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Si l'on représente le temps par une ligne, on doit s'interroger sur la localisation de cette dernière. Si tout est contenu dans le temps, dans quel espace extérieur au temps cette ligne du temps doit-elle être tracée ? Flotte-t-elle dans le vide ou s'appuie-t-elle sur « quelque chose » ?
Nous retrouvons le problème de la rive déjà évoquée à propos de la métaphore du fleuve. Dans quoi le temps se déploie-t-il donc ? Lui qui englobe tout, comment pourrait-il être représenté dans quelque chose ? Existerait-il un « en dehors » du temps ? On peut envisager deux types de réponses à ces questions : soit on imagine que le temps crée le monde au fur et à mesure qu'il passe, instant après instant, comme s'il le portait sur ses propres épaules et avançait avec lui ; soit on conçoit qu'il ne fait que parcourir un territoire déjà là, présent de toute éternité.
À ces deux hypothèses correspondent deux interprétations radicalement différentes, et même opposées, du temps physique. Selon la première, la représentation du temps par une ligne figure la production même de cette ligne, comme si le temps créait lui-même les points parcourus, comme si une force créatrice inhérente au présent le tirait du néant et en faisait à chaque fois une entité nouvelle. Selon la seconde interprétation, elle figure plutôt une sorte de scène infinie, déjà donnée, en attente de ce qui peut s'y produire et dans laquelle le temps vient simplement se déployer.
L'attente concrétisée par le temps
Selon que l'on choisit l'une ou l'autre de ces deux interprétations, le statut du futur change du tout au tout. En effet, si c'est le temps lui-même qui passe son temps à recréer le monde à chaque instant, alors il faut répondre, comme le faisait déjà Aristote, que l'avenir n'existe pas puisqu'il n'existe pas encore. Ce point de vue n'empêche nullement d'en parler comme s'il allait advenir avec certitude, comme s'il nous était d'une certaine façon présent, comme si nous étions sûrs que plus tard, il y aurait encore du présent, réservant nos incertitudes et nos interrogations non au fait que l'avenir sera, mais à ce qu'il sera et à ce qui s'y passera. Mais, dans cette conception, l'avenir n'a pas d'existence en soi. Il n'en a une que pour l'esprit. C'est seulement parce qu'on l'attend qu'il existe.
Si l'on choisit la deuxième hypothèse, alors tout se passe au contraire comme si l'avenir existait déjà dans le futur. Elle revient en effet à admettre que le passé, le présent et l'avenir ont toujours été là, reliés indistinctement en une espèceespèce de réalité intemporelle, de sorte que l'Univers n'aurait pas d'histoire proprement dite, mais nous, les « observateurs », nous lui en attribuerions une du fait que nous déroulerions nous-mêmes le fil du temps. Ce point de vue a eu les faveurs de certains physiciensphysiciens inspirés par la relativité einsteinienne. Il était notamment défendu par Hermann WeylHermann Weyl, ami très proche d'Einstein, qui écrivait : Le monde objectif tout simplement est ; il n'advient pas. C'est seulement au regard de ma conscience, avançant en rampant le long de la ligne d'univers de mon corps, qu'une section de ce monde vient à la vie dans l'espace comme une image fugace, qui change continuellement dans le temps.
Le temps inscrit dans le passé, le présent et le futur
Peut-être sommes-nous en effet les producteurs d'une histoire que l'Univers n'aurait pas sans nous : le monde ne passerait pas, mais nous le ferions passer en y passant. Tout aurait donc toujours été là, le passé, le présent et le futur, mais du fait de notre propre parcours nous ne découvririons cette réalité temporellement déployée que pas à pas, seconde après seconde. Le « petit moteur » du temps, ce serait donc nous !
Décidément, quand il s'agit de temps, les idées reçues sont prestement invitées à aller se faire recevoir ailleurs...