au sommaire
Dans le nord-ouest du Canada, au Yukon, par plus de 60° de latitude et dans une région montagneuse, une équipe de la Harvard University conduite par Francis A. MacDonald a découvert des traces géologiques évidentes d'un milieu glaciaire (striations, sédiments déformés, etc.). Rien d'étonnant à première vue. Pourtant, ces roches sont très anciennes, la datation révélant un âge de 716,5 millions d'années. La tectonique des plaques ayant largement remodelé et déplacé les continents durant cette longue période, ce territoire devait se trouver ailleurs.
D'après l'équipe, cette région se situait alors au niveau de la mer et à 10° de latitude seulement, donc sous les tropiques.... C'est ce que révèlent, expliquent-ils dans un article à paraître dans la revue Science, à la fois la composition et les témoins du champ magnétiquechamp magnétique de ces roches. Tout près de l'équateur, les terresterres étaient donc à cette époque recouvertes de glaces...
La découverte n'est pas si surprenante. Les données de la paléontoclimatologie indiquent bien que la Terre vivait alors une époque glaciaire, durant le Sturtien, une période s'étendant de 850 à 650 millions d'années avant le présent et débutant une ère justement appelée le CryogénienCryogénien. Tout le monde s'accorde pour affirmer que la couverture glaciaire descendait à des latitudes très basses. Mais jusqu'où exactement ? En 1992, le géobiologiste américain Joseph L. Kirschvink a émis l'idée que la Terre, avant le ProtérozoïqueProtérozoïque (anciennement ère primaire), avait été plusieurs fois intégralement recouverte de glace. Plusieurs épisodes auraient eu lieu justement entre -730 et -590 millions d'années. L'hypothèse est devenue célèbre sous le nom de Terre boule de neige.
En haut de ce sommet d'une montagne du Yukon, des dépôt glaciaires, de couleur marron, surmontent un socle de carbonates (en gris), formé en région tropicale il y a 716,5 millions d'années. © Francis A. Macdonald/Harvard University
Combien d'eau libre restait-il ?
Mais on sait que vivaient déjà dans les océans des organismes complexes, des eucaryoteseucaryotes (à cellules avec noyaux, contrairement aux bactériesbactéries), qui ont su résister à cette glaciation. Les premiers animaux apparaissent à peu près durant ou après cette période. Sous une couverture complète de banquisebanquise, avec un faible apport de lumièrelumière et d'oxygène, les conditions de vie auraient sûrement été difficiles. Beaucoup pensent donc que l'océan était largement dégagé autour de l'équateur.
Cette bande d'eau libre devait être bien étroite si l'on accepte les résultats de cette nouvelle étude. Une latitude 10° correspond à celle de la Guinée actuelle. Or les modèles climatiquesmodèles climatiques, soulignent les auteurs, prédisent que, du fait de l'albédoalbédo de la neige, une couverture glaciaire s'étendant jusqu'à 30° de latitude conduirait à un refroidissement tel que l'océan finirait de se couvrir de glace jusqu'à l'équateur. « Nos résultats suggèrent fortement que la banquise pouvait se trouver à toutes les latitudes durant la glaciationglaciation sturtienne », conclut Francis MacDonald.
Les organismes de l'époque n'ont donc pas dû vivre dans des conditions faciles. Sans doute, reconnaissent les chercheurs, devait-il exister tout de même de larges domaines d'eau libre propices à la vie animale et végétale. D'ailleurs, souligne Francis MacDonald, la question soulevée par ce travail est plutôt celle-ci : si la Terre boule de neige a vraiment existé, alors cet événement a-t-il risqué de faire disparaître la vie ou, au contraire, a-t-il favorisé l'émergenceémergence et l'évolution des animaux ?
D'après l'étude, cette glaciation du Sturtien a duré au moins cinq millions d'années. Toujours selon les auteurs, elle s'est peut-être terminée brutalement. En Alaska (donc à faible distance) se trouvent en effet des indices géologiques montrant qu'à une période proche de cette glaciation a eu lieu une intense activité volcanique. Cette hypothèse n'est pas nouvelle mais une autre fait intervenir un dégagement de méthane (puissant gaz à effet de serregaz à effet de serre). Dans les deux cas, l'effet peut être rapide. Quand un surplus de chaleurchaleur fait fondre les glaciersglaciers et la banquise, l'albédo chute drastiquement, conduisant à un réchauffement du sol et de l'atmosphèreatmosphère, accélérant lui-même la fontefonte de la glace.