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Depuis le dôme du GISP2 (Greenland Ice Sheet Project 2), de 32,5 mètres de diamètre, une équipe de l'université Penn State a creusé la glace groenlandaise jusqu'à 3,2 kilomètres. A cette profondeur, les conditions sont tout sauf hospitalières. La température descend à -9°C, l'oxygène disponible est rare (moins de 3%)... et cette glace n'a pas vu le jour depuis 120.000 ans.
Pourtant, les bactériesbactéries qu'a trouvées Jennifer Loveland-Curtze, du laboratoire Jean Brenchley, et son équipe étaient vivantes ! On avait déjà trouvé une trace d'activité bactérienne dans des sédiments gelés datés de 500.000 ans. Mais les bactéries étaient en mauvais état alors que celles mises au jour ici semblent intactes, vivant dans les interstices de la glace.
Le dôme du Gisp2, au Groenland, surmonté de la tourelle de 37 mètres, guidant le système de forage, qui a creusé la glace jusqu'à 3.053 mètres. © Mark Twickler, U. New Hampshire/NOAA/Paleoclimatology Program/Dpt of Commerce
Les biologistes ont découvert ce qu'ils étaient venus chercher. Le but de leur étude était en effet de repérer des bactéries dans les profondeurs du glacierglacier, d'en estimer la viabilité ainsi que la diversité d'espècesespèces et de doser certains gaz, comme le méthane et le protoxyde d'azote (N2O), connus pour être produits par des bactéries.
La flore récupérée par les chercheurs contient au moins une dizaines d'espèces, qui présentent une caractéristique commune : les micro-organismesmicro-organismes sont minuscules. En 2005 déjà, deux biologistes qui ont participé à ce travail, Vanya I. Miteva (également spécialiste d'astrobiologieastrobiologie à la Nasa) et Jean E. Brenchley (une spécialiste de microbiologie) avaient observé que, pour la plupart, leur taille est inférieure au micron, alors que les bactéries mesurent en général entre 1 et 10 microns. Beaucoup, même, traversent les filtres dont les pores n'atteignent que 0,2 micron.
Un petit peuple inconnu et fascinant
Cette petite taille, expliquent les chercheurs, doit être un avantage dans ce genre de milieu pauvre en nutrimentsnutriments. En effet, elle confère une grande surface pour un petit volumevolume, ce qui conduit à des échanges plus efficaces avec l'extérieur. Cette miniaturisation peut aussi les protéger des prédateurs et leur ouvrir des habitats microscopiques vierges d'autres organismes. D'après les découvreurs de cette flore, ces organismes ont d'abord colonisé le milieu en surface avant de se faire recouvrir par l'épaississement du glacier.
Devant les biologistes de l'American Society for Microbiology General Meeting, l'équipe vient de présenter les derniers résultats qui ont notamment permis, après des analyses génétiquesgénétiques, de caractériser une espèce inconnue, baptisée Chryseobacterium greenlandensis. Elle semble apparentée à des bactéries trouvées chez les poissonspoissons, dans les sédimentssédiments marins et dans les racines des plantes.
La minuscule bactérie Chryseobacterium greenlandensis vue au microscope électronique à balayage. Le repère en bas à droite mesure 0,5 micron. Ces micro-organismes mesurent environ 1 micron de longueur pour un demi micron de diamètre. Les bactéries se présentant ici sous la forme de cacahuètes sont en train de se diviser. © Jennifer Loveland-Curtze/Penn State
Ces organismes originaux passionnent les microbiologistes à plus d'un titre. Dans le domaine médical, ces nano-bactéries, comme on les appelle parfois, présentent une capacité gênante de passe-muraille. Leur petite taille leur permet en effet de traverser les membranes utilisées, justement, pour retenir les bactéries. On peut en retrouver, si on sait les chercher, dans l'eau censément purifiée par des filtres. Sur le plan scientifique, il est intéressant de comprendre comment ces organismes vivent dans des milieux si hostiles.
De manière plus fondamentale encore, ces être minuscules sont des représentants très mal connus des procaryotesprocaryotes (ou bactéries), qui sont pourtant extrêmement nombreux sur Terre. « Les microbes représentent le tiers de la biomassebiomasse terrestre, rappelle Jennifer Loveland-Curtze dans le communiqué de l'université Penn State. Pourtant moins de 8.000 espèces ont été décrites sur les quelque trois millions dont nous supposons l'existence. »
Les biologistes s'attaquent donc ainsi à un pan entier de la vie terrestre dont nous ne savons presque rien et beaucoup soulignent que ces organismes vivent très bien dans un milieu qui est très similaire au sous-sol martien.