au sommaire
Yersin et la peste
1 - Informations générales de l'OMS
La pestepeste est une zoonosezoonose affectant les petits animaux et leurs puces. Le bacillebacille, Yersinia pestis, peut infecter l'homme. Il se transmet de l'animal à l'homme par l'intermédiaire des piqûres de puces infectées, par contact direct, par inhalationinhalation et par ingestioningestion. La peste est très grave avec un taux de létalité de 30 à 60 % sans traitement.
Croix que l'on apposait sur les maisons des pestiférés
L'incubation de 3 à 7 jours est suivie d'un syndromesyndrome grippal : apparition brutale de la fièvrefièvre, des frissons, des céphaléescéphalées, des douleursdouleurs dans tout le corps, faiblesse généralisée, nausées. La maladie peut se manifester sous trois formes en fonction de la voie d'infection : peste buboniquepeste bubonique, septicémique ou pulmonaire.
Procession de Grégoire, XIVè, Belles Heures du Duc de Berry 1410
- La peste bubonique est la forme courante et résulte de la piqûre d'une puce infectée. Le bacille pénètre dans l'organisme et gagne le ganglionganglion le plus proche par le système lymphatiquesystème lymphatique. Yersinia pestis y déclenche une inflammationinflammation due à sa multiplication rapide. On appelle "bubonbubon" le ganglion tuméfié. Celui-ci est très douloureux et peut se mettre à suppurer à un stade plus avancé.
- La peste septicémiquepeste septicémique survient lorsque l'infection se propage directement dans la circulation sanguine, sans bubon. Mais fréquemment, à un stade avancé de la peste bubonique, le bacille se retrouve dans le sang.
- La peste pulmonairepeste pulmonaire est la forme la plus virulente mais la moins fréquente. Elle survient à la suite de la propagation secondaire d'une forme bubonique avancée. La peste pulmonaire primaire est causée par l'inhalation d'un aérosolaérosol de gouttelettes infectieuses et se transmet d'une personne à l'autre directement. Le taux de létalité est très élevé.
- La peste est endémiqueendémique dans de nombreux pays : Afrique, ex-URSS, Amérique et Asie. En 2003, il y a eu 2 118 cas, dont 182 mortels, dans 9 pays
Fosse commune, peste XIVè, Belles Heures du Duc de Berry 1410.
2 - Découverte du bacille de la peste par Alexandre Yersin 1863-1943
Médecin et bactériologiste français d'origine suisse, découvreur du bacille de la peste : Yersinia pestis ou bacille de Yersinbacille de Yersin qui a laissé une trace indélébile dans l'imaginaire populaire. Cette maladie connue depuis trois mille ans a sévi par épidémiesépidémies en Chine dès 224 av. JC puis au Moyen Age en 1346 à Calfa (Ukraine) puis à Constantinople, en Italie et à Marseille etc. Une épidémie de grande ampleur réapparaît à Marseille en 1720 et 1722 se propageant à Aix, Arles et Toulon.
Yersin
Alexandre Yersin est né le 22 septembre 1863 à Lavaux (Suisse). Son père, intendant des poudres meurt tôt et sa mère s'installe à Morges où elle élève ses trois enfants. Médecin, il rencontre Roux qui le fait entrer dans le laboratoire Pasteur. Il soutient sa thèse de doctorat en 1888 et suit le cours de bactériologie de Koch (voir chapitre suivant) à Berlin. En 1889, il est engagé à l'Institut Pasteur et prend part aux travaux de Roux sur la diphtériediphtérie. Cette même année il obtient sa naturalisation française.
En 1890, Alexandre Yersin embarque pour le Vietnam et devient médecin des MessageriesMessageries maritimes sur la ligne Saigon-Manille puis la ligne Saigon-Haiphong.
Paillotte de Yersin au Vietnam 1894
Le 20 juin 1894, découverte du bacille de la peste. A la demande du Gouvernement français et de l'Institut Pasteur, Yersin se rend à Hong-Kong, pour y étudier l'épidémie de peste qui fait ragerage depuis 1894. Il isole le bacille de la peste (Yersinia pestis) et démontre l'identité entre la maladie humaine et celle du rat dont il souligne le rôle comme vecteur. Au mois de juillet, Duclaux communique à l'Académie des sciences la note de Yersin sur la peste bubonique de Hong-Kong. De retour en France, il poursuit ses travaux sur le bacille de la peste et prépare un sérumsérum antipesteux. Puis il obtient une nouvelle mission à Nha Trang, où il installe l'Institut Pasteur de Nha Trang en 1905 et crée les Instituts Pasteur de HanoÏ, Saïgon et Dalat.
De 1902 à 1904 Yersin crée et dirige l'Ecole de médecine de Hanoi puis il est nommé en Indochine en 1904. En 1934, à la suite du décès de Calmette et Roux, il est nommé directeur honoraire de l'Institut Pasteur de Paris dont il vient chaque année présider l'assemblée générale. Yersin décède le 28 février 1943, dans sa maison de Nha Trang, pendant l'occupation japonaise.
3 - Une petite histoire de cette maladie
A - Athènes, 429 av J.C.
Périclès accède à la plus haute magistrature d'Athènes en 443. Ce poste n'est pas unique puisqu'il y a dix stratèges, mais Périclès sera constamment réélu pendant quinze ans, longévité exceptionnelle. Personnalité originale, préférant la compagnie des intellectuels à celle des politiques, Périclès va accompagner l'apogée d'Athènes jusqu'à l'épidémie de peste qui le terrassera en 429. La guerre du Péloponnèse confine les Athéniens à l'intérieur des mursmurs et cette promiscuité a favorisé le développement de la maladie. La peste emportera certainement un tiers de la population. Une autre épidémie suivit au V et VIème après J.C. puis plus ou moins régulièrement, mais la prochaine grande série sera pour le Moyen Age.
Carte de la peste du VIème siècle après J.C
B - Caffa, 1346.
Caffa était un nœud important pour les Génois, qui avaient, avec les Vénitiens, dominé le commerce entre l'Orient et les pays méditerranéens. Et les rats pouvaient monter à bord des navires. De Caffa, des caravanes partaient pour la Chine. L'empire mongol de Gengis Khan (1162-1277) s'étendait de la Chine au centre de la Russie. Les communications basées sur des courriers à cheval. Les armées parcouraient des distances considérables et des caravanes reliaient la Chine et le Proche-Orient. Ces voies traversaient les prairies où vivaient des rongeursrongeurs porteurs de la peste. La transmission du mal entre des rats et humains n'était qu'une question de temps. Les documents parlent d'épidémie emportant 90 % de la population. Un tel phénomène était inconnu, même en Chine. On pense que, sur les 123 millions d'habitants de la Chine en 1290, seuls 65 millions survécurent à la peste au début du XIVème. L'épidémie éclata en Crimée dans une armée tatare venue de l'est mettre le siège à Caffa. Les chrétiens virent d'abord leur salut dans ce mal qui ravageait les ennemis. Mais le général ennemi,à l'aide de ses catapultes, envoya des cadavres de soldats morts de la peste par-dessus les murs de la ville.
Carte de la peste du XIVè siècle
C - Venise, 1348.
Arrivée de la peste noire en Vénétie et 1630, dernière épidémie de ce type sur Venise. A lire sur notre site : Venise, la peste au temps des doges
Vêtement de protection peste XVIème, Dottore peste, Venise
D - Marseille, 1720
Le 25 mai 1720, le Grand-Saint-Antoine est arrivé dans le port, chargé de balles de coton de Smyrne et de Tripoli. Pour la dernière fois, la peste va frapper massivement l'Europe. A bord, des marins sont morts, les marchandises sont infestées de puces... mais les armateurs marseillais la considèrent comme un risque calculé. Depuis 65 ans, Marseille était épargné grâce à un système rigoureux de quarantaine.
Mais, la vigilance se relâche : les intendants de la Santé sont achetés par les milieux marchands...la corruption. En juillet, les premiers cas apparaissent dans les quartiers populaires. Les autorités craignent un arrêt du trafic portuaire et parlent de cas isolés. Ils adressent une circulaire aux autres ports d'Europe pour affirmer que Marseille n'est pas pestiférée malgré les 100 personnes qui meurent chaque jour.
Il s'agit de la peste bubonique. La maladie se propage par les puces, dans une ville réputée sale. Il ne faut que quelques heures à trois jours pour que le malade meurt. Les plus riches s'enfuient et vont s'installer dans leur résidence à la campagne. Les chanoines de Saint Victor se barricadent dans leur monastère et sont épargnés par la peste. Marseille est isolée et toute activité cesse et cette inactivité plonge dans la misère ceux qui restent. En août, il meurt plus de 500 personnes par jour, on ne ramasse plus les cadavres. Ce n'est qu'en octobre que la maladie commence à céder du terrain mais 40 000 personnes sont mortes.
Le fléau est sorti de la ville, atteint Toulon puis Aix en 1721, puis toute la Provence. Les autorités isolent cette province. La peste disparaît en Europe après 1721. Mais, d'autres maladies sévissent toujours : variolevariole, typhus, diphtérie, dysenteriedysenterie, paludismepaludisme, tuberculosetuberculose, fièvres malignes...
Lire, entre autres et pour rester dans l'ambiance, le bouquin de J.Raymond : l'or et la soie paru aux éditions Babel/Actes Sud en 1983
E - Mandchourie, 1910
Le rôle des marmottes et des puces dans les centres naturels de pestes a été étudié en détail en URSS (Bibikov et al. 1973) en relation avec les épidémies touchant l'homme dont la dernière, en 1910-1911, coûta la vie à environ 60.000 personnes. La chasse pour la fourrure, l'utilisation et le commerce de cette fourrure de marmottes en sont en partie la cause.
L'abondance des puces dans la fourrure des marmottes atteint un pic au début de l'été et en automneautomne mais est plus faible en été. Dans les terriers, leur abondance est maximum en hiverhiver et diminue en été. Les puces sont dispersées par les marmottes. Les épizootiesépizooties de peste ou de tularémie, entraînent une décroissance du nombre de marmottes mais pas leur disparition. Les pertes en marmottes sont comparativement faibles, au plus 5% , d'autres facteurs ont une influence plus décisive sur la survie des marmottes, tels les déficits alimentairesdéficits alimentaires, les migrations, une faible accumulation de graisse.
Mandchourie 1910
Et 1932....De la guerre biologique au bioterrorismebioterrorisme : l'enseignement de l'histoire, le passé peut-il prédire le futur ? extrait de l'article de Frank Bally, Patrick Francioli, Lausanne , Swiss noso, Vol 8, No 3, Septembre 2001
(...) A partir de 1932 et jusqu'à la fin de la guerre, l'armée japonaise a effectué des études systématiques sur les armes biologiques et chimiques en Mandchourie occupée. Le centre de recherche le plus important, connu sous le nom «d'unité 731", a été créé à proximité de Pingfan, à partir de 1936. Ce vaste complexe comprenait plus de 150 bâtiments sur 6 km2 et 3000 scientifiques et techniciens, dont environ 10% de médecins, y travaillaient en 1941. Plus de 1000 prisonniers ont péri lors «d'expériences» ou ont été exécutés après avoir été exposés à des agents tels que B. anthracis, Neisseria meningitidis, Shigella spp, Vibrio choleraeVibrio cholerae, Yersinia pestis, ou d'autres encore. (...) Le cours de ces expériences, y compris leur issue fatale atroce, a été minutieusement étudié et consigné dans des rapports illustrés qui comportaient des centaines de pages. D'autres essais à large échelle ont été effectués par l'armée japonaise sur la population des zones chinoises occupées. En 1939-1940, des systèmes d'approvisionnement en eau ont été contaminés par SalmonellaSalmonella typhi et Vibrio cholerae provoquant des épidémies de fièvre typhoïdefièvre typhoïde et de choléracholéra. L'unité 731 a également disséminédisséminé dans la population de grandes quantités de Rickettsia prowazecki, Vibrio cholerae et des puces infectées par Y. pestis. Ces puces ont été répandues dans les rizières, le long des routes et des chemins et dans le système de distribution d'eau dans la région de Ning Bo. La peste, inconnue auparavant, a ravagé la région à partir de 1940. Trois autres épidémies ont suivi en 1941, 1946 et 1947 (Annals of the New York Academy of Sciences, 1992; 666: 21-52). L'unité 731 était dirigée par un médecin japonais du nom de Ishii Shiro qui était convaincu de l'utilité de la guerre biologique et disposait de soutien dans l'armée, au ministère de guerre et même dans l'entourage de l'empereur. Rares ont été les médecins ou les scientifiques de l'unité qui ont exprimé leur opposition à ces activités. Dès 1943, l'armée japonaise elle-même procéda à la destruction des établissements et beaucoup de traces ont ainsi été effacées. L'information provient surtout de l'interrogatoire de prisonniers de guerre japonais après la guerre. (...)
F - Actuellement (données OMS)
Près de 40 000 cas de peste ont été déclarés à l'OMSOMS par 24 pays au cours des quinze dernières années : Madagascar, Congo, Tanzanie, Chine, Mongolie, Vietnam, Pérou mais les Etats-Unis rapportent chaque année quelques cas ainsi que l'ex-URSS. En France, les derniers cas datent de 1945 en Corse.
Je cite l'OMS : « Une des caractéristiques des épidémies de peste est leur capacité à "s'éteindre" pendant plusieurs années avant de réapparaître brutalement sous forme épidémique.
Une flambée épidémique de peste a ainsi touché la Tanzanie en 1991 (1293 cas) et le Myanmar en 1992 (528 cas). En Inde, une épidémie de peste pulmonaire a éclaté en 1994, alors que l'on croyait la maladie éradiquée depuis presque 30 ans. Presque simultanément à l'épidémie en Inde, des cas de peste bubonique (128 cas) ont été enregistrés au Mozambique après plus de 15 ans de silence, et se sont propagés au Zimbabwe et au Malawi tout proches. Presque au même moment, une épidémie est survenue au Pérou (1031 cas en 1993-1994). Malgré leur apparition rapprochée, il n'existe probablement pas de lien épidémiologique entre les épidémies asiatiques, américaines et africaines. Plus récemment (1997), des cas humains de peste sont survenus en Jordanie après 80 années de silence. Enfin, la peste est réapparue en Algérie, dans la région d'Oran en 2003, après une période de silence inter-épidémique de 50 ans. Une épidémie de peste pulmonaire a de plus éclaté dans une mine de diamants en République Démocratique du Congo en Décembre 2004. »
Voilà un résumé très succinct de la situation actuelle et, faute de place, nous n'irons pas plus loin sur ce sujet : la documentation est très abondante, foisonnante même, et passionnante, tant cette maladie a marqué les populations au cours de l'histoire.