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Une représentation possible de Ganlea megacanina, dans son milieu naturel le plus probable, les arbres, avec une longue queue, indispensable à son équilibre. © Mark A. Klingler/Carnegie Museum of Natural History
C'est au Myanmar (ex Birmanie) que des paléontologuespaléontologues d'une collaboration internationale, dont Laurent Marivaux (ISEM, CNRS) et Jean-Jacques Jaeger (IPHEP), ont exhumé plusieurs fossiles de primates vieux de 37 à 38 millions d'années, soit l'Eocène supérieur, appartenant à une espèce inconnue et même à un genre nouveau. A l'époque, la région, tropicale et très humide, expliquent les auteurs, ressemblait à l'actuel bassin amazonien.
Une mâchoire a révélé une canine d'une taille démesurée, ce qui a valu à l'espèce d'être baptisée Ganlea megacanina (le nom de genre, Ganlea, vient du nom du village de Ganle, à côté duquel les fossiles ont été trouvés). Les profondes traces d'usure que portent ces dents suggèrent aux paléontologues que l'animal se nourrissait de graines de noix dont il brisait la coque avec ses canines. Le détail n'est pas anecdotique pour un spécialiste de l'histoire des primates.
Ce groupe, en effet, est considéré comme constitué de deux lignées, celle des prosimiens, essentiellement représentés aujourd'hui par les lémuriens, et celle des primates anthropoïdesanthropoïdes, regroupant les singes et les humains. Or, aucun lémurien ni aucun prosimien ne croque des noix alors que c'est ainsi que se nourrissent les sakis, des singes d'Amérique du sud. Dans la revue Proceedings of the Royal Society B, les chercheurs en concluent que Ganléa était un primate anthropoïde et que l'origine de cette lignée se trouve donc en Asie, bousculant l'histoire connue de cette branche à laquelle sont accrochés les humains.
La mâchoire inférieure droite de Ganlea megacanina. On remarque la magnifique canine, à droite, à laquelle peu de noyaux de fruits devaient résister. © Laurent Marivaux/ CNRS
Une confirmation parmi d'autres
Pour les auteurs, cette conclusion n'est pas une grande surprise. Ganléa appartient à une famille connue d'anthropoïdes, les amphipithecidés. Quatre fossiles de ce groupe éteint ont déjà été trouvés en Asie. La découverte de Ganléa démontre que ces primates dérivent d'un ancêtre communancêtre commun installé en Asie. En 1994, Eosimias était exhumé du sol chinois et arborait déjà des caractéristiques d'anthropoïde. En 2005, Laurent Marivaux racontait à Futura-Sciences la découverte au Pakistan, par une équipe dont il faisait partie, de deux nouveaux genres d'amphipithecidés datant de 30 millions d'années.
Selon ce chercheur, Ganléa diffère « radicalement » du fossile découvert en Allemagne et récemment décrit sous le nom de Darwinius masillae. Surnommé Ida et classé dans les adapiformes, ce petit animal avait défrayé la chronique grâce à une présentation habile de ses découvreurs, qui en parlaient comme d'un « chaînon manquantchaînon manquant ». Avec ses 47 millions d'années, Ida serait le plus ancien ancêtre commun aux deux lignées de primates. Laurent Marivaux estime que Ida est plus proche des lémuriens actuels.
Mangeur de fruits, amateur des graines si nutritives cachées dans leurs noyaux, très probablement arboricolearboricole, Ganléa inscrit un nouveau paragraphe dans l'histoire compliquée des primates. Il y a 60 millions d'années, leurs ancêtres peuplaient de nombreuses régions de l'hémisphère nordhémisphère nord. Vingt millions d'années plus tard, on les trouve surtout dans les régions tropicales, notamment en Asie. C'est vers cette époque qu'apparaissent les premiers singes, dont certains ont démarré une autre histoire, celle des hominidés...