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L'astrophysicien et cosmologiste Jean-Pierre Luminet. Crédit : luth.obspm
Comme nous l'a expliqué dernièrement Laurence Perotto, le rayonnement fossile est une mine d'informations pour le cosmologiste. Il permet d'en savoir plus sur la composition, la forme et l'âge de l'Univers observable. Déjà en octobre 2003, Jean-Pierre LuminetJean-Pierre Luminet et ses collègues Jeffrey R. Weeks, Alain Riazuelo, Roland LehoucqRoland Lehoucq, Jean-Philippe Uzan avaient publié un article retentissant dans Nature dans lequel ils indiquaient que les observations du satellite WMap (Wilkinson Microwave Anisotropy Probe) étaient favorables à l'idée que notre Univers était décrit par un modèle cosmologique topologiquement compliqué.
Le modèle cosmologique dodécaédrique de Poincaré (Poincaré Dodecahedral Space, PDS) est en effet multiplement connexeconnexe, ce qui l'apparente à un multi-tore. Mais il est surtout de taille finie et avec une courbure légèrement positive, ce qui veut dire que le paramètre Oméga relié à la densité d'un Univers homogène est plus grand que 1.
Rappelons que dans le cadre des modèles cosmologiques homogènes et isotropes de Friedmann-Lemaître-Robertson-Walker il existe trois géométries possibles de l'espace.
Lorsqu'Oméga est supérieur à 1 la géométrie ressemble à celle d'une sphère à la courbure positive mais lorsqu'Oméga est inférieur à 1 la courbure est négative. On parle alors de géométrie hyperbolique et elle ressemble à celle que l'on trouve sur une surface en forme de selle de cheval. Enfin, lorsqu'Oméga vaut 1, l'espace est plat et on est dans le cas de la géométrie euclidienne.
On aurait tort de croire cependant qu'un espace plat comme une feuille est automatiquement infini. Il suffit de rouler cette feuille en cylindre et de recoller ses extrémités pour obtenir un tore (en forme de pneupneu), de taille finie et pourtant possédant toujours une géométrie plate à sa surface.
Selon les valeurs de Oméga, la géométrie spatiale d'un Univers homogène n'est pas la même (voir ci-dessus dans le texte). Crédit : Nasa
Presque plat...
Dans l'article de 2003, Jean-Pierre Luminet et ses collègues faisaient remarquer que le spectre de la courbe de puissance du rayonnement de fond diffusdiffus concernant les fluctuations de température était anormalement faible au niveau des contributions dites quadrupolaires et octupolaires, c'est-à-dire pour les grandes échelles spatiales de fluctuations de température. Bien qu'il faille tenir compte des incertitudes des mesures, ce manque de contributions aux grandes échelles dans le rayonnement fossile s'expliquait plus naturellement par un Univers de taille finie que de taille infinie. Si les observations de WMap étaient compatibles avec un Univers plat, elles étaient aussi légèrement favorables à un Univers fini de courbure positive.
Remarquablement, le PDS prédit que des cercles de fluctuations corrélés devraient exister dans le rayonnement fossile et quelques indications en ce sens ont bien été trouvées par Boudewijn Roukema et ses collègues dans les données précédentes de WMap. En 2008, Jean-Pierre Luminet nous avait expliqué où en étaient les investigations sur sa théorie et les comparaisons faites avec les observations. On ne pouvait rien conclure de définitif dans un sens ou un autre.
Or, les papiers publiés en janvier 2010 par les membres de l'équipe WMap indiquent que l'anomalieanomalie octopolaire est bien rentrée dans le rang et peu s'en faut de celle quadrupolaire. Les chercheurs indiquent aussi que les observations permettant d'approcher la valeur de Oméga sont devenues plus précises et ce paramètre est proche de la valeur 1 aux incertitudes de mesures près. Nous avons donc demandé à Jean-Pierre Luminet ce qu'il fallait désormais penser du modèle PDS. Voici sa réponse :
« Les membres de l'équipe WMap font la plupart des estimations des paramètres cosmologiques en prenant comme hypothèse de départ un modèle cosmologique LambdaCDM avec Omega = 1 (6 paramètres libres). Il s'agit donc du modèle cosmologique plat contenant de la matière noirematière noire et de l'énergie noireénergie noire le plus simple possible. Seuls Larson et al. discutent de la possibilité de faire l'ajustement d'un modèle aux observations avec un paramètre supplémentaire concernant la courbure.
Sur ce point WMap7 améliore WMap 5 de 11%, ce qui donne comme intervalle de confiance 0,991
Cela montre que l'espace hyperbolique est peu probable et que, comme ils l'écrivent (p 15), "While this results is consistent with a flat universe, the preferred model is slightly closed". Notons que l'intervalle est parfaitement compatible avec notre modèle dodécaédrique (dont le meilleur ajustement pour la courbure est de Omega =1,13).
Pas de soucis donc pour ce qui concerne la courbure, et on verra bientôt si avec PlanckPlanck l'intervalle se réduira encore.
Pour le spectre de puissance, il semble que l'octupole soit remonté à sa valeur "normale", et que seul le quadrupole persiste à se montrer faiblard par rapport à LambdaCDM infini. Bien que ce ne soit nullement une preuve pour la topologie, cela reste aussi compatible avec PDS.
Disons donc que ce dernier "survit", ce qui n'est déjà pas mal.
A mon avis il survivra encore à Planck, non pas parce qu'il est juste (ce serait trop beau !), mais parce que seule une recherche de cercles corrélés pourrait l'exclure ou le conforter, et je ne pense pas que les données de Planck fassent mieux sur ce plan-là que celles de WMap 7. On verra bien... »