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    En l'an 2000, le mathématicienmathématicien Laurent Lafforgue achevait sa démonstration d'une conjecture rattachée à la "correspondance de Langlands". Cette expression désigne un tissu de conjectures, énoncées à la fin des années 1960, qui a inspiré une partie importante des recherches modernes en géométrie algébrique et en théorie des nombres.

    © Geralt CC0, Domaine public

    © Geralt CC0, Domaine public

    Pour ses résultats, fruits d'environ sept ans de travail, Laurent Lafforgue s'est vu décerner le 20 août 2002 la récompense la plus prestigieuse pour un mathématicien de moins de quarante ans : une médaille Fields.

    <em>©</em> Marie-Claude VERGNE, IHÉS

    © Marie-Claude VERGNE, IHÉS

    En 1967, le mathématicien canadien Robert P. Langlands n'avait que 31 ans et était en poste à l'université de Yale, aux Etats-Unis. En janvier de cette année-là, il écrivit une lettre manuscrite de 17 pages à un mathématicien de l'Institute for Advanced Study de Princeton, André WeilAndré Weil (1906-1998). Ce Français émigré aux Etats-Unis, frère de la philosophe Simone Weil et cofondateur du groupe Nicolas BourbakiNicolas Bourbaki, était l'un des grands noms de la théorie des nombres et de la géométrie algébrique. La lettre avait pour but de développer et formuler plus précisément une question que Langlands avait posée oralement à Weil quelque temps auparavant. En fait, Langlands y présentait un certain nombre d'hypothèses et d'idées profondes, qui esquissaient des liens étroits et surprenants entre des classes d'objets mathématiques de natures différentes. En caricaturant, il s'agissait de correspondances entre "représentations galoisiennes", objets qui relèvent de l'algèbre, et "formes automorphesautomorphes", classe de fonctions qui relèvent de l'analyse.

    Weil ne fit pas de réponse écrite à Langlands, mais il reconnut l'intérêt des idées exposées par le jeune mathématicien canadien. Il fit dactylographier le texte de la lettre, qui se diffusa largement. Le contenu mathématique de cette lettre forme, avec certains ajouts ultérieurs de la part de Langlands lui-même ou d'autres mathématiciens, ce que l'on a appelé la "correspondance de Langlands" (ou le "programme de Langlands", ou encore tout simplement les "conjectures de Langlands"). Les idées et conjectures en question ont, depuis, stimulé de nombreuses recherches dans les domaines de la théorie des nombres et de la géométrie algébrique.

    Comme souvent en mathématiques, l'importance du programme de Langlands est due au fait qu'il relie des parties très différentes de cette science. En effet, lorsque des objets a priori distincts se révèlent être des facettes différentes d'un même objet plus général, il en résulte une compréhension plus profonde et une plus grande richesse conceptuelle ; il en naît de nouvelles stratégies pour résoudre les problèmes posés au mathématicien, et de nouvelles questions émergentémergent à leur tour. Ainsi avancent les idées.

    Même si le prix à payer est une technicité et une abstraction plus grandes, de telles unifications permettent de temps à autre de résoudre des problèmes plus terre à terre mais qui résistent depuis longtemps aux efforts des chercheurs. La correspondance de Langlands en fournit un exemple célèbre avec le théorème de Fermat (1). La démonstration de ce théorème, en 1994, passait en effet par la démonstration d'une partie d'une autre conjecture beaucoup plus technique, appelée conjecture de Shimura-Taniyama-Weil (2). Or celle-ci, qui a été prouvée dans son intégralité en 1999, peut être considérée comme l'un des éléments du programme de Langlands. D'un autre côté, des théories mathématiques abstraites d'ordre fondamental peuvent aussi avoir des répercussions d'ordre technologique, voire économique : on sait que, depuis plusieurs décennies, les recherches en théorie des nombres et en géométrie algébrique jouent un rôle important dans les domaines de la cryptographiecryptographie et du codagecodage numériquenumérique de l'information.