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Les détecteurs du LHC
Dans les détecteurs du LHC, les faisceaux de protons se croisent et produisent un milliard de collisions par seconde. Une partie d'entre elles ne produit pas de particules mais les autres produisent une véritable cascade de productions et de désintégrations de particules. Initialement, la vaste majorité des particules créées sont instables et elles se désintègreront en paires et triplets de particules.
À gauche : deux protons donnent lieu à la création d'un boson de Higgs, H, lequel se désintègre en deux photons gamma. C'est une des signatures que les physiciens cherchent pour découvrir le Higgs. À droite : Deux protons donnent lieu à la création d'un boson de Higgs, H, lequel se désintègre en deux bosons Z0 neutres qui a leur tour donneront des paires de muon/antimuon. C'est une des signatures que les physiciens cherchent pour découvrir le Higgs. © Cern
Certaines productions et désintégrations sont plus probables et plus ou moins rapides que d'autres selon les prédictions du modèle standard et de ses extensions, comme celle qui est la plus sérieusement considérée par les physiciensphysiciens, la supersymétrie. La majeure partie des particules produites sont bien connues et seule une infime portion peut receler de la nouvelle physique. Sur le milliard de collisions, seule une centaine en moyenne sera intéressante pour le physicien. Or, pour étudier efficacement les particules qui l'intéressent, il lui faut en produire en très grand nombre pour disposer d'une population suffisamment grande, on parle de statistique, pour en déduire des conclusions fermes quant aux propriétés et à la nature de ces particules.
En effet, dans les collisions, certains processus peuvent à tort être interprétés comme des signaux d'une nouvelle physique. C'est pourquoi les chercheurs doivent créer un si grand nombre de collisions pour tout à la fois dépasser le bruit de fond des signaux parasitesparasites et obtenir en un laps de temps suffisamment court, quelques années au maximum, un nombre assez grand de particules. Le taux de réactions à la seconde dépend de ce qu'on appelle la luminositéluminosité des faisceaux et, au LHC, est très élevé. Il s'agit de l'analogue du nombre de photonsphotons tombant par unité de surface et par seconde.
Lors des collisions de protons, c'est en réalité au niveau des partons (gluons et quarks) que seront produites de nouvelles particules. © Cern
Pour créer les particules recherchées, comme celles de la supersymétrie, il faut que les protons disposent d'assez d'énergieénergie pour être convertis en massemasse. Comme on certaines particules sont très lourdes, chaque faisceau a une énergie de 7 TeV par proton en moyenne, ce qui fait donc 14 TeV de disponibles lors des collisions. Rappelons que la masse d'un proton est d'environ 1 GeVGeV et celle du boson de Higgsboson de Higgs devrait être comprise entre 115 GeV et moins de 800 GeV environ. Il y a cependant une complication qu'il faut garder à l'esprit. Les protons sont constitués de trois quarksquarks et d'une mer de quarks et d'antiquarks apparaissant et disparaissant avec les gluonsgluons échangés entre tous ces quarks : on parle, depuis Richard FeynmanRichard Feynman, de partons pour désigner tous ces composants des protons (cf. schéma ci-dessus). Les collisions se font donc principalement au niveau des trois quarks précédents, ce qui fait que l'énergie d'un proton est répartie selon différentes proportions entre ces quarks et plus généralement, ces partons.
Les détecteurs Atlas, CMS, LHCb et Alice
La complexité des réactions qui ont lieu dans les collisions est donc telle que différents détecteurs spécifiques de la physique que l'on veut faire avec le LHC ont été construits. Il y en a quatre principaux mais ce ne sont pas les seuls.
Les quatre détecteurs principaux du LHC. © Cern
Les deux premiers qui sont presque des frères jumeaux quant à leurs types de recherches sont Atlas et CMS. Leur but principal est bien sûr la découverte du boson de Higgs mais ils sont aussi spécifiquement conçus pour détecter les particules supersymétriques.
D'après cette théorie, de même qu'un électronélectron peut exister selon deux états de spinspin dans l'universunivers, chaque particule du modèle standard pourrait exister sous deux formes de spins et de masses différents. Les leptonsleptons et les quarks sont des fermionsfermions de spins demi-entiers mais il devrait donc exister selon les théories supersymétriques des bosons de spins entiers associés aux électrons, muonsmuons, neutrinosneutrinos et quarks. Ces superpartenaires, comme on les appelle, devraient être bien plus lourds, car sinon, on les aurait déjà observés en accélérateurs. On les nomme des squarkssquarks, des sélectrons etc. Tout naturellement, les bosons comme les photons et les gluons ont eux aussi leurs superpartenaires, mais on les nomme les photinosphotinos et les gluinos.
Ce sont bien entendu des fermions. Beaucoup de physiciens pensent qu'une large partie de la matière noirematière noire pourrait être composée de ces particules supersymétriques, plus précisément d'un groupe d'entre elles stables, que l'on a appelé des neutralinosneutralinos. Les produire en accélérateur résoudrait donc définitivement la question de l'existence de la matière noire même si, grâce aux données issues de WMap et des collisions d'amas de galaxiesamas de galaxies, la présence de cette dernière est quasiment démontrée.
À gauche les quarks et les leptons du modèle standard et à droite les squarks et les sleptons, leur partenaires supersymétriques. Au boson de Higgs est bien sûr associé un fermion, le Higgsino. © Desy
Atlas et CMSCMS ont aussi le potentiel de vérifier la théorie des cordesthéorie des cordes et l'existence de dimensions spatiales supplémentaires. Si ces dernières existent, les gravitons, l'équivalent sans masse des photons pour le champ de gravitationgravitation, doivent exister sous plusieurs formes dont certaines douées de masses et capables de s'échapper dans ces dimensions spatiales supplémentaires. Leur présence se signalerait alors dans les réactions par des déficits en énergie et en impulsion. Le plus fascinant est que dans le cadre de ses théories, des mini trous noirstrous noirs pourraient être créés et observés en train de s'évaporer, dans Atlas par exemple.
En complément des recherches de signes de la supersymétrie avec Atlas et CMS, l'énigme de l'antimatièreantimatière cosmologique manquante sera aussi étudiée avec le détecteur LHCb. Dans la physique des quarks b qui y seront produits, se cachent les clés pour comprendre la violation CPviolation CP, un ingrédient fondamental selon les trois conditions de Sakharov, pour expliquer pourquoi il existait plus de matière que d'antimatière lors du Big BangBig Bang et qu'un résidu de matière a pu survivre aux annihilations de paires de particule-antiparticuleantiparticule. Très probablement, là aussi, la supersymétrie a son mot à dire.
Enfin, vient Alice, dans lequel ce sont les ionsions de plombplomb qui entreront en collision et qui est spécifiquement conçue pour étudier la formation d'un plasma quark-gluon. Remarquablement, ce pourrait être là aussi un moyen de tester la théorie des supercordesthéorie des supercordes car cette dernière commence à faire des prédictions assez précises à ce sujet grâce à une possible formulation non-perturbatrice de cette dernière : la correspondance AdS/Cft.
La stratégie pour découvrir les particules est toujours la même. Il faut mesurer leur quantité de mouvementquantité de mouvement P et leur énergie E. A partir de là, en utilisant les lois de la relativité restreinterelativité restreinte, on peut déterminer leur masse. En fonction des différentes théories, des moyennes sur les types et les nombres de particules finales issues des particules instables produites et se désintégrant sont prédites. En utilisant par exemple des champs magnétiqueschamps magnétiques, les particules chargées voient leurs trajectoires déviées et l'on peut ainsi remonter à leur quantité de mouvement. Maintenant en fonction de leur nature et selon les matériaux rencontrés, les particules vont perdre leur énergie selon un taux déterminé.
Le taux de perte d'énergie par distance parcourue dans un calorimètre des particules en fonction de leur quantité de mouvement P (momentum). De gauche à droite, pour les muons, les mésons pi, les mésons K et les protons et horizontalement, les électrons. Ces courbes sont l'une des clés utilisées pour identifier les particules dans les détecteurs. © Cern
C'est pourquoi les détecteurs sont constitués en général d'une série d'enveloppes, la première, la plus proche du lieu des réactions est le trajectographe (Tracking Chamber), qui nous permet d'accéder entre autre à la quantité de mouvement, et vient ensuite ce qu'on appelle les calorimètres (Calorimeter) électronique et hadronique dans lesquels, selon la nature des particules et de leurs interactions, l'énergie des particules se dépose et peut être mesurée.
Les différentes couches concentriques de l'intérieur vers l'extérieur en partant de la gauche dans un détecteur standard au LHC. © Michel Lefebvre
Comme on le voit sur le schéma ci-dessus, les photons et les électrons-positronspositrons déposent rapidement leur énergie dans le calorimètre électromagnétique mais les protons et les mésonsmésons pipi chargés traversent ce dernier pour être stoppés par le calorimètre hadronique. Leur trajectoire dans le détecteur est bien visible mais dans le cas d'un neutronneutron neutre, il faudra attendre qu'il pénètre dans le calorimètre hadronique pour qu'il y devienne visible en créant plusieurs autres hadronshadrons.
Le schéma précédent n'est que la simplification de la coupe d'un détecteur comme Atlas ou CMS qui est illustré par le schéma ci-dessous.
Une coupe de l'un des détecteurs équipant le LHC (CMS). © Cern