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- Un dossier pour tout savoir de la maladie d'Alzheimer
Que d'impuissance face à la maladie d'Alzheimer ! Aujourd'hui, cette démence ne peut être guérie mais seulement ralentie par certains médicaments qui freinent autant que possible la dégénérescence des neurones. Des traitements essaient de s'attaquer à différents aspects de la pathologie, mais le déclin cognitif reste inéluctable.
D'autres pistes sont exploitées par les scientifiques, notamment celle qui consiste à réparer directement dans le cerveau les dégâts causés. Une moléculemolécule naturelle, appelée brain-derived neurotrophic factor (BDNF), est un facteur de croissance connu pour sa capacité à régénérer les synapses, ces connexions entre neurones. Il faisait figure jusqu'ici de mètre étalon. Mais il risque de perdre son titre depuis qu'une autre molécule nommée Dihexa, dérivée de l'angiotensineangiotensine IV, a prouvé qu'elle était sept fois plus puissante, et qu'elle pourrait être exploitée pour traiter la maladie d’Alzheimer.
De l’angiotensine au Dihexa
C'est du moins l'idée d'une équipe de chercheurs de la Washington State University, dirigée par le chimiste Joe Harding et le neurobiologiste Jay WrightWright. Ces deux hommes collaborent depuis une vingtaine d'années et travaillent sur une famille de molécules appelées angiotensines. On limitait leur action à la régulation de la pression sanguine. Mais les deux scientifiques ont montré que l'une d'entre elles, l'angiotensine IV, jouait aussi un rôle au niveau de l'hippocampehippocampe, structure du cerveaucerveau impliquée dans la mémoire à long terme et l'apprentissage spatial. Mieux encore : elle a le pouvoir d'annihiler certains déficits d'apprentissage et de mémorisation constatés dans des démences.
Les synapses sont ces connexions qui permettent l'échange d'informations entre neurones et contribuent à la mémorisation. Il est donc important de les préserver ou de les restaurer dans le cas de maladies neurodégénératives comme Alzheimer. © Emily Evans, Wellcome images, Flickr, cc by nc nd 2.0
Malheureusement, cette molécule a deux très gros défauts : elle est très vite métabolisée et dégradée d'une part, et elle ne franchit pas la barrière hématoencéphalique, structure protectrice du cerveau. Autrement dit, si on la fait avaler à quelqu'un ou si on l'injecte par voie sanguine, elle n'a aucune chance d'atteindre l'encéphaleencéphale et de le réparer. Le seul moyen de l'utiliser tel quel en guise de traitement serait de l'introduire directement dans le crânecrâne, ce qui est loin d'être l'idéal.
Mais cet obstacle n'a pas empêché Harding et Wright d'insister dans cette voie. Le premier a refaçonné l'angiotensine IV il y a 5 ans, en la raccourcissant et en changeant quelques-unes de ses propriétés physicochimiques. Ainsi naissait le Dihexa. Ce nouveau composé s'avère bien plus stable dans l'organisme, et franchit la barrière hématoencéphalique. Restait à connaître son efficacité pour stopper les démences.
Des rats déments retrouvent la mémoire
C'était le but de leur expérience publiée dans le Journal of Pharmacology and Experimental Therapeutics (JPET). Leurs cobayes étaient des rats traités avec de la scopolamine, un alcaloïdealcaloïde qui interfère avec l'acétylcholineacétylcholine, l'un des principaux neurotransmetteursneurotransmetteurs impliqués dans l'apprentissage et la mémorisation. D'ordinaire, ces animaux déments échouent toujours au test de la piscine de Morris. Le principe en est le suivant : dans une eau trouble se cache une plateforme située quelques centimètres sous la surface, invisible aux yeuxyeux des rats. Ceux-ci nagent jusqu'à la trouver et s'y réfugier. La première fois, l'animal tâtonne. Puis en théorie, il prend des repères et finit par s'y diriger directement lors des essais ultérieurs. Mais les rongeursrongeurs traités perdent la mémoire et ne retrouvent donc jamais la plateforme.
Après administration du Dihexa, par voie orale, sanguine ou injection dans le cerveau, tous les animaux ont enfin réussi le test. Ils avaient retrouvé leur capacité d'apprentissage et de mémorisation.
Les rats de la souche Sprawgue-Dawley ont été utilisés dans cette expérience. Rendus déments, ils ont retrouvé toutes leurs capacités de mémorisation et d'apprentissage une fois traités avec le Dihexa. © Jean-Etienne Minh-Duy Poirier, Wikipédia, cc by sa 2.0
Une deuxième expérience a été menée chez des vieux rats cette fois. En temps normal, leurs performances à certaines tâches cognitives sont inférieures à celles d'individus plus jeunes. Mais cet écart est annulé en cas de traitement par le médicament.
Bientôt un médicament pour réparer le cerveau contre Alzheimer ?
Alors verra-t-on bientôt le Dihexa débarquer dans les pharmacies ? Non, pour plusieurs raisons. D'abord, l'étude a été menée sur trop peu de rats. Bien que les résultats obtenus aient été statistiquement significatifs, ils ne peuvent être généralisés.
Si cela se vérifie par un nouveau travail, il faudra s'assurer de l'innocuité de ce produit chez l'Homme, ce qui n'est pas encore gagné. En effet, la molécule dérive d'une angiotensine, régulatrice de la tension artérielletension artérielle. On peut donc craindre que des effets secondaires indésirables n'apparaissent dans le système circulatoire.
Enfin, uniquement si ces deux premiers critères ont été établis, on pourra tester l'efficacité du médicament. Si elle est avérée, après de nombreuses années d'études, alors le Dihexa sera mis en vente et prescrit contre la maladie d'Alzheimer. S'il n'existe pas mieux d'ici là...