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Dans les glaces de spin, les moments magnétiques peuvent parfois s'aligner pour former des tubes de champs magnétiques. Dans certaines conditions, ces tubes exhibent des monopôles magnétiques à leurs extrémités. Crédit : HZB / D.J.P. Morris & A. Tennant
C'est Paul DiracPaul Dirac qui est à l'origine du concept de monopôle magnétique. L'un des prédécesseurs de Stephen Hawking à la célèbre Lucasian Chair of Mathematics s'était étonné de l'existence dans la nature de monopôles électriques, comme les électrons ou les protons, par opposition à l'absence de monopôles magnétiques. Un aimant est en effet un dipôle et il n'est pas possible d'isoler un pôle nord et un pôle sud, par exemple en essayant de couper l'aimant.
Ce fait d'expérience pourrait sembler anecdotique s'il n'entrait pas en conflit avec la forme pleinement relativiste des équations de Maxwell obtenue par la conjonctionconjonction des méthodes du calcul tensoriel et de l'espace-tempsespace-temps de Minkowski. Dans ces cadres, la symétrie entre les champs électriqueschamps électriques et les champs magnétiqueschamps magnétiques dans les équations est encore plus flagrante que dans la formulation initiale de Maxwell et l'anomalieanomalie devient plus aigue.
A son étonnement, Dirac prouva en 1931 que l'introduction de charges magnétiques élémentaires dans la version quantique des équations de Maxwell était non seulement possible mais qu'elle impliquait automatiquement la quantificationquantification de la charge électrique. On ne tarda pas à chercher des monopôles dans les accélérateurs ou dans le rayonnement cosmique. Ces recherches furent stimulées particulièrement au début des années 1970 par la découverte par 't Hooft et Polyakov que dans beaucoup de théories quantiques des champs de type Yang-MillsYang-Mills utilisant le boson de Higgsboson de Higgs, l'équivalent du monopôle de Dirac devait apparaître.
Ces monopôle de 't Hooft et Polyakov seraient des signatures idéales plaidant en faveur de l'existence des théories de Grande Unificationthéories de Grande Unification joignant les interactions nucléaires fortes et électrofaibles au sein d'un seul groupe de jauge. Malheureusement, leurs massesmasses sont tellement énormes que l'on ne peut pas les créer en accélérateur. Ils pourraient cependant avoir été produits en quantités importantes au moment du Big BangBig Bang et, tout comme les strangelets, on a cherché si des reliques ne pouvaient pas s'être accumulées dans les roches lunaires.
Toutes les recherches concernant des monopôles ont conduit à des échecs et les bornes en accélérateurs sont tellement sévères qu'il est totalement exclu que des monopôles de faibles masses, comme celui de Dirac, existent dans l'UniversUnivers. Toutefois, des monopôles peuvent être modélisés par des solénoïdessolénoïdes très fins et très longs. Les extrémités des tubes de champs magnétiques ainsi formés se comportent alors pour un observateur comme des charges magnétiques élémentaires.
Des pseudo-monopôles dans les glaces de spin
Comme expliqué dans un précédent article, on pensait depuis quelque temps que des configurations particulières d'atomesatomes à l'intérieur de certains matériaux magnétiques pouvaient donner naissance à l'équivalent de ces solénoïdes et donc à l'apparition de pseudo monopôles magnétiques de Dirac dans certains solidessolides, des glaces de spin (ce nom vient de ce que les spinsspins responsables des moments magnétiquesmoments magnétiques dans les solides se comportent comme ceux des atomes d'hydrogènehydrogène dans l'eau gelée).
Les chercheurs du Helmholtz-Zentrum Berlin für Materialien und Energie ont fait passer des faisceaux de neutrons à travers certaines glaces de spin. Dans certaines conditions, des tubes de champs magnétique fins se forment ressemblant aux cordes de Dirac (Dirac strings). Aux extrémités de ces cordes apparaissent alors l'analogue des monopôles de Dirac et ceux-ci se comportent comme un gaz de charges magnétiques élémentaires affectant la figure de diffractions des neutrons. Crédit : Jonathan Morris
La possibilité d'observer ces pseudo monopôles devenait de plus en plus évidente comme l'attestait d'ailleurs un article de Nature au début de cette années par Ludovic Jaubert et Peter Holdsworth.
En effet, dans les glaces de spinglaces de spin, des moments magnétiques élémentaires que l'on peut considérer comme des petits aimants peuvent s'aligner en formant de longs filaments ressemblant à des spaghettis. On est alors en présence de l'équivalent des longs solénoïdes dont on a parlé précédemment. Le monopôle de Dirac lui-même peut être vu comme l'extrémité d'un tel filament dont l'autre serait située à l'infini et serait elle-même un autre monopôle. Dans le jargon des physiciensphysiciens, un tel long filament est plus précisément une image de ce qu'ils appellent une corde de Dirac mais entrer dans les détails de cette subtilité n'est que de peu d'importance ici.
L'un des outils pour sonder l'intérieur d'un solide magnétique est d'utiliser des faisceaux de neutronsneutrons. Ces derniers sont neutres mais ils possèdent un moment magnétique qui leur permet d'être sensibles à l'orientation de ceux présents dans le solide lors d'expériences de diffusionsdiffusions.
Si des monopôles magnétiques peuvent exister dans certaines glaces de spin, alors on doit s'attendre à des figures de diffractionsdiffractions bien particulières lors de ces expériences de diffusion de neutrons.
Deux groupes de chercheurs ont réalisé ces expériences, l'un avec du Dy2Ti2O7, un matériaumatériau cristallin, et l'autre avec du Ho2Ti2O7. Le premier a utilisé la source de neutrons disponible au Helmholtz-Zentrum Berlin für Materialien und Energie à Berlin et le second celle de l'Institut Laue-Langevin (ILL) à Grenoble.
Dans les deux cas, les chercheurs ont bien observé dans certaines conditions l'apparition de monopôles magnétiques et les détails de ces découvertes ont été publiés dans deux articles de Science. Si l'on peut s'attendre à des retombées dans les domaines de la spintroniquespintronique ou des mémoires magnétiques, il semble difficile d'imaginer des applicationsapplications à la physiquephysique des hautes énergiesénergies. Mais on ne peut en être certain. Après tout, le boson de Higgs lui-même dérive de travaux sur la supraconductivitésupraconductivité.