre. © Université de Metz, modifié d’après Cărăuşu et al. (1955)
Il est rare qu'un secrétaire d'Etat se préoccupe d'un crustacé amphipode, un groupe d'arthropodes marins ou d'eau douce, discrets par la taille et que l'on désigne le plus souvent sous le nom de « crevettes » alors que ce sont des gammares. C'est pourtant ce qui vient d'arriver en Grande-Bretagne. Ce secrétaire-là s'appelle Richard Benyon et est chargé de l'environnement. Son sujet d'inquiétude est connu sous le nom de Dikerogammarus villosus, un grand gammare pouvant atteindre 2,5 centimètres, découvert par des pêcheurs dans le plan d'eau Grafham Water, dans le Cambridgeshire (au nord-ouest de Cambridge).
L'animal est bien moins impressionnant que le monstre du Loch Ness mais l'affaire a suscité un réel émoi et provoqué la réaction de l'agence de l'environnement (Environment Agency), à qui les pêcheurs ont envoyé leur trouvaille. Cet amphipode, en effet, est loin d'être un inconnu. C'est une espèce puissamment invasive venue du bassin Ponto-Caspien, une région englobant la mer Noiremer Noire, la mer d'Azov et la mer Caspiennemer Caspienne (réunies dans le passé). Or, en Grande-Bretagne, on est bien plus sensible à ces espèces invasives que sur le continent.
La traversée de la Manche
Depuis le milieu des années 1990, en effet, D. villosus s'est répandue en Europe de l'ouest, d'abord dans la vallée du Danube et autour du Rhin, puis dans de nombreuses autres régions. En France, on trouve désormais l'espèce un peu partout (voir le dossier du projet Invabio consacré aux espèces invasivesespèces invasives, réalisé à l'université Paul Verlaine- Metz).
L'animal doit son surnom de tueuse à sa voracité. Ce gammare géant s'attaque à des invertébrésinvertébrés de grandes tailles et, d'après plusieurs études, semble modifier significativement les écosystèmesécosystèmes dans lesquels il s'installe. En France, Loïc Bollache et ses collègues ont découvert qu'une espèce locale, Gammarus pulex, avait complètement disparu là où elle est en compétition avec le gammare pont-caspien.
Ce genre d'invasion est loin d'être une nouveauté. On connaît l'écrevisseécrevisse américaine (Orconectes limosus) qui s'est répandue depuis un siècle en Europe ou les tortues de Floridetortues de Floride. Selon l'étude Invabio, les champions du genre sont les crustacés, avec 49% des espèces invasives, suivis par les mollusquesmollusques (26%). Quant à l'origine géographique, c'est justement cette région ponto-caspienne qui se montre la plus exportatrice d'espèces exotiquesexotiques (32,5% des cas).
Les envahisseurs peuvent emprunter les bateaux des hommes ou voler avec les oiseaux. Les animaux d'eau douce apprécient également les canaux. Dans ce mouvementmouvement migratoire vers l'ouest, il est vraisemblable que la liaison Rhin-Main-Danube joue un rôle important. Ouvert le 25 septembre 1992 et long de 171 kilomètres, un canal relie le Danube au Main, un affluent du Rhin, ouvrant une voie navigable de 677 kilomètres aux péniches... et à aux espèces aquatiques d'eau douce.
La crevette tueuse vit en eau douce mais manifeste une bonne tolérance à la salinitésalinité. On ne sait pas si elle a traversé la Manche toute seule, agrippée à un navire, obligeamment transportée dans le chargement d'un bateau ou emberlificotée dans les plumes d'un oiseauoiseau marin. Ce Channel, décidément, n'a jamais constitué un obstacle infranchissable...