Que s'est-il passé pour les oiseaux au moment de la crise du Crétacé-Tertiaire qui a balayé les dinosaures et de nombreux organismes ? La question divise la communauté des paléontologues mais une nouvelle étude de Nicholas Longrich éclaire le débat. Futura-Sciences a contacté le spécialiste Éric Buffetaut pour en savoir plus.

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    Comment la diversité des oiseaux s'est-elle formée ? Une récente étude donne la solution à l'explosion des oiseaux modernes après la crise K-T. © Petespande, Flickr, cc by nc 2.0

    Comment la diversité des oiseaux s'est-elle formée ? Une récente étude donne la solution à l'explosion des oiseaux modernes après la crise K-T. © Petespande, Flickr, cc by nc 2.0

    Une récente étude menée par Nicholas Longrich, de l'université Yale, fait la lumièrelumière sur l'extinction des oiseaux « primitifs » qui peuplaient la Terre avant la crise du Crétacé-Tertiaire (K-TT), il y a environ 65 millions d'années. Elle repose sur une série d'observations réalisées à partir de fragments de fossiles auxquels les scientifiques n'avaient pas porté jusqu'à présent tout l'intérêt qu'ils méritent.

    Les conclusions de Longrich et de son équipe sont claires : contrairement à certaines théories, les oiseaux archaïques ne se sont pas éteints progressivement au cours du Crétacé mais ont bien fait l'objet - au même titre que les dinosaures - d'une disparition brusque, conséquence d'un événement terrestre ou extraterrestre (ou les deux) catastrophique. Les quelques oiseaux modernes auraient, eux, survécu à cette catastrophe et seraient à l'origine de la diversité de l'avifaune actuelle. Les résultats sont parus dans Pnas.

    Afin d'en savoir un peu plus sur les différentes théories qui sont en vogue concernant la disparition de ces oiseaux, sur les mécanismes d'extinction des oiseaux archaïques et sur la façon dont les oiseaux modernes se sont répandus et diversifiés, Futura-Sciences a interrogé le paléontologuepaléontologue Éric BuffetautÉric Buffetaut, spécialiste des oiseaux primitifs et des ptérosaures.

    Les auteurs ont comparé les fragments de fossiles provenant de différents oiseaux du Crétacé. a et b : Hesperornithiformes ; c : <em>Avisaurus archibaldi </em>; d et e : deux <em>Ornithurine </em>différents ; f : <em>Cimolopteryx maxima </em>; g : Enantiornithine ; h : <em>Ceramornis major </em>; i et j : deux <em>Ornithurine</em> différents; k :  Enantiornithine ; l : <em>Palintropus retusus </em>; m : Ornithurine ; n : <em>Cimolopteryx rara</em>; o : <em>Cimolopteryx petra</em> ; p : <em>Ornithurine </em>; q : <em>Cimolopteryx minima</em>. © Longrich <em>et al. </em>2011, <em>Pnas</em>

    Les auteurs ont comparé les fragments de fossiles provenant de différents oiseaux du Crétacé. a et b : Hesperornithiformes ; c : Avisaurus archibaldi ; d et e : deux Ornithurine différents ; f : Cimolopteryx maxima ; g : Enantiornithine ; h : Ceramornis major ; i et j : deux Ornithurine différents; k :  Enantiornithine ; l : Palintropus retusus ; m : Ornithurine ; n : Cimolopteryx rara; o : Cimolopteryx petra ; p : Ornithurine ; q : Cimolopteryx minima. © Longrich et al. 2011, Pnas

    Futura-Sciences : Quelles sont les différentes théories qui se confrontent en ce moment concernant la disparition des oiseaux avant la crise du Crétacé-Tertiaire (K-T) ?

    Éric Buffetaut : La question principale est de savoir si les oiseaux modernes étaient déjà présents, divers et abondants au Crétacé. Il ne fait aucun doute qu'il y avait beaucoup d'oiseaux au Crétacé, mais la plupart des fossilesfossiles connus sont ceux d'oiseaux archaïques, que l'on ne trouve plus après la limite K-T. Quant aux restes d'oiseaux modernes, ils demeurent rares au Crétacé. Il y a donc plusieurs options :

    • les oiseaux archaïques se sont éteints en massemasse à la limite K-T, laissant ainsi la place aux oiseaux modernes, qui se sont ensuite énormément diversifiés au Tertiaire ;
    • les oiseaux modernes ont commencé à supplanter les oiseaux archaïques dès le Crétacé, mais pour une raison ou pour une autre on n'a pas encore trouvé leurs restes en abondance ;
    • les données paléontologiques sont trop mauvaises pour qu'on puisse dire quoi que ce soit de précis.

    Il faut voir aussi que certaines données moléculaires font penser que les oiseaux modernes sont apparus relativement tôt dans le Crétacé. Cela fait dire à certains qu'il y a une contradiction entre ces données et celles de la paléontologiepaléontologie. Mais je pense que c'est un faux problème. Si les oiseaux modernes étaient présents dès une période reculée du Crétacé, mais peu diversifiés et relativement peu nombreux, la contradiction disparaît et le faible nombre de fossiles s'explique.

    Les travaux de Nicholas Longrich reposent sur l'analyse de fossiles qui avaient déjà été analysés. Il en fait une nouvelle interprétation en disant que les premières analyses n'avaient pas été faites correctement (« The birds that had been discovered hadn't really been studied in a rigorous way » dit-il sur le site de Yale). C'est-à-dire ?

    Éric Buffetaut : Je pense qu'il veut dire qu'il a repris l'étude de fossiles qui n'avaient pas beaucoup attiré l'attention parce qu'ils sont fragmentaires. Contrairement à d'autres époques, nous n'avons pas beaucoup de restes d'oiseaux complets et bien conservés pour les quelques millions d'années qui précèdent la limite K-T, et les restes fragmentaires que l'on connaît sont délicats à interpréter. Longrich s'est donné le mal de les étudier attentivement et en a tiré le maximum d'informations, ce qui le conduit aux conclusions données dans l'article. Certains paléontologues préfèrent se cantonner aux « belles pièces », mais cela a pour résultat que des fossiles potentiellement très importants restent dans l'ombre.

    Ainsi, selon les résultats de l'étude, les oiseaux se seraient éteints brutalement (en même temps que les dinosaures) et non pas progressivement. Les quelques survivants auraient servi de base à la diversité actuelle ?

    Éric Buffetaut : Oui, c'est comme ça qu'on peut voir les choses. Il y aurait une extinction en masse chez les oiseaux à la limite K-T, frappant principalement les formes archaïques (qui étaient jusque-là les plus nombreuses). Seuls quelques oiseaux modernes auraient réussi à survivre, et se seraient diversifiés énormément par la suite, pour donner les 10.000 espècesespèces environ d'oiseaux actuels. Pourquoi les oiseaux archaïques disparaissent alors que les oiseaux plus modernes survivent, cela reste à déterminer. Différences de physiologie ? d'écologieécologie ? Comme beaucoup d'événements survenus lors de l'impact météoritique de la limite K-T, cela reste obscur.

    On parle donc de radiation évolutive. Comment fonctionne ce phénomène ?

    Éric Buffetaut : Une radiation évolutive se produit lorsqu'un groupe d'organismes a l'opportunité de se diversifier dans des milieux auxquels il n'avait pas accès auparavant. Cela peut être parce qu'il colonise un nouvel environnement (par exemple en s'adaptant à la vie dans les océans), ou parce que, à la suite d'une extinction en masse, un groupe précédemment très répandu et diversifié est exterminé, ouvrant de nombreuses possibilités à un autre groupe qui était « bloqué » par lui. On peut penser que la disparition des formes archaïques d'oiseaux à la limite K-T a libéré des niches que les formes modernes, jusque-là encore peu diverses, ont pu occuper.