En 2001, une centaine d’astronomes amateurs et quelques professionnels ont suivi l’occultation d’une étoile particulièrement brillante, SAO 164538, par Titania, l’un des satellites d’Uranus. Résultat étonnant : ces observations ont permis de surpasser en précision la détermination du diamètre de cette lune effectuée lors de son survol par la sonde Voyager 2. Mieux encore, de nouvelles bornes sur la présence d’une éventuelle atmosphère ont aussi été obtenues.

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Une photo de Titania prise par la sonde Voyager 2. Crédit : Nasa, Voyager 2, Calvin J. Hamilton

Une photo de Titania prise par la sonde Voyager 2. Crédit : Nasa, Voyager 2, Calvin J. Hamilton

SAO 164538 est une étoile de type K0 III et de magnitude 7,2. Il s'agit donc d'une étoile géante, 15 fois plus grosse que le Soleil, et elle est située à 554 années-lumière de nous. Dans le catalogue dressé par Hipparcos, elle porte le numéro 106829.

Le 8 septembre 2001, entre 1 h 57 et 2 h 07 TU, elle a fait l'objet de l'attention de plusieurs astronomes amateurs et de quelques astronomes professionnels répartis entre l'Europe de l'ouest, les Açores, et le nord de l'Amérique du Sud. Un événement rarissime allait se produire : son occultation par un des satellites glacés d'Uranus, Titania.

Figure 1. La simulation de l'occultation d'une étoile par un petit astéroïde. La courbe de lumière et ses oscillations sont données en rouge. Crédit : Observatoire de Paris, Lesia

Figure 1. La simulation de l'occultation d'une étoile par un petit astéroïde. La courbe de lumière et ses oscillations sont données en rouge. Crédit : Observatoire de Paris, Lesia

L'occultation d'une étoile par un objet céleste est une opportunité de réaliser quelques découvertes, comme, pour une planète, l'existence d'anneaux ou d'une atmosphère (voir la figure 1). C'est ainsi qu'André Brahic et son collègue Bruno Sicardy ont repéré les anneaux de Neptune. Le même Bruno Sircady a analysé avec son collègue Thomas Widemann les observations de 2001 et ils co-signent aujourd'hui dans la célèbre revue Icarus, avec tous les participants à l'aventure planétaire de 2001, un article sur les enseignements à tirer de cette occultation.

Lorsqu'une étoile est occultée par des anneaux ou l'atmosphère d'une planète, sa courbe de lumière subit des baisses d'intensité et des oscillations trahissant la structure des anneaux et même la pression, la température pouvant régner dans l'atmosphère de la planète (voir les figures 2 et 3).

Figure 2. Crédit : Bruno Sicardy

Figure 2. Crédit : Bruno Sicardy
Figure 3. Les trois anneaux et leurs subdivisions donnent lieu à des oscillations et des chutes de l'intensité de la courbe de lumière d'une étoile lors d'une occultation. Cliquez pour agrandir.
 
Figure 3. Les trois anneaux et leurs subdivisions donnent lieu à des oscillations et des chutes de l'intensité de la courbe de lumière d'une étoile lors d'une occultation. Cliquez pour agrandir.

Au final, alors que plusieurs des observations ont été faites avec des instruments de taille modeste (de l'ordre de 20 à 25 cm de diamètre), le rayon de Titania a pu être déterminé avec une précision subkilométrique époustouflante. Les mesures indiquent en effet un rayon de 788,4 ± 0,6 km.

Pourtant, si faible soit-elle, l'imprécision finale n'est pas due aux instruments au sol ni à la méthode utilisée mais au fait que la surface de Titania est accidentée... On reste pantois devant ce résultat lorsqu'on le compare à celui fourni par le survol de cette lune par la sonde Voyager 2 en janvier 1986. La précision atteinte par les amateurs surpasse en effet celle de la sonde de la Nasa !

Mais il y a mieux. Les mesures spectroscopiques dans le proche infrarouge indiquent la présence sur Titania aussi bien de glace d'eau que de glace de CO2. Si celles-ci se sublimaient de façon saisonnière ou s'il existait un cryovolcanisme analogue à celui d'Encelade et Triton, lunes de Saturne et d'Uranus, une atmosphère très tenue, composée de ces molécules, ainsi que de méthane et d'azote, réfractant la lumière de SAO 164538, serait décelable par la méthode de l'occultation.

Figure 4. Trois mesures effectuées en 2006 depuis le sol lors de l'occultation d'une étoile par Charon, satellite de Pluton. Les lignes grises indiquent les trajets apparents de l'étoile depuis trois stations au sol et les traits rouges les occultations observées depuis ces endroits. Crédit ESO

Figure 4. Trois mesures effectuées en 2006 depuis le sol lors de l'occultation d'une étoile par Charon, satellite de Pluton. Les lignes grises indiquent les trajets apparents de l'étoile depuis trois stations au sol et les traits rouges les occultations observées depuis ces endroits. Crédit ESO

Là aussi, la précision atteinte par les astronomes est stupéfiante. Elle aurait permis de détecter une atmosphère d'une pression supérieure à une dizaine de nanobars, malgré les 2,85 milliards de kilomètres séparant Uranus de la Terre à ce moment. On peut donc désormais affirmer que si atmopshère il y a, sa pression doit inférieure à cette - faible - valeur.

Pour obtenir tous ces renseignement, plus de 70 stations de mesures étaient nécessaires, réparties en une bande sur la planète. En effet, en fonction de leur localisation géographique, les observateurs ont vu une occultation selon des cordes différentes. Ces cordes sont les droites coupant le disque de Titania à différentes hauteurs (voir la figure 4 avec l'exemple d'une occultation d'étoile par Charon, le satellite de Pluton). Bien sûr, elles se traduisent par des temps d'occultations différents.

Figure 5. Cliquer pour agrandir. Trajectoire de l'ombre de Titania sur Terre le 8 septembre 2001. Les étoiles indiquent la position géographique des stations ayant observé l'occultation stellaire sur trois continents, parmi lesquelles figurent des observations visuelles conduites par des amateurs. Crédit : Observatoire de Paris, Lesia

Figure 5. Cliquer pour agrandir. Trajectoire de l'ombre de Titania sur Terre le 8 septembre 2001. Les étoiles indiquent la position géographique des stations ayant observé l'occultation stellaire sur trois continents, parmi lesquelles figurent des observations visuelles conduites par des amateurs. Crédit : Observatoire de Paris, Lesia

Les planétologues apprécient particulièrement ces résultats. Ils prouvent que la technique des occultations pourrait être appliquée à de gros objets transneptuniens, comme 2003 EL61 (aujourd'hui connu sous le nom de Haumea), et situés à plus de 40 UA du Soleil (à comparer aux 19 UA de Titania). Il y a maintenant un bon espoir de découvrir ainsi des atmosphères saisonnières produits par la sublimation de glaces lorsque ces objets de la ceinture de Kuiper sont plus proches du Soleil. Ainsi, Haumea, bien que situé en ce moment à environ 50 UA, possède une orbite plutôt excentrique qui l'amènera un jour à 35 UA de notre étoile.