au sommaire
La mousson africaine permet chaque année à des millions de personnes de produire en 3 mois environ une partie de la nourriture nécessaire de toute l'année. Cet événement climatique majeur est donc toujours attendu avec beaucoup d'impatience au début de chaque été, vers la fin du mois de juin. Cependant, plusieurs paramètres associés à la survenue des pluies semblent avoir changé depuis les années 1970, causant de nombreuses inquiétudes. Les précipitations ont perdu en intensité. Par ailleurs, plusieurs déclenchements tardifs ou arrêts prématurés ont déjà été répertoriés, ce qui n'est pas sans conséquence sur l'agriculture des pays.
Ces pluies s'abattent principalement sur les pays de la bande sahélienne en Afrique de l'Ouest. Elles sont provoquées par des différences majeures de réchauffement entre le Sahara et la côte atlantique équatoriale dans le golfe de Guinée, engendrant un fort apport d'humidité depuis l'océan. Face à l'importance que revêt la mousson pour les populations locales, plusieurs laboratoires français et internationaux tentent depuis quelques années de décrypter les mécanismes météorologiques impliqués, notamment dans le cadre du programme international Amma (Analyse multidisciplinaire de la mousson africaine). En effet, plusieurs questions n'ont à ce jour toujours pas trouvé de réponse. Pourquoi, par exemple, le déclenchement de la mousson varie-t-il d'une année à l'autre ? Quels sont les processus mis en jeu dans le déclenchement, l'organisation, la propagation et l'intensité des systèmes orageux ?
Depuis plus de 2 ans, les chercheurs du laboratoire HydroSciences Montpellier (HSM, Montpellier) et du laboratoire des Sciences du climat et l'environnement (LSCE, Gif-sur-Yvette) ont testé et validé une nouvelle technique permettant de mieux déchiffrer la mousson par la réalisation de mesures isotopiques inédites sur la vapeur d’eau présente dans l'atmosphère. Grâce à son installation à Niamey (Niger) sur le campus de l'université Abdou Moumouni, à l'Institut des Radio-isotopesisotopes (Iri), la provenance, l'historique et les interactions survenant entre les diverses masses d'air passant au-dessus de Niamey peuvent être décortiqués avec une approche présentant une sensibilité accrue en regard de l'étude complémentaire, mais plus classique, des variables météorologiques. Dans un entretien accordé à Futura-Sciences, Françoise VimeuxFrançoise Vimeux, chargée de recherche à l'IRD et travaillant au HSM et au LSCE, revient sur cette technique, mais aussi sur le bilan dressé et présenté, dans la revue Geophysical Research Letter (GRL), après 1 an d'utilisation.
Nuage de poussière précédant la pluie sur la route de Wankama (Niger). L'agriculture représente la première ressource alimentaire dans la région du Sahel. Elle est pratiquée par les deux tiers de la population active, et rendue possible par la mousson. © Luc Descroix, IRD
Un laser pour étudier l’ADN de la vapeur
« Nos objectifs tournaient autour de la mousson, mais pas uniquement sur son déclenchement. Nous souhaitions comprendre les rouages des systèmes convectifs : comment ces nuagesnuages d'orages peuvent-ils prendre vie, se maintenir et se propager sur des centaines de kilomètres d'est en ouest en Afrique ? Nous voulions également avoir des informations sur ce qui se passait en saisonsaison sèche. Quelles étaient par exemple la disponibilité en eau de l'atmosphère et la circulation atmosphériquecirculation atmosphérique entre deux périodes de mousson ? », nous confie Françoise Vimeux. Afin de parvenir à leurs fins, les chercheurs ont donc mis en place des mesures de la composition isotopique de la vapeur d'eau contenue dans l'atmosphère et qui se faisaient auparavant sur l'eau issue des précipitationsprécipitations. L'avantage est évident, il n'est donc plus nécessaire d'attendre la pluie pour récolter des données ; l'information est continue ! Cette nouvelle approche permet ainsi de détecter des processus ne conduisant pas automatiquement à la formation des orages et qui pourtant pourraient jouer des rôles importants sur la mousson.
« Il existe différentes formes isotopiques de la moléculemolécule d'eau : H216O, H218O et HDO NDLRNDLR : le D est l'atomeatome de deutérium, un hydrogènehydrogène pourvu d'un protonproton et d'un neutronneutron]. Elles ont des comportements différents parce qu'elles n'ont pas la même masse ni la même symétrie, en particulier à chaque changement de phase. Par exemple, lorsque la vapeur d'eau condense [NDLR : processus impliqué dans la formation de la pluie], les molécules dites "lourdes" (HDO ou H218O) se concentrent préférentiellement dans la pluie. » Le nouvel outil repose sur le principe de la spectrométriespectrométrie laserlaser (Wavelength Scanned-Cavity Ring Down Spectroscopy, WS-CRDS). Un faisceau laser permet d'obtenir le spectre d'absorptionspectre d'absorption de la vapeur et de fournir en temps réel la proportion des différentes formes de la molécule d'eau dans la vapeur.
Les résultats sont propres à chaque masse d'air. On peut ainsi les identifier, comprendre leur parcours et définir leurs interactions. Françoise Vimeux nous précise d'ailleurs : « Les masses d'air ont une histoire qui est imprimée dans la composition isotopique. Celles venant de l'est ont subi de nombreuses précipitations, il y a eu énormément de changements de phase, et cela s'est imprimé dans leurs compositions isotopiques différemment par rapport à ce qui se passe pour une masse d'air arrivant du sud-ouest [NDLR : et donc de l'océan] sans avoir précipité ou qui aurait subi des précipitations moins intenses ou dans des conditions météorologiques différentes », avant d'ajouter à propos de l'efficacité du spectromètrespectromètre : « nous pouvons aussi très bien étudier tous les processus d'évaporation des gouttes d’eau qui jouent un rôle majeur dans la propagation des systèmes orageux ».
Ide Souley, technicien à l'Institut des Radio-isotopes, devant l'instrument laser de marque Picarro, dans son laboratoire. © Guillaume Tremoy, LSCE/IPSL
De fortes interactions avec les climats du nord
Pour la première fois, cette nouvelle approche a permis une quantificationquantification de l'importance de l'évaporation des gouttes d'eau tombant en queue d'orageorage. Un résultat capital car ce processus engendre un refroidissement de l'atmosphère et donc l'apparition de poches froides au sol qui causent, à leur tour, la présence de courants ascendants à l'avant de l'orage. Or, ces derniers participent à la propagation des grains. Grâce à la meilleure compréhension de ce phénomène, il sera possible d'améliorer les diverses modélisationsmodélisations de ce phénomène, source d'incertitude dans les modèles de climat.
Les résultats obtenus en dehors de la saison de la mousson sont tout aussi riches d'informations, comme nous le précise Françoise Vimeux. « Nous avons montré qu'il y a une interaction très forte entre le climat du Sahel et le climat des plus hautes latitudes, par exemple en Afrique du Nord. Il y a dans cette région des subsidencessubsidences, des descentes d'air de la haute altitude, très importantes en saison sèche. Le ventvent étant nord-sud, ces masses d'air, marquées de manière très exotiqueexotique en composition isotopique, sont amenées vers le golfe de Guinée. Nous les avons principalement détectées en janvier et février, mais elles semblent également arriver en mars et en avril. C'est intéressant car tous les changements climatiqueschangements climatiques survenant dans les régions méditerranéennes pourraient avoir un impact dans les régions du Sahel. Ces intrusions de masse d'air apportent en effet de l'humidité, de manière plus ou moins conséquente. Leur accentuation ou leur disparition pourrait peut-être jouer un rôle sur le calendrier du déclenchement de la mousson puisque celui-ci se prépare dès le printemps et requiert de la vapeur d'eau dans l'atmosphère pour débuter. Nous lançons donc l'idée que le climat de la région bordant le golfe de Guinée peut être sensible à ce qui se passe sous d'autres latitudeslatitudes. »
Toutes ces données vont maintenant être utilisées pour améliorer les modèles simulant l'évolution des précipitations sur la région du Sahel vers la fin du XXIe siècle. En effet, plus des deux tiers des prévisions réalisées à ce jour ne parviennent pas à être « en phase ». Or, sans projections climatiques fiables, il est quasiment impossible d'anticiper les efforts à entreprendre dans les pays concernés pour adapter l'agriculture aux éventuels changements climatiques qui pourraient survenir dans le futur.