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Il y a cent millions d'années, là où se trouve aujourd'hui le Sahara, vivait un monde de crocodiles. Certains étaient de taille modeste mais le plus grand, Sarcosuchus imperator, atteignait environ douze mètres et devait peser huit tonnes. Les Anglo-Saxons aiment l'appeler Supercroc. Ce géant n'est pas un inconnu, le Français Philippe Taquet l'a découvert en 1964. La trouvaille de l'équipe menée par Paul Sereno, qui travaille pour le National Geographic, et Hans Larsson, de la McGill University de Montréal, n'est donc pas une surprise.
Mais elle n'est pas la seule. Depuis 2000, ces paléontologistes explorent le Sahara en plusieurs endroits, notamment au Niger et au Maroc. Dans ces sites qui, il y a cent millions d'années, se situaient au cœur d'un continent unique, le Gondwana, en train de se morceler, l'équipe a exhumé cinq autres espèces de crocodiliens, dont trois étaient inconnues de la science. Pour poursuivre l'habitude des surnoms, les découvreurs les ont baptisées Boarcroc, Ratcroc, Dogcroc, Duckcroc et Pancakecroc. Leurs découvertes font l'objet d'une publication scientifique dans la revue Zookeys mais aussi d'un reportage sur la chaîne de télévision du National Geographic, intitulé When Crocs Ate Dinosaurs (Quand les crocodiles mangeaient les dinosaures), diffusé le 21 novembre 2009.
Sur les terresterres du Gondwana, les crocodiliens ne marchaient pas tous en rampant comme nos actuels crocodiles, alligatorsalligators et gavials. Certains se dressaient sur leurs pattes, comme les mammifèresmammifères, et le terme reptilereptile leur convient bien mal (le mot, d'ailleurs, n'est plus guère utilisé dans les classifications actuelles). On connaît même de plus vieux ancêtres des crocodiles aux pattes de gazelles...
Une belle dent émerge du sol devant Paul Sereno. C'est celle de Kaprosuchus saharicus, une espèce nouvelle, surnommée Boarcroc. On reconnaît une canine. L'animal disposait de trois séries de dents de ce genre. Il mesurait six mètres et ressemblait à nos crocodiles. Mais il marchait – et même courait – sur quatre vraies pattes. © Mike Hettwer et National Geographic
Coureurs, nageurs, farfouilleurs...
Kaprosuchus saharicus, alias Boarcroc - que l'on pourrait traduire par Croc SanglierSanglier - était de ceux-là. Il atteignait huit mètres et impressionne par ses crocs de grandes tailles. Il fait partie des espèces nouvellement décrites, avec Ratcroc et Pancakecroc (Croc Crêpe ou Croc Galette, donc). Le premier, officiellement nommé Araripesuchus rattoides, ne mesurait qu'un mètre de longueur et sa mâchoire inférieure présente des dents qui semblent faites pour creuser le sol ou le fond de l'eau à la recherche de nourriture. Le dénommé Pancakecroc, Laganosuchus thaumastos pour la science, avait la même taille mais sa dentition est toute différente. Les mâchoires légères portent des dents pointues et le crânecrâne est plat (d'où le surnom). Pour les auteurs, pas de doute, ces animaux devaient rester tapis au sol et se jeter sur une proie lorsqu'elle se présentait.
Duckcroc a un museau en forme de becbec de canard, comme l'indiquent son surnom mais aussi son nom latin, Anatosuchus minor (les canards sont des anatidésanatidés). Long de moins d'un mètre, il devait fouiller la vase à la recherche de larveslarves ou de grenouilles. L'espèce a été décrite en 2003 par Paul Sereno.
Un peu plus grand et plus agile, Dogcroc (Croc ChienChien bien sûr), ou encore Araripesuchus wegeneri, est connu depuis plus longtemps. Il était capable de courir sur de robustes pattes. Mais, sa longue queue flexible en témoigne, il était probablement aussi un bon nageur.
Dogcroc et Duckcroc devaient aussi être plus malins que nos crocodiles. Paul Sereno a en effet étudié les crânes disponibles au scanner pour déterminer le volumevolume du cerveaucerveau. Selon lui, le prosencéphale (la partie avant du cerveau) est plus développée que chez les crocodiles actuels (dont le volume cérébral est en effet très faible).
Au total, le tableau de ces découvertes décrit une faunefaune variée de crocodiliens qui occupent des niches écologiques diverses. Seulement apparentés de loin aux dinosaures, ces crocodiles devaient leur mener la vie dure et, d'une certaine façon, leur ont survécu, sauf à ceux qui avaient eu la bonne idée de devenir des oiseaux.